La société fait culpabiliser les femmes solos, dénonce Lauren Bastide dans son dernier ouvrage à retrouver en librairies dès aujourd'hui. Et c'est encore sur les ondes de France Culture que l'artiste s'exprime, déchaînant un flot de commentaires sexistes.
L'autrice féministe fustige la honte que le patriarcat fait peser sur les femmes qui vivent seules, condamnées à finir abandonnées en compagnie de leurs chats.
Le rêve, à nos yeux.
Vivre avec un ours ou un chat, plutôt qu'avec un homme : pas forcément un cauchemar, sauf chez les tradwives, et Lauren Bastide en plus de fustiger cette culpabilisation (le mot au coeur du dernier essai en date de l'incontournable Mona Chollet) analyse avec éloquence les pressions et injonctions que subissent les femmes solos. Ainsi que le mépris que voue le patriarcat à toute une frange de la moitié de la population.
Elle dit : "Pourquoi les femmes seules ressentent-elles de la honte et un sentiment d'échec ? Pourquoi est-ce si difficile pour elles ?"
Surtout elle ajoute : "Quand on dit une femme seule, on renvoie avant tout à l'idée qu'elle n'a pas de mari, qu'elle est célibataire, alors que l'homme seul est envisagé comme un aventurier et un visionnaire". Difficile de contester ce gender gap, cet écart des visions très stéréotypées entre les sexes.
C'est un sujet nécessaire, car il associe la santé mentale à des enjeux politiques et intimes.
Néanmoins, les haters sortent des bois du côté de France Culture.
Lauren Bastide se contente de poser des questions, d'émettre des réflexions. Et cela dérange.
"N'importe quoi", "Ce qu'elle dit est absurde", "La solitude est aussi difficile pour beaucoup d'hommes", "Elle se plaint toute seule", "Ce sont ses obsessions à elle", lit-on par ribambelles de réactions énervées au fil des avis d'auditeurs et d'auditrices. Une rhétorique très Not All Men : lire des analyses collectives et les nier en se focalisant sur son ressenti subjectif : "je suis heureuse donc tout va bien". Ici, cela se compte par centaines de commentaires virulents.
Une auditrice néanmoins ose un brin de recul critique : "on lit des commentaires sur France culture et en fait on constate l'étendue du désastre : réactions épidermiques de mascus, d'hommes éduqués qui ne le sont pas au féminisme et, le plus triste de tous, de femmes non déconstruites".
"Tout le monde, matrixé par le patriarcat. Qui a lu son ouvrage (en entier) ici ? Ouvrage de Lauren Bastide qui regorge de liens historiques, sociologiques, de chiffres sourcés. Quelle tristesse de lire autant de bêtises dans les commentaires, on se croirait sur cnews."
CQFD.
Lauren Bastide, à l'instar d'Ovidie lorsqu'elle évoque sa grève du sexe et sa fatigue des hommes, dérange car beaucoup de gens refusent de se confronter à la dimension politique et genrée de leur quotidien. Ce serait avouer que toute intimité est politique.
On l'écoute encore sur France Culture : "On a l'image de la femme à chats quand on parle d'une femme seule, alors qu'il existe une solitude bien plus profonde : celle des femmes au foyer qui doivent s'occuper du dîner pour leur mari et de leurs enfants"
Tâches domestiques réparties de manière inégale, charge maternelle, charge mentale, solitude affective et amoureuse, ce que met en mots Lauren Bastide, une grande cinéaste telle que Chantal Akerman le validerait volontiers. En fait, elle l'exprimait en films il y a 40 ans de cela.
Alors il est toujours étrange de constater que des décennies plus tard, ce discours agace avec une identique véhémence.
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