L'incroyable histoire de "L'arnaqueur de Tinder", pro de la fraude à l'amour

Publié le Mardi 08 Février 2022
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"L'Arnaqueur de Tinder", sur Netflix.
Disponible depuis le 2 février sur Netflix, "L'Arnaqueur de Tinder" raconte la descente aux enfers financière dont ont été victimes plusieurs femmes. Le dénominateur commun : Simon Leviev, alias Shimon Hayut, manipulateur de haut vol.
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Il est beau, extrêmement riche, attentionné et célibataire. A première vue, sur son profil Tinder en tout cas, l'Israélien Simon Leviev est ce que Cecilie Fjellhøy considère comme une perle rare.

Héritier et PDG de la boîte de son père, LLD Diamonds, le jeune homme manie des millions et passe sa vie en jet privé. D'ailleurs, lors de leur premier rencard dans un hôtel 5 étoiles de Londres, il lui propose de l'emmener faire un tour en Bulgarie pour la soirée dans la foulée. La Norvégienne accepte malgré les mises en garde de ses amies à distance, et fonce à l'aéroport avec son "prince charmant". Devant l'établissement, pas de chevaux blancs, mais une Rolls qui les amène à bon port - et son ex et sa fille sur la banquette arrière.

Malgré ce détail qui l'étonne, Cecilie remarque à quel point Simon s'occupe bien de l'enfant. Alors, elle craque un peu plus. S'en suit un voyage de rêve qu'elle documente assidument téléphone au point, et une nuit tout aussi magique durant laquelle Simon lui confie ses faiblesses sur l'oreiller, dévoilant une personnalité vulnérable et touchante sous sa carapace de magnat de diamants. Les contes de fées devant lesquels elle fantasmait petite semblent s'être enfin réalisés, pense la jeune femme sur son petit nuage.

De retour à Londres, elle échange quotidiennement avec Simon Leviev et ne tarde pas à tomber amoureuse. C'est là que le piège se referme.

La relation devient de plus en plus sérieuse. Aux déclarations enflammées sur WhatsApp se succèdent des livraisons de bouquets de fleurs qui font (presque) la taille de son appartement et des plans d'emménager à deux, justement. "Il m'a donné un budget de 15 000 dollars par mois", se souvient Cecilie devant les caméras du documentaire L'Arnaqueur de Tinder, diffusé sur Netflix depuis le 2 février (et déjà en tendance sur la plateforme de streaming).

Quand le chevalier devient crapaud

Simon Lievev alias Shimon Hayut.
Simon Lievev alias Shimon Hayut.

Se doute-t-elle de quelque chose ? Non, elle lui fait confiance, comme n'importe qui le ferait à la personne qu'il ou elle aime. On se permet d'insister sur ce point : c'est un professionnel. Il sait comment manipuler celles et ceux qu'il va ensuite escroquer. La faute est entièrement la sienne. Un rappel qui, à voir l'accueil de l'histoire sur les réseaux sociaux et les insultes - souvent misogynes - proférées aux victimes qui ont perdu des fortunes, est malheureusement nécessaire.

Comment s'y prend-il exactement ? Il attend, mentionnant de temps à autre combien son métier est dangereux et évoquant les "ennemis" (terme dont il abuse) véreux qui seraient prêts à tout pour avoir sa peau et son argent. Ça sent l'autoportrait.

Un jour, alors qu'elle dort profondément, Cecilie Fjellhøy reçoit une photo et une vidéo qui montrent le crâne en sang du garde du corps de Simon Leviev. "Peter blessé", commente un message de l'héritier. Le fameux Peter aurait tenté de protéger son employeur de ses "ennemis" (on vous le disait), et leur sécurité serait désormais compromise, explique Lievev. Cecilie panique, demande ce qu'elle peut faire. La réponse est toute trouvée.

Comme "ses équipes" lui ont conseillé de ne plus utiliser ses cartes de crédit pour ne pas se faire repérer par le camp adverse, Simon est sans le sou et a un "gros service à lui demander" : qu'elle lui apporte très rapidement 25 000 dollars en liquide. Il les lui rendra, "bien évidemment", dès que les choses se seront calmées.

Certaine des bonnes intentions de celui qui assure voir en elle sa future femme, Cecilie emprunte sur-le-champ. Ce sera le premier d'une longue liste de prêts à la consommation, d'American Express souscrites à son nom, de factures qui s'accumuleront que Simon Leviev ne remboursera jamais. Car Simon Leviev n'existe pas. En réalité, il s'appelle Shimon Hayut, est recherché en Israël et vient d'un quartier populaire à des années lumières du style de vie qu'il mène aujourd'hui. Si LLD Diamonds est bel et bien une entreprise de diamants fondée par un certain Mr Leviev, celui-ci n'est en aucun cas son père.

Tout n'est que vent et poudre aux yeux. Même les "ennemis". Surtout les "ennemis".

Traque sororale

Cecilie Fjellhøy
Cecilie Fjellhøy

Au lieu d'être placé sous haute protection comme il le laisse entendre, l'escroc se la coule douce à Mykonos dans des hôtels de luxe avec Polina, une mannequin russe. L'argent de Cecilie Fjellhøy sert en fait à payer les restos, les bouteilles de champagne hors de prix, les club pour les 0,01 % dans lesquels il galoche sa copine qui n'a aucune idée de ses manigances.

Et puis, les billets d'avion pour que sa nouvelle "amie", Pernilla Sjöholm, elle aussi rencontrée sur Tinder sans jamais dépasser le stade platonique, les rejoigne pour un été de folie. Pas de bisous, pas de promesse d'amour éternel entre les deux, mais un attachement solide que Simon-Shimon utilisera pour - ça ne surprendra personne - lui soutirer plus de 60 000 euros grâce aux mêmes photos du crâne de "Peter" et autre récit rocambolesque de cavale forcée.

A l'époque, les deux jeunes femmes - Cecilie Fjellhøy et Pernilla Sjöholm - ne se connaissent pas. Ce n'est que lorsque la première croule sous les dettes et comprend l'ampleur de la machination que son chemin la mène à la deuxième. Elle réalise ce qui se passe vraiment par les agents d'American Express, à qui elle raconte son histoire quand elle admet être incapable de payer ses factures. Ils l'informent que Simon Leviev n'est que l'un des pseudonymes que l'homme emprunte, et qu'elle n'est pas la seule à avoir payé sa rencontre à un prix exorbitant.

En fouillant sur Internet, Cecilie découvre que l'arnaqueur a en effet passé 3 ans derrière les barreaux en Finlande pour les mêmes faits qu'elle lui reproche. Parmi les accusatrices finnoises, la mère de son enfant, qu'elle avait rencontrée le jour de l'excursion en jet privé. Laquelle, contactée par l'équipe du film, comme Lievev-Hayut d'ailleurs, ne voudra pas s'exprimer.

Ce sont les journalistes de VG, le plus gros média du pays, qui révéleront à la Norvégienne ce détail. Ils lui communiqueront aussi les coordonnées de Pernilla Sjöholm. Nous sommes quelques mois après Mykonos et la Suédoise a finalement subi le même sort. Le duo se lie instantanément d'amitié. "Elle est la seule qui puisse comprendre ce que j'ai vécu", confie Pernilla Sjöholm dans le documentaire. L'arnaque donc, mais aussi les menaces du criminel lorsqu'il découvre qu'elles ne sont plus dupes. "A chaque action il y a une réaction", n'a-t-il de cesse de leur répéter au téléphone, terrifiant.

Impunité et victim-blaming

Pernilla Sjöholm
Pernilla Sjöholm

Ensemble, elles aideront les reporters à sortir un numéro spécial sur l'homme. The Tinder Swindler, qui donne le nom à la VO du long-métrage. Tout y est : les messages du début de la romance avec Cecilie, les selfies et les vidéos "mignonnes", les demandes d'argent, les mensonges, le point de non retour.

Malgré cette documentation fouillée, les dizaines d'autres victimes qui contacteront le journal après la publication de l'article et l'intervention d'une troisième jeune femme, Ayleen Charlotte (alors en couple depuis 14 mois avec Leviev lorsqu'elle découvre le pot-aux-roses), qui a réussi à livrer la localisation de son ex à la police néerlandaise, l'histoire ne finit pas bien. Loin de là.

Certes, Shimon Hayut est bien arrêté par Interpol en Grèce en 2019, et incarcéré. Mais il n'écope que de 15 mois de prison pour fraude, sur lesquels il en fera seulement 5, et ressortira libre sans avoir été condamné pour escroquerie envers Cecilie Fjellhøy, Pernilla Sjöholm ou Ayleen Charlotte.

En 2022, l'Israélien mène de nouveau une vie de milliardaire dans son pays, a monté une entreprise de conseil et jusqu'à il y a quelques jours, était encore actif sur Tinder avant d'en être banni. Sur son compte Instagram supprimé récemment, il prévenait même qu'il "partagerait sa version" sous peu. On l'attend de pied ferme.

Elles, doivent encore rembourser leurs dettes et vivre au quotidien avec l'impact psychologique que l'affaire a engendré. "Ce que nous avons traversé est très surréaliste", affirme Cecilie Fjellhøy à GQ. "Mais comment nous avons été traités ensuite par le système...". "C'est encore pire ", poursuit Pernilla Sjöholm.

Elles estiment que l'on ne prend pas suffisamment conscience du traumatisme émotionnel et mental que représente le fait de se faire arnaquer. Cecilie Fjellhøy, qui a connu des épisodes suicidaires à la suite de l'affaire et s'est retrouvée en soins psychiatriques, affirme que le fait de réaliser que l'homme qu'elle aimait n'existait pas a été comme "une mort".

Seulement, elle n'a pas eu le temps de faire son deuil avant que les créanciers ne commencent à la poursuivre agressivement pour les dettes qu'elle avait accumulées pour aider Leviev, et elle a fini par être traînée en justice par quatre banques, précise le magazine britannique. Sans compter le traitement sexiste et infantilisant de plusieurs polices européennes à qui Cecilie et Pernilla ont livré leur histoire.

Le numéro spécial du journal norvégien VG.
Le numéro spécial du journal norvégien VG.

Alors, pour tenter de se reconstruire financièrement, elles ont lancé un appel aux dons des internautes via GoFundMe. Plus impactant sociétalement, elles sont également à l'origine d'Action: Reaction, une association pour soutenir les personnes touchées par la fraude.

Si la façon dont les gouvernements oeuvrent jusqu'ici quant à ce sujet est une question extrêmement complexe et "globale", reconnaît Cecilie, elle juge toutefois que "nous pouvons commencer par comprendre comment parler aux victimes. Ensuite, nous devons mettre en place des lois et des législations" pour mieux les protéger, insiste la jeune femme, certainement non sans espoir d'obtenir un jour justice pour elle-même.

Au total, Shimon Hayut est soupçonné d'avoir dérobé 10 millions de dollars en abusant de la confiance de nombreuses personnes, rencontrées via Tinder ou non (une famille dont il était le baby-sitter a également été leurrée). L'Arnaqueur de Tinder viendra-t-il ébranler son impunité ? On l'espère fortement. En attendant, on y pensera à deux fois avant de swiper à droite.

L'Arnaqueur de Tinder, disponible sur Netflix