"Top Gun" est-il un classique crypto-gay ?

Publié le Mercredi 18 Mai 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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Cela fait des années que des théories de fans circulent sur le web : "Top Gun" serait un grand film crypto-gay qui s'ignore. En attendant la sortie du nostalgique "Top Gun 2 : Maverick", retour sur la facette fantasmée du film d'action culte de Tony Scott.
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Maverick, Iceman, les couchers de soleil, le doux murmure des avions de chasse, la fluidité des loopings, la moto qui vrombit fièrement sur la piste d'atterrissage, Take my Breath Away, et... le beach volley. A la simple évocation de Top Gun (1986), une myriade de détails émerge dans notre esprit. On a tou·te·s un souvenir ému du blockbuster du regretté Tony Scott, production retentissante de Jerry Bruckheimer et Don Simpson.

Le film qui propulsa Tom Cruise et son insolente beauté au septième ciel, direction le panthéon des nouveaux rois d'Hollywood. Il faut dire que cette histoire de tête brûlée déboulonnant dans une école aéronavale de haute volée fait toujours son petit effet trois décennies plus tard. Pour ses séquences d'action époustouflantes évidemment, ainsi que son intrigue amoureuse, et son esthétique identifiable seconde un. Mais pas seulement.

Car depuis des années déjà, bien des regards cinéphiles perçoivent en l'épopée de Pete Mitchell, dit "Maverick"... une romance gay qui ne dit pas son nom. Et qui s'expliquerait par les masculinités qui composent le monde du protagoniste. Notamment, sa relation singulière avec Iceman, alias Val Kilmer.

Décryptage.

Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?
Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?

La Théorie Tarantino (et ses réponses)

Au commencement était le verbe de Quentin Tarantino. Et plus précisément, son long monologue dans le film Sleep with Me (1994). Face-caméra, le cinéaste connu pour son phrasé frénétique explique sans rire que Top Gun est avant tout "l'histoire de la lutte d'un homme avec sa propre homosexualité". Cet homme, c'est Maverick, alias Tom Cruise. Et cette lutte contre lui-même, il la vit notamment avec Iceman, son rival des airs.

"Maverick est toujours sur la putain de ligne. Iceman et tout son équipage sont gays, ils représentent la voie gay. Et ils disent à Maverick : 'choisis l'homosexualité'. Alors que Charlie [l'instructrice incarnée par Kelly McGillis, ndlr] elle, est hétérosexuelle. Et elle dit à Maverick : 'non non, emprunte la voie traditionnelle, respecte les règles'. Là où tous les autres disent tout au long de ce film : 'non non, sois gay'", poursuit le cinéaste.

Après visionnage, quelques éléments viennent illustrer ce discours enjoué. La séquence culte de beach volley sur fond de Kenny Loggins bien sûr, déclaration d'amour aux torses nus et huilés, corps des plus athlétiques s'il en est, testostérone au max. Une scène qui fera dire au magazine Digital Spy : "il est presque impossible d'imaginer que quelqu'un ait pu faire un film aussi gay sans le vouloir, un tel jalon de la culture LGBT involontairement".

Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?
Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?

Mais aussi, quelques répliques bien senties, du frontal "I want butts!" décoché par le boss Johnson (Duke Stroud), au taquin "Tu cuisines bien, chérie", que Maverick balance à son bon pote Goose (Anthony Edwards), entre deux scènes de vestiaires. L'humour très viril de ces messieurs, situé sous la ceinture, n'est pas avare en phrases à double-sens. Egalement relevée par les fans, cette scène d'ascenseur où Charlie fait face à Maverick, vêtue de vêtements typés masculins : cheveux enfouis dans sa casquette de baseball, veste d'aviateur sur les épaules...

La théorie de Tarantino n'a pas manqué de circuler avec la démocratisation d'Internet. Aujourd'hui, rares sont les forums de cinéphiles à ne pas évoquer cette lecture ludique. Tant et si bien que le producteur de Top Gun, Jerry Bruckheimer, en a eu vent lui-même. L'espace d'une interview accordée au magazine Variety, ce dernier déclarait, philosophe : "Lorsque vous faites un film, les gens peuvent l'interpréter comme ils le souhaitent".

Jerry Bruckheimer s'amuse volontiers de cette théorie, mais ne la dément pas pour autant. Il développe : "Le public peut y voir quelque chose dont les cinéastes n'avaient aucune idée. Nous sommes surpris à chaque fois que nous entendons une nouvelle théorie à propos des films que nous tournons". Le producteur suggère que dans le processus créatif, un je-ne-sais-quoi peut toujours échapper aux réalisateurs. Comme un lapsus - révélateur.

Top Gun appartient donc à son public.

Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?
Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?

"Top Gun", film queer, vraiment ?

Et cela fait longtemps que ce dernier a accueilli Top Gun comme il souhaitait l'entendre. Bien avant Tarantino, même. C'est ce que rappelle le magazine féministe Jezebel : dès son carton en salles en 1986, la critique Pauline Kael présentait dans les pages du New Yorker le film comme "une brillante publicité homoérotique, où les pilotes se pavanent dans les vestiaires, des serviettes suspendues de manière précaire à leur taille".

De quoi faire sourire Deborah Gay. Post-doctorante en sciences de l'information et de la communication ayant dédié une partie de ses travaux à la série française LGBTQ Les engagés, l'experte aime Top Gun, qu'elle considère comme un bon film d'action, "avec d'excellents comédiens, des scènes d'avions de chasse lisibles, de l'émotion, de la romance, des hommes qui jouent au beach volley...". Que demande le peuple ?

Et si la spécialiste voit avant tout en la "Tarantino theory" une source à "fan fictions" (ces fictions amatrices remodelant les oeuvres de la pop culture), fantasmer ainsi le classique de Tony Scott n'est pas forcément une mauvaise chose en soi.

"Dans les années 80, les films d'action étaient légion. Mais la singularité de Top Gun c'est qu'il prend place au sein de l'armée, un milieu clos qui a une peur panique de l'homosexualité, puisque c'est un milieu homosocial, c'est-à-dire où il n'y a que des hommes, et où s'observe également une homophobie forte. C'est donc sain et même libérateur que cette théorie gay ne soit pas dénigrée par les membres du cast", nous explique encore Deborah Gay.

Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?
Top Gun est-il vraiment un classique crypto-gay ?

Au lieu de jouer le jeu de la panique morale bien réac, Top Gun suggère donc un étonnant "Pourquoi pas ?". "Ce qui est d'autant plus surprenant que l'on a du mal à citer des films prenant place au sein de l'armée qui mettent en scène des relations gay. C'est encore un sujet touchy", poursuit notre spécialiste. En terme de symbolique, Top Gun fascine. Mais tout cela tient-il vraiment la route ?

Pas à 200 %. Prenez par exemple la séquence où Kelly McGillis revêt des vêtements dits masculins : la comédienne porte une casquette non pas pour se la jouer ambiguë, mais parce que la scène a été tournée en post-production, l'actrice s'étant teint les cheveux en brun pour un autre rôle, rappelle Digital Spy. "Cependant, il est indéniable que l'homoérotisme fait se démarquer Top Gun de la masse de films d'action similaires", note le site.

Top Gun est-il un classique crypto-gay ?
Top Gun est-il un classique crypto-gay ?

Et puis, beach volley mis à part, il faut avouer que la globalité de cette lecture repose sur des phrases à double-sens ou décontextualisées. Phrases qui puisent dans les codes de l'amitié virile, abondants dans les buddy movies, ces films d'action de duos si populaires dans les années 80. Vous savez, cette conception de la fraternité faite d'embrassades musclées, de corps à corps entre copains et de vannes potaches.

"Les relations entre hommes se construisent dans une tension entre interdiction de l'homosexualité et une survalorisation des relations entre hommes", décrypte la journaliste Victoire Tuaillon à ce sujet. En somme l'amitié masculine hétéro, et les concours de bites qu'elle induit (comme dans Top Gun), fait l'objet d'un véritable culte, mais aussi d'une peur, voire d'une répulsion de ce qu'elle pourrait masquer. De fait, il est toujours difficile de faire la part des choses entre lecture transgressive et sous-entendus moqueurs ou malveillants dès que l'on évoque ce genre d'interprétations un brin épineuses.

Ce qui n'empêche pas l'émergence d'analyses critiques et percutantes, jamais loin du paradoxe. Comme celle du magazine en ligne Jezebel, qui s'amuse à voir en Top Gun la vision d'un monde homosocial masculin spécifique "où être hétéro a l'air plutôt gay, où l'intimité entre hommes peut être tendue mais aussi passionnée, où la ligne est mince entre l'amour et la haine, entre le combat et la baise". Une description étonnante pour un carton patriote des années 80 aux 176 millions de dollars de recettes.

Reste à savoir si sa suite tant attendue, Top Gun 2 : Maverick de Joseph Kosinski, en salles ce 25 mai, clignera de l'oeil, ou non, à cette atypique réputation qui fait tant gloser.