Ce que "Veronica Mars" nous a appris sur le consentement

Publié le Mercredi 24 Juillet 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Ce que "Veronica Mars" nous a appris du consentement
Ce que "Veronica Mars" nous a appris du consentement
La détective privée est de retour à Neptune pour une saison 4. L'occasion de rendre hommage aux conversations abordées dès son entrée dans le panorama télévisuel américain, à des années lumières de #MeToo.
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"A long time ago, we used to be friends...". Le générique résonne comme une madeleine de Proust à nos oreilles. Avec une saison 4 lancée 15 ans après le pilote, Veronica Mars est attendue au tournant. Au bout de quelques épisodes, on réalise vite que la magie opère toujours. Même profondeur des personnages, mêmes intrigues criminelles palpitantes, même soif d'aborder des sujets qui dérangent. L'occasion de replonger quelques années en arrière pour se rappeler pourquoi on avait tant aimé la première fois.

On découvre Veronica Mars en 2007 sur M6, trois ans après la sortie US. A ce moment-là, on est âgée d'à peine 14 ans et dotée d'une conscience féministe proche du néant. La lycéenne/détective privée en herbe (jouée par Kristen Bell) nous apparaît d'abord comme une héroïne indépendante et torturée, qui mène sa vie loin de ses camarades de classe beaucoup plus stéréotypés : la blonde populaire et le sportif taillé comme une plaquette de chocolat Côte d'Or pré-canicule. Veronica a du mal à s'intégrer et pourtant semble connaître tout le monde. De l'extérieur, elle ressemble à l'outsider que l'on retrouve quasi systématiquement dans les scénarios de teen drama. La cynique, la paria qui n'aime personne parce qu'elle trouve ses petits camarades trop stupides et guidés par leurs hormones pour qu'elle leur accorde de l'intérêt. En réalité, c'est beaucoup plus complexe que ça.

Avant, elle faisait partie de la bande d'élèves la plus convoitée des lieux ; les flash-backs qui la montrent avec de longues mèches blondes et des robes à fleurs le prouvent aisément. La raison pour laquelle elle se retrouve aujourd'hui en marge de la société lycéenne n'a rien d'une pseudo rébellion d'ado révoltée. Elle remonte à un événement tragique et précis, un an avant le début de la série. Le meurtre de sa meilleure amie, Lilly Kane. Une jeune fille blonde et populaire, elle aussi, qui avait les faveurs de tout le lycée - l'opposée parfaite de la Veronica qu'on découvre douze mois plus tard, armée d'une éternelle sacoche en cuir et d'un appareil photo qu'elle dégaine comme une arme.

Lorsqu'on retrouve son corps inerte au bord de la piscine familiale, le père de Veronica, Keith, alors chef de la police, est persuadé que le père de Lilly est l'auteur du crime, contrairement à l'opinion populaire. Il est licencié à cause de son acharnement à vouloir donner raison à son instinct de vieux flic. Veronica prend son parti et se retrouve complètement exclue de son groupe d'ami·es ; ils défendent tous la famille de la victime. Sa mère les quitte, et pendant un an, le duo père-fille sombre dans une spirale infernale.

On les rencontre après tout ça, alors que Veronica décide de mener sa propre enquête sur l'assassinat de Lilly. En fin de compte, le meurtrier est un acteur célèbre, Aaron Echolls, amant de la jeune fille qui veut la faire taire. Il s'en sortira indemne après un procès foireux qui se conclut par les applaudissements de ses fans, au début de la saison 2. De quoi faire écho, 15 ans après, à l'injustice qui règne toujours en maître à Hollywood. Une prise de conscience façon #MeToo avant l'heure.

Mais ce n'est pas la trame qui nous a le plus marquée.

L'intrigue qui, pour nous, illustre à quel point Veronica Mars a été l'une des séries les plus avant-gardistes de son temps se dévoile dans le souvenir trouble d'une nuit alcoolisée, à mi-parcours de la saison 1. Après une soirée arrosée chez une amie, Shelly Pomroy, Veronica se réveille dans une chambre vide de la maison, sans culotte, ni aucun souvenir de ce qui s'est passé la veille. Elle est persuadée d'avoir été violée. On apprend au fur et à mesure des épisodes qu'elle a été droguée et qu'elle a eu un rapport sexuel avec son ex-petit ami, Duncan Kane (accessoirement le frère de Lilly, la jeune fille assassinée).

Là où les auteurs et autrices de la série ont visé juste, c'est en décrivant les sentiments confus et la colère qui animent Veronica. L'ignorance la ronge, le fait que quelqu'un ait possédé son corps alors qu'elle était presque inconsciente aussi. Même si ce quelqu'un la connaissait par coeur. Surtout, ils ont su insister sur le fait que Duncan aurait dû se rendre compte qu'elle n'était pas consentante puisqu'elle n'était pas dans son état normal. Et c'est justement en abordant cette notion de consentement si tristement tue et aussi très vague en 2004, que Veronica Mars a frappé très fort.

Non, c'est non. Dire oui dans un état second, ce n'est pas dire oui de son plein gré non plus. De la même manière que le scénario assure que Lilly ne l'a pas "bien cherché" en fricotant avec un homme marié, il clame que Veronica ne l'a pas "bien cherché" en voulant faire la fête. Aucun comportement ne justifie un crime, une femme dispose de son corps et en fait l'usage qu'elle souhaite. Qu'il s'agisse de s'envoyer en l'air avec des hommes plus âgés, ou de refuser de faire l'amour avec son petit ami. Et la série s'assure que le message passe bien. Plus tard, dans la saison 3, on apprend que Veronica a été violée par un autre élève du lycée cette même nuit. Elle est victime, il n'y a aucun doute là-dessus.

Autre terrain glissant qu'évite avec brio le scénario : ce ne sont pas ces événements qui l'ont "forgée". A des années lumières de la scène glaçante de la dernière saison de Game of Thrones, où Sansa explique que ses "expériences" (soit le viol subi par Ramsay Bolton pendant leur brève union) l'ont rendue plus forte, le personnage de Veronica Mars n'en tire pas de quelconque "leçon de vie" terrifiante. Elle a été meurtrie, traumatisée. Elle tente de s'en sortir sans s'en servir comme un atout, contrairement à ce que laissent penser les paroles douteuses de Lady Stark. D'accord, l'histoire prend place à une époque bien différente - un univers moyenâgeux vs la Californie du XXIe siècle - mais le message qu'elles font passer reste ancré dans les esprits de la même façon. Et à ce compte-là, Veronica Mars se démarque haut la main.