Amel et les fauves : dans une jungle d'hommes brille un portrait de femme moderne

Publié le Dimanche 30 Avril 2023
Après le documentaire Fouledh, remarqué au Festival de Cannes en 2019, le réalisateur tunisien Mehdi Hmili est de retour avec un film fortement inspiré de son expérience... mais surtout de celle de sa mère. Amel & les fauves, portrait de femme moderne et percutant, est à découvrir depuis le 26 avril au cinéma.
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Amel est ouvrière dans une usine de Tunis. Elle élève son fils, dont elle est très proche, malgré l'absence de son père et son maigre salaire. Lorsque son patron la met en relation avec un homme d'affaires qui pourrait permettre à son fils d'intégrer le club de football local, elle accepte à contrecoeur.

Après un dîner en tête à tête, l'homme tente d'abuser d'elle alors qu'il la raccompagne, mais l'arrivée soudaine d'agents de police l'arrête juste à temps. Alors qu'elle se croit sauvée, Amel est finalement déclarée coupable d'attentat à la pudeur et d'adultère.

S'en suit le combat acharné pour la justice et la vérité d'une femme seule, lâchée dans la cage aux fauves.

"Ce film, c'est notre histoire."

C'est sur les mots du réalisateur Mehdi Hmili que s'ouvre Amel & les fauves : "Avec ma mère, nous avons vécu dans la honte et souffert dans la peur. Mais plus jamais, maintenant. Ce film, c'est notre histoire."

Lancé par le documentaire Fouledh en 2019, ce nouveau long-métrage n'en n'est pas pour autant un voyage total dans la fiction. Car l'histoire d'Amel s'ancre dans une réalité sociale et politique très concrète dont sa mère et lui ont été les témoins privilégiés. "Ce projet m'est si personnel, sans toutefois être autobiographique, que j'avais besoin de le produire moi-même. [...] La loi en Tunisie est toujours archaïque. Une femme mariée, surprise en compagnie d'un homme dans un espace clos, peut aller en prison pour adultère. Pas besoin de faire un rapport médical."

Particulièrement moderne dans sa représentation de la femme, la réalisation de Mehdi Hmili s'avère profondément influencée par son expérience dans le documentaire. Les scènes de rage et d'injustice sont ainsi filmées avec sobriété, presque avec recul, à tel point que le cinéaste se fait toujours témoin d'une situation que le spectateur occidental devinera bien réelle. Ainsi, la prise de position ne devient presque plus nécessaire tant les décisions de la justice semblent incohérentes à tout esprit raisonné.

Cinéaste engagé, Mehdi Hmili dévoile le paysage en ruines d'un système judiciaire misogyne et inégal , dont la représentation glaçante et plus vraie que nature fait souhaiter qu'il soit irréel.

Un couple d'interprètes d'une rare intensité

Amel et les fauves ne se limite pas à cette représentation quasi-documentaire, dont le spectateur pourrait consommer les images avec une distance protectrice. L'incarnation des deux personnages, mère et fils ne pouvant compter que l'un sur l'autre, nous plonge en effet de force dans un bain bouillonnant d'émotions où il est impossible de ne pas ressentir d'empathie.

Dans le rôle titre, Afef Ben Mahmoud parvient avec une justesse surréaliste à lier la rage d'une femme prête à tout pour obtenir justice, à la tendresse éperdue d'une mère modèle.

"Je lui ai donné le scénario d'Amel & les fauves à lire en 2016, explique le réalisateur. [...] Quand elle est arrivée, elle était en larmes. Elle m'a appelé en disant qu'elle était Amel. Nous avons développé le film ensemble car Afef est très brillante."

"Pour Afef qui est très féministe, voir son personnage souffrir était compliqué. Nous avons décidé de ne répéter aucune scène du film, y compris quand elle donne la réplique aux autres comédiens. Nous étions très conscients du risque que nous prenions. Nous voulions faire le film au jour le jour."

À ce portrait en diptyque d'un personnage passionnant s'ajoute celui du fils, Moumen, incarné par Iheb Bouyahya. Un premier rôle dont Mehdi Hmili raconte les coulisses : "Avec Iheb, l'approche a été complètement différente. Je suis passé à la radio pour annoncer le casting de mon film. J'ai rencontré entre 400 et 500 comédiens. J'avais besoin de quelqu'un de très jeune et Iheb s'est présenté. Je ne l'aimais pas du tout, mais mon assistant m'a dit que c'est parce qu'il me rappelait ma jeunesse. Je lui ai donné une chance et me suis rendu compte que nous avions vécu des choses très similaires. Nous venons du même milieu social. Il a eu des problèmes avec sa mère, a quitté la maison et a vécu dans la rue."

Malgré sa précision quasi-documentaire, qui ne lui donne que davantage de force, Amel et les fauves parvient à séduire et émouvoir par l'incarnation tout en subtilité de comédiens. Ces derniers soulignent qu'ils sont personnellement engagés sur les sujets sociaux et politiques auxquels le long-métrage de Mehdi Hmili tente de sensibiliser.

Amel et les fauves est à découvrir en salles depuis le 26 avril.