Société
Angelina Jolie, Amber Heard... Les femmes parlent, mais on ne les croit (toujours) pas
Publié le 8 octobre 2022 à 10:00
Par Maïlis Rey-Bethbeder | Rédactrice
Maïlis Rey-Bethbeder aime écrire, le café, traîner sur les réseaux sociaux et écouter de la musique. Sa mission : mettre en lumière les profils, les engagements et les débats qui agitent notre société.
Le procès Amber Heard contre Johnny Depp a montré à quel point les femmes qui se disent victimes de violences n'étaient pas prises au sérieux. Alors qu'Angelina Jolie accuse à son tour son ex-mari, Brad Pitt, le phénomène semble se répéter. Quand va-t-on arrêter de remettre systématiquement en question la parole des femmes ?
Angelina Jolie lors d'une conférence de presse annonçant la mise à jour bipartisane de la loi sur la violence contre les femmes (VAWA) au Capitole américain à Washington, DC, États-Unis, le mercredi 9 février 2022 Angelina Jolie lors d'une conférence de presse annonçant la mise à jour bipartisane de la loi sur la violence contre les femmes (VAWA) au Capitole américain à Washington, DC, États-Unis, le mercredi 9 février 2022© Abaca
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Depuis la révolution #MeToo, la libération de la parole a permis aux femmes de témoigner des discriminations et des violences sexistes qu'elles vivent quotidiennement. Cependant, si elles ont moins de réserves à dénoncer leurs agressions, il semblerait que les victimes aient encore beaucoup de mal à être crues.

"Ce n'est pas possible, je le connais, il n'aurait jamais fait ça", "C'est un coup monté pour détruire sa carrière", "Elle ment, elle veut son argent". Combien de fois avons-nous déjà entendu ou lu de tels commentaires ? Nombreux sont ceux qui invoquent la présomption d'innocence dès qu'un homme est attaqué, et certains sont tout aussi prompts à remettre en cause la parole des victimes présumées.

Amber Heard contre Johnny Depp, un cas d'école

D'autant plus qu'elles ne sont pas toutes traitées de la même manière. La jurisprudence Heard-Depp (ou avant elle, celle de l'affaire du Sofitel entre DSK et Nafissatou Diallo) a en effet montré que plus l'agresseur présumé est puissant, plus le discours de la victime semble inaudible. Et lorsqu'il y a médiatisation d'une ou de chacune des parties, l'opinion publique semble déjà avoir choisi son camp.

Ainsi, avant même le début du procès qui opposait Amber Heard à son ex-mari Johnny Depp (l'actrice avait sous-entendu dans une tribune publiée dans le Washington Post qu'elle avait été victime de violences conjugales sans nommer son ex), la vindicte populaire avait tranché. Pour l'opinion publique, il y a les "bonnes" et les "mauvaises" victimes, les "folles" qui "mentent" par cupidité. Durant les longues semaines d'audiences, Amber Heard n'a cessé d'être diabolisée et décrédibilisée.

Et lors du verdict, le mercredi 1er juin 2022, les sept juré·e·s (cinq hommes et seulement deux femmes) ont estimé que les deux stars étaient tous les deux coupables de diffamation. Amber Heard doit verser 10 millions de dollars à Johnny Depp, quand lui s'en tire avec "seulement" 2 millions de dollars à octroyer à son ex-femme. Outre la sentence financière, l'image d'Amber Heard a largement été écornée durant cette séquence judiciaire : pour des milliers de personnes qui ont suivi en live ce procès ultra-médiatisé, l'actrice a été accusée d'être une menteuse manipulatrice.

Pourtant, le 2 novembre 2020 en Grande-Bretagne, Johnny Depp avait bel et bien perdu son procès en diffamation contre le tabloïd anglais The Sun, qui relayait les accusations de violences conjugales d'Amber Heard. Le juge britannique Andrew Nicolla de la Haute Cour de Londres avait ainsi estimé que 12 des 14 incidents de violence revendiqués par Amber Heard et le journal étaient "substantiellement vrais" car "la grande majorité des agressions présumées ont été prouvées".

Angelina Jolie, la "manipulatrice"

De fait, lorsqu'Angelina Jolie évoque les violences de son ex-mari Brad Pitt, c'est encore l'actrice qui est pointée du doigt. Jolie accuse Pitt, comme le rapporte le New York Times ce mardi 4 octobre, d'avoir "étranglé l'un [de ses] enfants" et "frappé un autre au visage". Il aurait également attrapé et secoué la tête de sa femme, et lui aurait versé de l'alcool dessus ainsi que sur ses enfants. Des accusations de violence présumées accablantes.

Seulement voilà : Angelina Jolie pâtit depuis des années de son image de "briseuse de ménage", certains fans de Brad Pitt n'ayant toujours pas digéré sa rupture avec Jennifer Aniston, à qui l'interprète de Lara Croft l'aurait "volé". Ainsi, depuis les allégations de l'actrice, on voit fleurir sur les réseaux sociaux des messages de soutien à Brad Pitt et des internautes qui accusent (déjà !) son ex-femme de mentir, sans manquer de critiquer son talent, sa personnalité, son modèle éducatif. Bref, en la diabolisant.

"Le discrédit immédiat, la ridiculisation et les accusations de manipulation qui surviennent lorsqu'une femme célèbre signale des abus sont terrifiants et montrent à quel point la misogynie est ancrée dans notre culture et le chemin qu'il nous reste à parcourir pour créer une société juste et égale", souligne auprès de Stylist Judith Banjoko, directrice générale par intérim de l'association d'aide aux femmes Solace.

Car oui, les femmes qui osent parler sont instantanément renvoyées à une présomption de mensonge.

"Angelina Jolie est une menteuse au passé terrible qui va ruiner la vie de ses enfants. Les enfants ont besoin d'aide", peut-on ainsi lire dans le tweet ci-dessus.

"Angelina jolie est une menteuse ! C'est une telle sal*pe qui a répandu de nombreuses rumeurs sur Jennifer Aniston", écrit cet autre internaute.

Le message que renvoient ces réactions aux victimes de violences, c'est qu'elles ne seront pas crues, et ce, dès le départ. Si la parole d'Amber Heard et d'Angelina Jolie est remise en question, comment d'autres femmes anonymes, moins puissantes, plus isolées, peuvent-elles se sentir légitimes à parler ? Diaboliser ainsi les femmes, en leur collant l'image de la "folle", de la "sorcière", participe à les murer dans le silence dont elles ont eu déjà tant de peine à sortir.

Ainsi parmi les femmes victimes de viol, seulement 10% d'entre elles portent plainte d'après une enquête réalisée en 2015 par l'Ipsos, et certaines renoncent justement par peur de ne pas être crues. Par ailleurs, les fausses accusations de violences sexuelles restent extrêmement rares (entre 2% et 6%). Difficile alors d'imaginer une femme entamer une procédure judiciaire contre son agresseur uniquement pour lui extorquer de l'argent...

Aujourd'hui, et c'est tant mieux, les femmes ne se taisent plus. Reste à savoir quand nous allons enfin les écouter.

 

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