Beyoncé et Jay-Z : décryptage des symboles puissants du clip d'"Apeshit"

Publié le Mardi 19 Juin 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Un visuel du nouveau clip de Beyoncé et Jay-Z "Apeshit"
Un visuel du nouveau clip de Beyoncé et Jay-Z "Apeshit"
Dans cette photo : Beyoncé
Nouveau cassage de barraque pour la sortie surprise du nouveau clip de Beyoncé et de son mari Jay-Z. C'est au Louvre que le couple a posé des caméras pour un clip puissant qui célèbre une nouvelle fois leur identité.
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Que l'on soit "team Beyoncé" ou pas, on peut unanimement saluer les coups d'éclat de Queen B. Elle et son rappeur de mari Jay-Z ont lancé samedi 16 juin un nouvel album commun, Everything is Love ("Tout est amour). Tout comme l'album Limonade en 2016 ou Beyoncé en 2013, cette annonce a surpris tout le monde. Car sa sortie n'a été annoncée quà la toute fin de leur concert au London Stadium samedi soir.

Le lancement d'Everything is love s'accompagne d'un premier clip réalisé par Ricky Saiz, Apeshit, qui veut dire "folie furieuse" en argot. Tourné au musée du Louvre en seulement deux jours, le clip est absolument magnifique et, comme souvent en ce qui concerne le couple, truffé de symboles.

Dans les paroles, Beyoncé et Jay-Z célèbrent leur réussite professionnelle et le luxe dans lequel il et elle vivent. Ces images sont comme une revanche sur les colonialistes et les esclavagistes devant lesquels ils chantent dans un musée entièrement tourné vers la célébration de la peinture blanche. Le couple célèbre tout au début de la chanson les personnes qui ont souffert avant eux pour qu'eux puissent arriver à leur position sociale : "Je ne peux pas croire que nous y soyons arrivés, c'est ce pourquoi nous sommes reconnaissants". Avant de dérouler le clip et de se promener sous les dorures du Louvre.

Comme le soulignent de nombreux internautes sur Twitter, cette vidéo interroge également le lien qu'entretiennent les élites noires avec l'Art, alors que les peintre·tresse·s noir·e·s sont quasiment invisibles au Louvre, tout comme les personnages noirs.

Ce n'est pas la première fois que le "power couple" met en lumière le plus grand musée du monde. En 2014, ils avaient publié des photos d'eux en visite privée avec leur fille Blue Ivy. Ils avaient aussi pris une photo devant La Joconde. Scène que l'on retrouve dans le clip.

Le réalisateur enchaîne ensuite sur un plan du couple devant la victoire de Samothrace. Devant la statue, Beyoncé raconte son goût du luxe : "Nous le vivons somptueux, somptueux, j'ai des vêtements chers, j'ai des habitudes chères". Devant les marches, des danseuses noires en body investissent l'espace.


L'un des plans principaux du clip est tourné devant Le sacre de Napoléon du peintre Jacques Louis David. On y voit l'impératrice Joséphine cette héritière de terres et d'esclaves en Martinique couronnée par son mari, Napoléon. Ce dernier a réautorisé l'esclavage qui sera définitivement aboli en France seulement en 1848. Comme le fait remarquer le magazine américain Rolling Stone, le tableau est "réduit à un simple papier peint" alors que la danse de Beyoncé et des huit femmes qui l'accompagnent "remplace un symbole ornemental de l'autorité des blancs par la célébration de corps noirs en mouvement".

Plus loin, dans le plan rapproché Des Sabines peint par le même Jacques Louis David, certain·e·s y voient le symbole de l'oppression des femmes par les hommes et notamment de celles des femmes noires par les hommes blancs.

Apeshit dénonce également l'objectification des noirs et notamment des femmes noires en opposant Le portrait de Madame Récamier à deux danseuses à ses pieds dont la position et les voiles imitent le meuble sur lequel le personnage du tableau est posé. Depuis ce tableau, ce type de chaise longue aux bords relevés est appelé Récamier. Juliette Récamier est une salonnière de l'époque napoléonienne, amie de la grande opposante à l'empereur Germaine de Staël (Napoléon dira de Madame de Staël : "J'ai quatre ennemis, la Prusse, la Russie, l'Angleterre et Madame de Staël"). Le tableau est une nouvelle fois l'oeuvre du peintre Jacques Louis David.

Dans le clip, on peut identifier les rares personnages noirs présents au Louvre, comme ces hommes qui ne sont que serviteurs sur la toile des Noces de Cana de Véronèse, qui apparaissent comme des ombres. Mais aussi cet homme sur Le Radeau de la Méduse devant lequel chante Jay-Z.

En prenant comme symbole la statue d'Hermès rattachant sa sandale qui a un genou à terre, Beyoncé et Jay-Z fait référence aux joueurs de NFL, la Ligue nationale de football américain, ayant posé un genou au sol pour dénoncer les violences commises sur les noir·e·s.

Comme le souligne une étudiante américaine en histoire de l'Art sur Twitter, Heidi Herrera, en posant en body couleur chair devant la célébrissime Vénus de Milo, Beyoncé veut redéfinir les standards de beauté trop souvent focalisés sur les femmes blanches. Alyx Taounza-Jeminet, une ancienne étudiante en art fait elle le parallèle entre la Vénus de Milo et la Vénus Hottentote, une femme noire réduite en esclavage au XIXe et exhibée en Europe pour se moquer de son physique.

Vers la fin du clip Apeshit, on aperçoit le Portrait d'une femme noire de la peintresse Marie-Guillemine Benoist datant de 1800. Comme le souligne Heidi Herrera, reprise par le Washington Post, c'est l'une des seules représentations de femmes noires dans la peinture blanche jusqu'au XXe siècle. Selon la fiche du tableau sur le site du Louvre, "peindre la carnation noire était un exercice rare et peu enseigné car jugé ingrat. Le regard grave, la pose calme et le sein dénudé donnent au modèle anonyme la noblesse d'une allégorie, peut-être celle de l'esclavage récemment aboli".

Comme le souligne le magazine américain Rolling Stone : "Beyoncé et Jay-Z se sont lancé dans l'interjection du noir dans un espace qui ne leur a jamais donné beaucoup de valeur, le revendiquant dans l'une des pièces maîtresses de la culture européenne avec une joyeuse attitude de défi."

Oui, le couple Knowles-Carter se complaît dans l'auto-célébration et met en avant sa réussite. Mais cette réussite peut être mise au service de la lutte pour les droits des personnes noires et leur visibilité dans le monde des arts.

Actuellement en tournée pour le On The Run Tour II, Beyoncé et Jay-Z seront en France le 14 et 15 juillet au Stade de France et le 17 juillet à Nice.