L'interview girl power de Camélia Jordana

Publié le Vendredi 19 Juillet 2019
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Camelia Jordana au festival de Cannes pour le documentaire "Haut Les Filles" le 21 mai 2019
Camelia Jordana au festival de Cannes pour le documentaire "Haut Les Filles" le 21 mai 2019
Dans cette photo : Camélia Jordana
De "Nouvelle Star" à chanteuse engagée et actrice césarisée, Camélia Jordana a opéré une métamorphose passionnante depuis ses débuts. Interview "Girl power" avec une féministe qui donne de la voix.
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Jeune pousse découverte dans l'émission Nouvelle Star, Camélia Jordana s'est épanouie au fil des années et des projets. On connaissait son grain de voix unique, rauque et délicieusement soul, elle s'est révélée talent brut sur grand écran, où elle a été couronnée d'un César du meilleur espoir féminin en 2018 pour sa prestation dans Le Brio. Camélia a pris de l'épaisseur, gagné en profondeur et surprend par son engagement militant. Là où nombre de ses consoeurs se carapatent de peur de faire trop de bruit, elle pousse le son.

On la découvre féministe convaincue, férue de politique, impatiente de bâtir une société plus solidaire et égalitaire. Elle pose en Marianne seins nus, signe des pétitions, se lance des défis au cinéma, étonne et détonne dans un showbiz souvent atone. Et chante ses convictions sur un bel album aux allures de manifeste, Lost, récompensé par une Victoire de la Musique. Perdue, Camélia ? Elle semble pourtant avoir les pieds fermement plantés dans cette époque qu'elle rêve de réenchanter.

Nous avons questionné (par mail) l'artiste protéiforme avant son concert au festival Lollapalooza Paris ce dimanche 21 juillet sur ses inspirations, ses révoltes et ses combats.

Terrafemina : On te découvre de plus en plus engagée. Te considères-tu féministe ?

Camélia Jordana : Oui, je pense avoir toujours été féministe sans même le savoir. Ma mère a grandi dans une famille qui lui transmettait des valeurs magnifiques, tout en lui imposant des interdits fous. Elle nous a toujours voulues libres. Je crois qu'elle nous a transmis ce délire de liberté malgré elle.

Dans le film Curiosa sorti cette année, tu as exploré la sexualité féminine et joué nue. Cela a-t-il été un challenge ?

C.J. : Cela a été une grande libération pour moi. La réalisatrice Lou Jeunet donnait tant d'amour à ses acteurs qu'il devenait ludique d'être nue et de jouer la sexualité de ces personnages.

Porter tes cheveux au naturel comme tu le fais de plus en plus régulièrement, c'est un acte militant ?

C.J. : J'ai l'impression qu'en France, ça l'est depuis un vrai moment, oui. Il semble normal en France de faire des remarques à une femme qui porte des cheveux frisés...

Tu viens de tourner le film Soeurs d'armes de Caroline Fourest sur les combattantes kurdes (au cinéma le 9 octobre 2019). Pourquoi tourner un tel projet te paraissait-il nécessaire ?

C.J. : Les femmes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et les peshmergas, ces combattantes kurdes, sont les héroïnes des temps modernes. J'ai adoré le fait de pouvoir incarner l'une d'entre elles, l'une de ces femmes du monde entier qui quitte leur vie et leur famille pour pouvoir défendre des vies.

Tu fais partie des signataires du manifeste des Femmes engagées des métiers de la musique pour lutter contre le sexisme et la misogynie dans le milieu. Toi-même, en as-tu été victime ?

C.J. : On me demandait récemment "l'industrie musicale est-elle sexiste ?". Le monde entier est sexiste. Donc l'industrie musicale comme le reste du monde l'est. On voit des femmes de plus en plus nombreuses à des postes qui restaient exclusivement masculins il y a encore très peu de temps. Les choses avancent, doucement.

As-tu senti une évolution des choses depuis le raz-de-marée #MeToo ?

C.J. : En France, non, je vois toujours les mêmes beaufs sortir quotidiennement les mêmes débilités.

Tu dis ne pas avoir vraiment ressenti l'émergence d'une sororité. Explique-nous.

C.J. : Je pense que la sororité est une chose établie dans la culture africaine, asiatique et afro-américaine. Sud-américaine aussi. Mais dans les cultures occidentales, caucasiennes, les femmes ont toujours été menées à la baguette. On leur a appris comment être la meilleure femme, avoir la plus belle robe, être la meilleure cuisinière, posséder la plus belle maison et la plus belle voiture.

Je pense qu'en dehors des grandes révolutions, les femmes n'ont pas été encouragées à se serrer les coudes, mais plutôt à entretenir cette concurrence et ces jalousies assez communes finalement. Il vous suffit de marcher dans les rues de Paris pour voir que les regards sont rarement tendres entre femmes, à quelques exceptions près.

Camélia Jordana
Camélia Jordana
Dans cette photo : Camélia Jordana

Que doit-on faire pour la visibilité des femmes dans la musique ?

C.J. : Leur laisser tout l'espace qu'elles méritent sans attendre d'elles qu'elles rentrent dans les cases attendues et espérées de l'industrie. On n'aura toujours qu'une arabe à la mode, qu'une blonde aux yeux bleus portant les cheveux longs à la fois... là où plein d'hommes peuvent être du même type, créer le même genre de musique et être successful en même temps, parce qu'il est établi dans l'industrie que ça peut rapporter de l'argent, donc banco ! On y travaille encore pour les femmes...

Les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans ta vie ?

C.J. : Ma mère, évidemment, pour sa soif de liberté et son goût de la vie.


Frida Kahlo pour son engagement, sa liberté et le lien qu'elle avait à son art.


Et Christiane Taubira qui est une femme politique qui nous montre que les prises de décisions sont possibles lorsque d'autres lui sont imposées et et qu'elles ne sont pas encore avec elle. Pour sa langue, aussi. Je trouve cela bien regrettable qu'elle soit la seule à maintenir cette élégance de la langue française. Je considère cela comme nécessaire pour une personne au pouvoir et représentant un peuple.
Christiane Taubira au gala Amnesty International le 21 juin 2018
Christiane Taubira au gala Amnesty International le 21 juin 2018
Dans cette photo : Camélia Jordana

L'héroïne de fiction que tu adorais enfant ?

C.J. : Matilda. Elle est bizarre et a des super pouvoirs.

L'héroïne de série dont tu es fan ?

C.J. : Le personnage de Lena Dunham dans Girls.


L'avancée en matière de droits des femmes que tu attends toujours ?

C.J. : Des tampons sans produits néfastes pour le corps de la femme... L'épilation indolore et les douleurs des règles calmées. Ça, c'est la base. Enfin, qu'une femme qui décide de donner son nom avec celui du père de leur enfant plus de 3 mois après la naissance de l'enfant puisse le faire, et ce sans l'autorisation du père. Ce qui n'est évidemment pas le cas dans la situation contraire...


Ton mantra pour te rebooster ?

C.J. : J'invoque le bon et le juste.

Qu'est-ce qui te révolte encore en tant que femme ?

C.J. : De ne pouvoir m'habiller comme je le souhaite en France sans avoir tous les hommes qui me matent ou font des remarques toute la journée. Comme n'importe quelle femme, hein !

Camélia Jordana, Album Lost

En concert au festival Lollapalooza Paris dimanche 21 juillet 2019 à 13h45 (Main Stage 2)

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