Ce top-model veut se débarrasser des mannequins "plus size"

Publié le Jeudi 06 Octobre 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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La mannequin Stefania Ferrario n'est pas en guerre contre sa profession, mais elle se bat contre les mots : pour elle, l'usage de l'expression "plus size" pour qualifier tous les top-models qui dépassent la taille 36 contribue à fixer un idéal de beauté unique et standardisé. Pour body-positiver, surveillez votre langage !
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Si les mots se contentaient d'être des mots, on ne les craindrait pas autant. Mais ils ne sont jamais anodins ou insignifiants : au fil du temps, chaque mot se gorge d'histoire et de culture jusqu'à porter, qu'on en soit conscient ou non, des connotations qui dépassent son sens premier.

Et c'est exactement pour cette raison que la mannequin australienne Stefania Ferrario est partie en guerre contre le langage, et plus précisément, contre le mot "plus". Pour elle, ce mot qu'on croit positif lorsqu'il sert à qualifier une top-model qui dépasse les mensurations habituelles des podiums, renforce en fait la standardisation d'un idéal de beauté unique.

Beaucoup de magazines féminins et de femmes elles-mêmes ont adopté l'expression "plus size", la considérant comme étant un symbole d'empowerment, le signe qu'on acceptait et qu'on aimait son corps. Mais pour Stefania Ferrario, qui affiche une silhouette de rêve taille 42 et est le mannequin phare de la marque de lingerie de Dita Von Teese en Australie, le "plus size" n'est rien de plus qu'une dangereuse étiquette qu'on colle sur le dos des femmes qui ne correspondent pas aux standards de beauté actuels. C'est pour cette raison qu'il y a un an déjà, elle a lancé le mouvement #DropThePlus, afin d'alarmer les femmes sur cet étiquetage malsain qui dissimule tant bien que mal une grossophobie ordinaire.

"Toutes les mannequins qui dépassent la taille 34 sont automatiquement étiquetées 'plus size', alors que la taille moyenne des femmes aux Etats-Unis et en Europe oscille entre un 42 et un 44. Les jeunes femmes sont fortement influencées par l'industrie de la mode, et voir un mannequin qui fait leur taille, voire moins, être cataloguée comme étant 'plus size', les pousse à croire que leurs propres corps sont plus gros qu'ils ne devraient l'être et qu'elles ne sont pas 'normales'", explique la jeune femme de 23 ans sur un post Instagram . D'où les dégâts de cette expression. En apparence innocente, c'est en réalité un véritable cheval de Troie, une porte cachée par laquelle se glissent complexes et idéalisation du corps maigre.

La polémique qui a entouré la victoire de Paola Torrente comme première dauphine de Miss Italie illustre parfaitement le bien-fondé du combat de Stefania Ferrario : les critiques s'étaient empressées de contester sa victoire, sous prétexte qu'elle avait "trop de chair" pour participer au concours ou qu'elle était "trop grosse". La jeune femme, immédiatement taxée de "mannequin plus size", ne fait que...du 42 !

"Nous sommes mannequins, point barre"

"Le mot 'plus' implique quelque chose de plus gros que la normale, et il donne d'office l'idée que toutes les femmes qu'on désigne par cette étiquette ne sont pas dans la norme", explique t-elle dans son interview pour le site Broadly. Il est prioritaire pour elle de se débarrasser de cette expression négative et dévalorisante, qui transporte des idéaux de beauté déformés. "Je pense que certaines étiquettes ont des impacts négatifs et qu'il est plus simple de se débarrasser d'un mot que d'essayer de changer sa connotation".

Pour expliquer son combat, Stefania confie à Broadly sa lutte pour s'accepter dans un monde où elle n'avait été confrontée qu'à une unique image de la beauté : la minceur aseptisée. "Durant toute ma jeunesse –jusqu'à environ mes 18 ans, où j'ai décidé d'accepter mon corps -, j'étais persuadée qu'il n'y avait qu'un seul standard de beauté. Et c'était le modèle du corps très mince, bronzé et parfait. J'étais obsédée par l'idée d'avoir ce corps-là. Si je prenais du poids ou si je faisais du yoyo, je vrillais. Mon corps changeait, et je ne pouvais pas changer ça, alors je me suis mise à plutôt essayer de changer ma manière de penser. J'ai dû désapprendre tout ce que la société m'avait appris. J'ai dû rejeter tout ce qui était imprimé en moi depuis mon plus jeune âge".

La très belle Australienne milite également pour que les marques et les magazines arrêtent de se servir du "plus size" pour redorer leur blason. Ils s'en emparent pour jouer la carte de la subversion, pour se faire un coup de pub plutôt que de s'employer à donner une véritable visibilité à des corps différents de la sempiternelle taille 34. Les mannequins dites "plus size" sont utilisées pour faire réagir un public gavé aux silhouettes longilignes, avant d'être jetées tout aussi vite. Exemple ? En 2011, Vogue Italie frappe un grand coup en mettant en couverture Tara Lynn, Candice Huffine, and Robyn Lawley, attablées en petite tenue autour d'un plat de spaghettis . Six ans après cet énorme buzz, aucune fille dépassant la taille 36 n'a eu sa place à nouveau en couverture. Pourtant, "cela devrait être naturel, les mannequins devraient être sollicitées parce qu'elles sont incroyables, pas parce qu'elles font du 34", s'agace Ferrario. S'il reste du chemin à parcourir, se battre pour rétablir des standards de beauté qui correspondent de plus près à la réalité de nos corps n'en demeure pas moins une tâche essentielle : mais aussi dur soit le combat, on ne doute pas que Stefania Ferrario sera de taille.