Société
"Ne rien laisser passer" : Marie Laguerre revient sur son procès contre un cyberharceleur
Publié le 24 novembre 2022 à 10:30
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le 18 novembre dernier, deux à trois mois d'emprisonnement avec sursis ont été requis à Nancy contre un homme accusé de cyberharcèlement. La victime, Marie Laguerre, symbole de la lutte contre le harcèlement de rue, revient sur ce procès pour Terrafemina.
"Ne rien laisser passer" : Marie Laguerre revient sur son procès contre un cyberharceleur
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Marie Laguerre, 26 ans, est devenue une figure de lutte nationale contre le harcèlement de rue depuis qu'elle a relayé, il y a quatre ans de cela, les images de son agression en plein Paris. Un homme l'avait suivie avant de la frapper en plein visage, après lui avoir jeté un cendrier à la tête. En diffusant la vidéo sur les réseaux sociaux, la jeune femme avait suscité une prise de conscience collective. Le coupable avait finalement été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à un an de prison, dont six mois ferme.

Cependant, la médiatisation de cette agression avait également engendré une vague de cyberharcèlement intense. Insultes, menaces, appels au viol. Dont le commentaire Facebook d'un internaute, sous pseudonyme : "Marie, tu as insulté et injurié d'un doigt d'honneur, un mec. Si j'avais été à sa place, j't'aurais sûrement massacrée, sale merde ! PS : T'es trop moche pour te faire draguer".

Malgré l'anonymat, une enquête ayant recoupé adresses IP, numéros de téléphone et e-mails, ont désigné un présumé coupable, le dénommé Rachid S, 42 ans. Celui-ci a été jugé au tribunal correctionnel de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Le 18 novembre dernier, deux à trois mois d'emprisonnement avec sursis ont été requis contre ce dernier pour ces "insultes publiques". Niant cependant être à l'origine des messages incriminés, Rachid S. a également nié leur caractère sexiste, rapporte Le Parisien.

Pour Terrafemina, Marie Laguerre est revenue sur ce procès éprouvant.

Terrafemina : Comment avez-vous vécu ce procès ?

Marie Laguerre : J'ai trouvé ça ahurissant. Sur le moment, j'étais juste complètement stupéfaite par ce que j'étais en train d'entendre : malgré des éléments qui constituaient- il me semble- des preuves assez solides, je me suis retrouvée face à un homme qui niait autant qu'il pouvait. Il a même semé le doute sur les captures d'écran, datées, contestant leur véracité.

Pourtant, l'adresse IP (numéro d'identification attribué à un appareil connecté au réseau Internet- ndlr) a été retracée chez sa mère. L'adresse mail associée au compte Facebook concerné est reliée à une ligne téléphonique qui était la sienne. Ce ne sont pas des éléments tirés par les cheveux. Il aurait pu reconnaître et s'excuser mais il a fait tout l'inverse, comme s'il était plus intelligent que tout le monde et au-dessus des lois. Et lâche jusqu'au bout – premièrement, devant son écran, et maintenant, face aux preuves.

Marie Laguerre revient sur le procès du 18 novembre, où deux à trois mois d'emprisonnement avec sursis ont été requis contre un homme accusé de cyberharcèlement. © Abaca

C'est un procès qui m'a coûté beaucoup de temps et d'énergie. Quand on reçoit des centaines de messages de haine, quand on est victime de harcèlement de masse, c'est difficile de constituer un dossier pour une personne en particulier. J'attends le verdict, qui sera quant à lui rendu le 13 janvier 2023.

Le prévenu a nié le caractère sexiste des messages mis en cause. Comment l'expliquer ?

M.L. : Il a effectivement nié le caractère sexiste de ce message. On lui a demandé ce qu'était le sexisme pour lui et il a un peu évité la question. Et ça m'a rappelé mon procès d'il y a quatre ans. Là, le prévenu avait presque la même défense, à savoir qu'il ne reconnaissait pas du tout le caractère sexiste de ses actes. Il niait être sexiste. On se retrouve une nouvelle fois face à un homme qui n'a aucune conscience de sa propre misogynie.

Une peine requise de deux à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 euros d'amende, est-ce suffisant à vos yeux ?

M.L. : Mettre cet homme face à ses responsabilités, c'est déjà, quelque part, une petite victoire. Mais c'est difficile pour moi de juger des peines car je ne suis pas une experte en la matière. Il me semble cependant que requérir de la prison avec sursis dans le cadre d'une affaire de cyberharcèlement c'est quand même quelque chose d'assez fort.

"Le procureur dans son discours a vraiment insisté sur la violence du cyberharcèlement, que c'est une violence qui pouvait aboutir au suicide. J'ai senti qu'il était engagé"

Ce qui également été requis au tribunal, c'est la médiatisation de l'affaire, à savoir, le fait de diffuser l'affaire dans les médias. Là encore, c'est très fort comme geste. Le procureur dans son discours a insisté sur la violence du cyberharcèlement, une violence qui peut aboutir au suicide. J'ai senti qu'il était engagé vis-à-vis de ce sujet et ne minimisait rien.

C'était une reconnaissance de ce pour quoi je lutte : porter un message, ne rien laisser passer, se lever contre l'impunité.

Du fait de médiatiser et porter à la justice une affaire de harcèlement de rue, jusqu'à cette affaire de cyberharcèlement, conservez-vous depuis quatre ans cette volonté de médiatiser justement, et de faire exemple ?

M.L. : Complètement. Si je faisais ça toute seule dans mon coin, juste pour moi, ce serait vraiment difficile à vivre. C'est extrêmement éprouvant moralement les procès, ca prend du temps et de l'argent. Ce qui donne du sens et de la force à tout cela c'est le fait que ça résonne au-delà de mon cas.

Ce n'est pas moi, Marie Laguerre, qui a été insultée, c'est toutes les femmes qui ont été insultées. Ce n'est pas mon cas personnel. Ce monsieur, il ne me connaissait pas en tant que personne. Il a écrit car j'étais une femme qui prenait la parole publiquement après son agression.

"On se retrouve une nouvelle fois face à un homme qui n'a aucune conscience de sa propre misogynie." © BestImage

C'est très rare de porter ce genre d'affaires au tribunal. J'agis pour que tout ça ait une portée collective. Les militantes féministes, et les femmes qui prennent la parole de manière générale, sont victimes de violences, et c'est terrible. Si ça peut également empêcher certaines personnes de harceler, ce serait super.

En parler tout court, c'est déjà super important. Le cyberharcèlement ne se limite évidemment pas aux femmes. Il existe aussi à l'école par exemple. Mais dans mon cas, ca m'est arrivé car je suis une femme.

La lutte contre le cyberharcèlement et la lutte contre le harcèlement de rue sont-elles liées entre elles ? L'une est-elle davantage prise en compte par la justice à vos yeux ?

M.L. : Il faut savoir qu'il y a quatre ans mon agresseur a été jugé pour "violences aggravées", et pas pour agression ou harcèlement sexuels. Ce qui était une déception. Sachant qu'il y avait des témoins qui pouvaient corroborer mes dires, mais ça n'a pas été retenu. Donc ce n'est vraiment pas plus facile...

"Ce n'est pas moi, Marie Laguerre, qui a été insultée, c'est toutes les femmes qui ont été insultées." © Abaca

Mais oui, ces deux luttes sont très similaires. Dans les deux cas, on observe une impunité énorme. Mais aussi une espèce d'anonymat – le fait de croiser une personne qui vous agresse, et bon courage pour le retrouver. Sans oublier la sensation d'isolement que vous éprouvez. Dans les deux cas la victime est isolée, sans défense. Le message envoyé, enfin, est le même. On vient agresser des femmes dans l'espace public. On les oblige au silence.

On leur dit qu'elles n'ont pas leur place dans l'espace public, que c'est l'agresseur qui décide, qui "tolère", que l'on doit supporter cette situation et leurs commentaires – sur notre physique, notre tenue. De même, quand on est médiatisée comme je le suis et que l'on prend cher, on nous dit "ferme tes comptes, dans ce cas là". Ce qui veut encore dire "ferme ta gueule".

Il y a quatre ans, vous diffusiez la vidéo de votre agression en pleine rue. Cette année, ce sont également les 5 ans de la révolution #MeToo. Quel bilan tirez-vous de tout cela ?

M.L. : Je constate une libération de la parole, qui s'est accompagnée d'une libération de l'écoute. Des concepts comme le sexisme ordinaire (les blagues au travail par exemple) sont plus familiers du grand public. Mais les personnes qui ont le pouvoir sont toujours bien installées. Peu d'hommes puissants sont tombés. Les personnes qui se sont retrouvées face à la justice dans le cadre de mes procès, sont des personnes plutôt précaires...

Et à côté de cela, Luc Besson ou Gérard Depardieu dorment tranquilles. Les backlash sont indéniables. Par exemple, je pense qu'aujourd'hui le corps des femmes est encore plus sexualisé qu'avant. J'observe une énorme banalisation en ce sens. Cela nous renvoie au harcèlement de rue, car quand le corps des femmes est sexualisé au quotidien, on va la voir comme objet sexuel avant de la voir comme être humain. L'augmentation de la prostitution mineure est un phénomène qui est lié à cette sexualisation.

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