176 femmes tuées par des hommes en 2019 : les chiffres alarmants des féminicides en France

Publié le Mardi 18 Août 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La dernière mobilisation (historique) de #NousToutes.
La dernière mobilisation (historique) de #NousToutes.
En un an, le nombre de féminicides a considérablement augmenté en France. Des données alarmantes, qui suscitent l'indignation des militantes féministes et exigent des mesures rapides.
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146. C'est le nombre de féminicides comptabilisés en France par le ministère de l'Intérieur concernant l'année 2019, dans le cadre de l'enquête nationale de la délégation aux victimes, constituée par les services de police et de gendarmerie. Vertigineux, oui, mais ce n'est pas tout. En 2018, ce chiffre officiel était de 121. Le nombre de féminicides a donc augmenté de 21 % en un an seulement. Sur ces 146 victimes, 38 avaient déjà signalé aux forces de l'ordre des violences au sein de leur couple et 26 d'entre elles avaient déposé plainte au commissariat. Rappelons qu'en France, 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite.

Usage d'une arme blanche, d'une arme à feu et strangulation constituent les principaux modes opératoires de ces crimes, qui prennent place au sein-même du domicile (pour 76% de ces affaires), et font généralement suite à une dispute.

Une fois posés ces détails systématiques, demeure une grande question : pourquoi le fléau des féminicides s'accroît-il ? L'interrogation fait mal, près d'un an après le lancement du Grenelle des violences conjugales mis en place par l'ancienne secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa.

Tant et si bien que dans les pages du Monde, Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis, en appelle à un bouleversement global, notamment "au niveau de la police et de la justice, pour que les femmes soient écoutées lorsqu'elles vont déposer plainte, qu'on les croie, que l'on puisse prendre les mesures de protection qui s'imposent".

Ernestine Ronai n'est pas la seule à invoquer les grands moyens. Car ce funèbre bilan a suscité l'indignation des militantes féministes, comme Caroline De Haas, l'instigatrice du collectif Nous Toutes. Dans un communiqué de presse en réaction à l'étude annuelle sur les morts violentes au sein du couple, celle-ci l'affirme sans le moindre détour : "Sans politiques publiques ambitieuses, les féminicides ne diminueront pas".

"Le système ne fonctionne pas"

L'observation est lucide, et elle n'est pas neuve. Suite au meurtre de Sylvia Walter en novembre 2019, tuée à coups de couteau par son mari, Caroline De Haas s'adressait déjà au ministre de l'Intérieur de l'époque Christophe Castaner et à l'ex-garde des Sceaux Nicole Belloubet : "Des femmes meurent. L'État ne les protège pas. Réagissez". Il s'agissait là du 131e meurtre conjugal constaté en France depuis le début de l'année. Et la ministre de la Justice elle-même l'avait alors déploré au micro d'Europe 1 : "Collectivement, notre système ne fonctionne pas pour protéger ces femmes, et que c'est un drame". Un flagrant aveu d'impuissance.

Mais qui n'est pas pour autant synonyme de fatalité. Car les propositions ne manquent pas. Dans son communiqué, #NousToutes en appelle, plus qu'à une meilleure communication, à une augmentation des moyens financiers et humains mis en oeuvre pour prévenir les féminicides. La proposition ? Mettre en place un plan d'urgence d'un milliard d'euros comprenant un "plan d'éducation obligatoire" dès le plus jeune âge, une formation des forces de l'ordre (mais aussi des magistrat.e.s et professionel.le.s de santé), ou encore l'ouverture de nouvelles places au sein des centres d'hébergement bien souvent surchargés. Pour le collectif féministe, le nombre de femmes assassinées est "insupportable" mais, passé le désarroi, il exige l'action immédiate : "Sans moyens, pas de mesures ambitieuses et massives. Sans mesures ambitieuses et massives, pas de diminution des violences ni des féminicides."

Une vraie formation professionnelle, des politiques publiques plus considérables, un budget conséquent, une mobilisation concrète, une meilleure prise en charge des victimes de violences conjugales, mais aussi de meilleurs moyens de prévention ("outil incontournable de tout changement social d'ampleur", avance Caroline De Haas), voilà pour les attentes actuelles face à un chiffre qui, selon le collectif Féminicides par compagnons ou ex, serait-même une sous-estimation - le collectif féministe dénombrerait quant à lui pas moins de 152 féminicides.

Mais alors que le gouvernement a avant tout communiqué sur le déploiement, dès la rentrée prochaine, des premiers bracelets anti-rapprochements destinés aux conjoints violents, les réponses officielles à cet état des faits semblent encore bien minces.