Culture
6 audacieux films de Noël LGBTQ pour changer de "Love Actually"
Publié le 18 décembre 2020 à 17:51
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Sachez-le, il y a une vie après "Love Actually". Si si, je vous assure. Genre plus vaste qu'on ne pourrait le croire, le film de Noël accorde une place de plus en plus notable aux voix queer. Et cela donne de belles curiosités. Tour d'horizon par le vidéaste Docteur Pralinus.
"Carol" de Todd Haynes avec Cate Blanchett et Rooney Mara. "Carol" de Todd Haynes avec Cate Blanchett et Rooney Mara.© StudioCanal
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A l'instar des sempiternels repas de famille (qui s'éternisent- voir notre guide de survie prévu à cet effet), les films et téléfilms de Noël sont des passages obligés de cette période. Pleins de clichés, de couleurs, de sentiments sucrés comme des bonbons... Et diablement monochromes, aussi. Majoritairement blancs et hétéros, les personnages qui occupent l'affiche donnent le ton d'un cinéma peu réputé pour son caractère inclusif.

Mais petit à petit, les choses changent, et c'est tant mieux. Rien que cette année, chaînes et services de streaming américains ont proposé trois films des fêtes ouvertement queer : Happiest Season (Ma Belle-famille, Noël et moi chez nous) avec Kristen Stewart, The Christmas House et The Christmas Setup. Des alternatives bienvenues à un univers culturel rarement LGBTQ. Rarement, oui, et pourtant... Les exceptions ne manquent pas.

Le Docteur Pralinus pourrait vous le confirmer d'une voix enthousiaste. Sur YouTube, le Docteur (ou Théodore pour les intimes) étale sa "Cuculture" en décryptant une vidéo après l'autre la pop culture queer et girly. Et le fait plutôt très bien. Pour Terrafemina, l'expert s'est donc penché sur le meilleur des films de Noël queer. Des oeuvres qui bien souvent déboulonnent les genres et (d)étonnent dans ce paysage cinématographique balisé.

En voici six à ne surtout pas manquer.

"Breakfast with Scot" de Laurie Lynd (2007)
"Breakfast with Scot" de Laurie Lynd (2007) © Miracle Pictures

Ça raconte quoi ? Après la mort tragique de sa mère, le jeune Scot est recueilli par son oncle et la compagnon de ce dernier. Une adoption temporaire qui va bousculer leur petit confort. Surtout que Scot est un jeune garçon plein de surprises. Il aime le patinage artistique et les chants de Noël, se maquiller et embrasser ses copains.

L'avis du Docteur : "L'un de mes préférés dans cette liste ! Ce n'est pas simplement un film de Noël mais un BON film de Noël, à savoir, très feelgood et avec plein de bons sentiments. Certes, les personnages sont tous blancs et privilégiés, mais l'enjeu central est vraiment sensé : celui de la famille choisie, thématique LGBT illustrée à travers le regard de cet enfant, Scot (Noah Bernett), qui souhaite rester aux côtés du couple formé par Eric (Tom Cavanagh) et Sam (Ben Shenkman), et non pas la famille qu'on lui assigne.

C'est d'autant plus intéressant que le personnage d'Eric, ancien champion de hockey, n'est pas non plus un modèle hétéronormatif traditionnel. Et que dans sa relation avec Sam, il n'y a jamais de réflexions insistantes et déplacées sur "qui est la maman, qui est le papa"... De plus, tout ce qui vit ou a vécu Scot aussi perçu avec une certaine pudeur.

Comme dans beaucoup de films de Noël, l'enfance est au premier plan, et elle permet aussi d'évoquer les enjeux de la masculinité, l'homophobie intériorisée (Eric craint de "rendre [Scot] gay" Scot) par le biais du regard d'un gosse tour à tour drôle, flamboyant, attachant."

"Ma belle-famille, Noël et moi" de Clea DuVall (2020)
"Ma belle-famille, Noël et moi" de Clea DuVall (2020) © Hulu

Ça raconte quoi ? Quiproquos en série et embarras attendu pendant les fêtes de Noël, lorsqu'une jeune femme découvre que sa petite-amie n'a pas fait son coming-out auprès de sa famille super conservatrice.

L'avis du Docteur : "C'est une version lissée du très drôle Un Noël très très gay de Rob Williams, film de Noël LGBTQ beaucoup plus 'campy', mais on retrouve les mêmes personnages, des parents qui ne savent pas que leur fils/fille est gay et essaient de le/la caser dans un couple hétéro au partenaire qui ignorait que son/sa partenaire n'avait pas fait son coming-out...

Mais si Un Noël très très gay était spécialement destiné à un public gay, dans un contexte de sorties direct-to-video riche en productions similaires (je pense notamment à Another Gay Movie de Todd Stephens), Ma belle-famille, Noël et moi est beaucoup plus 'grand public' et prend place dans un cadre huppé et cossu, pour ne pas dire friqué.

C'est un film de Noël sympathique, moins 'film gay' à proprement parler que film qui se réfère à la culture gay mainstream en surfant notamment sur la réappropriation sur les réseaux sociaux de Kristen Stewart en tant qu'icône bisexuelle, mais aussi en employant deux drag queens emblématiques tout droit issues de l'émission de téléréalité à succès RuPaul's Drag Race : Jinkx Monsoon et BenDeLaCreme.

Le genre du film de Noël implique toujours un contexte familial. C'est le cas ici puisqu'il est évidemment question du coming-out et par-là même de la peur, celle de ne plus être aimé·e / acceptée·e par ses parents. Or, même si on a eu notre lot de films sur le sujet, on a encore besoin de films qui parlent du coming-out, car c'est un enjeu important. Le jour où ce ne sera plus si essentiel alors on aura moins besoin de ces récits populaires."

"Tokyo Godfathers" de Satoshi Kon (2003)
"Tokyo Godfathers" de Satoshi Kon (2003) © Sony Pictures

Ça raconte quoi ? Sans-abris frigorifiés dans un Tokyo hivernal, le désabusé Gin, la jeune ado Miyuki et la femme transgenre Hana vont vivre de folles aventures en recueillant... un bébé, abandonné dans les ordures. En ce soir de Noël pas comme les autres, parviendront-ils à retrouver la famille du nourrisson ?

L'avis du Docteur : "Voilà un film d'animation réalisé par un cinéaste cisgenre, le regretté Satoshi Kon (Perfect Blue, Paprika), d'où certainement une légère confusion dans la manière de genrer le magnifique personnage queer de Hana... alors que tout le monde est d'accord aujourd'hui pour dire que c'est une femme transgenre !

Tout au long de Tokyo Godfathers, même avant de recueillir ce bébé, Hana exprime son désir d'être mère, mais sans jamais être prise au sérieux. Du trio de protagonistes, elle reste la plus exclue de tous, puisque femme transgenre sans-abri dans une société où l'on retire même aux femmes sans-abri cisgenres leur condition de femme.

Satoshi Kon nous parle de féminité(s) et de maternité donc, mais dans un film classique de Noël, riche en rebondissements en série - très hollywoodiens – et en personnages meurtris au coeur d'or, hantés par leur passé. Sans oublier ses allusions évidentes au divin enfant et aux Rois Mages, auquel le trio principal se réfère.

Des codes revisités de manière crue et réaliste mais aussi avec fantaisie et dynamisme – l'animation de la gestuelle d'Hana est tout simplement extraordinaire en ce sens. Tokyo Godfathers nous renvoie également au Chant de Noël de Charles Dickens. Les personnages sont trois, comme les trois fantômes du célèbre livre, et eux aussi vont affronter leur passé toute une nuit durant, aussi bien leurs regrets que leurs espoirs.

Et ce sans jamais que Satoshi Kon ne traite leur exclusion des célébrations traditionnelles avec trop de pathos cependant : au contraire, ce film-là est aussi une vraie comédie burlesque."

"Mysterious Skin" de Gregg Araki (2004)
"Mysterious Skin" de Gregg Araki (2004) © Tartan Films

Ça raconte quoi ? D'un côté, le séduisant Neil, jeune travailleur du sexe s'impatientant de quitter son trou paumé pour les rues de New York. De l'autre, le mystérieux Bryan, convaincu d'avoir été enlevé par des forces extraterrestres durant son enfance. Et entre ces deux garçons, un événement, indicible. Mais quoi ?

L'avis du Docteur : "Dans le Top du top ! Mysterious Skin est un film incroyable, toujours sur le fil du grotesque mais qui n'y sombre jamais. Un tour de force en terme de représentation puisqu'il nous parle d'un jeune travailleur du sexe homosexuel (Neil, incarné par Joseph-Gordon Levitt), mais aussi de deux personnages queer, dont un personnage asexuel (Bryan, incarné par Brady Corbet).

C'est un vrai film de Noël, comme le démontre la scène où Neil et son amie Wendy (Michelle Trachtenberg) contemplent la neige qui tombe avec une musique totalement féerique en fond sonore, ou encore cette séquence finale poignante où, en pleine nuit, résonne le choeur des enfants, chantant Christmas Eve au pied de la porte. Encore une fois, c'est aussi un film qui, Noël oblige, renvoie en permanence à l'enfance.

Par-delà le traumatisme subi par Neil et Bryan, on pourrait parler au contraire de la relation très "pure" et saine qui unit les jeunes personnages. Je pense notamment à la douceur qu'exprime Eric (Jeffrey Licon) envers son ami Bryan. Mais aussi aux scènes où Neil rencontre ses clients. Des séquences qui déstigmatisent vachement la représentation des travailleurs du sexe aussi, en considérant la prostitution comme un vrai travail.

C'est enfin un film sur la famille, dysfonctionnelle, déconstruite. Le réalisateur Gregg Araki saisit la condition des personnes queer et l'aliénation des parents. Dans la famille de Bryan, la figure paternelle brille par son absence, tout en étant viriliste, défaillante. A ce titre, on retrouve un élément indissociable des histoires de Noël : les personnages portent en eux des tensions et non-dits, et finissent lors du dernier acte par éclater, par se dire les choses sans filtre.

C'est le cas lorsque Bryan retrouve son père, une scène particulièrement cathartique, ou lors de ce climax émotionnel final. C'est comme une forme de libération."

"Tangerine" de Sean S. Baker (2015)
"Tangerine" de Sean S. Baker (2015) © ARP Selection

Ça raconte quoi ? Au jour du 24 décembre, une plongée étonnante dans un Los Angeles interlope. Pendant que Sin-Dee, travailleuse du sexe transgenre et afro-américaine, apprend de la bouche de sa copine Alexandra que son mec Chester la trompe, le chauffeur de taxi arménien Razmik poursuit quant à lui sa traversée urbaine.

L'avis du Docteur : "C'est un film très rafraîchissant tourné avec un iPhone 5... et beaucoup d'impros. Ce qui se sent parfois. Le réalisateur Sean Baker, un homme cis blanc, a fait travailler de vraies (ex) travailleuses du sexe transgenres, Kitana Kiki Rodriguez et Mia Taylor, pour ce premier essai qui a beaucoup fait parler de lui. Il faut dire que ce qu'il propose est authentique. Kitana Kiki Rodriguez et Mia Taylor ont également participé à l'écriture. C'est super, même si cela l'aurait été tout autant de les voir réaliser et pas simplement être interprètes.

Tangerine dénote par sa grande tendresse mais aussi par son rythme. Les deux protagonistes sont extraordinaires et pourtant elles ne font que parler ! Et puis c'est également un film de Noël qui se passe sous un grand soleil, ce qui est rare. Et, tout aussi rare, c'est un film sur Los Angeles où l'on voit les personnages marcher – alors que c'est une ville qui, au cinéma surtout, n'est perçue qu'à travers la circulation permanente des voitures.

On assiste même à une séquence de chant de Noël, lorsqu'Alexandra livre en public une interprétation mélancolique et vraiment chouette de "Toyland", la célèbre chanson de Doris Day. De par la relation de cette dernière avec sa copine Sin-Dee, on en revient encore et toujours à cette précieuse thématique LGBT+ : celle de la famille choisie, d'un modèle alternatif qui n'est pas celui que la société nous assigne."

"Carol" de Todd Haynes (2015)
"Carol" de Todd Haynes avec Cate Blanchett et Rooney Mara. © StudioCanal

Ça raconte quoi ? La liaison entre Carol, énigmatique mère bourgeoise, et Therese, jeune vendeuse dans un magasin de jouets. Une relation tabou dans l'Amérique puritaine des années cinquante.

L'avis du Docteur : "C'est drôle car il y a vraiment un monde entre ce drame finalement très traditionnel et linéaire et le Todd Haynes que j'aime le plus : Velvet Goldmine, film fou et éclaté sur le glam rock. Au moins, on peut dire que la réalisateur s'adapte toujours à son sujet !

Avec Carol, le cinéaste a beau être un homme, on est vraiment dans le female gaze, tant il se préoccupe des subjectivités et des émotions de ses personnages féminins, Carol (Cate Blanchett) bien sûr mais aussi Therese (Rooney Mara). Celle-ci est hypnotisée par Carol, personnage mystérieux qui semble la vampiriser...

Mais Carol est aussi une femme vulnérable, qui a toujours l'air d'être bien plus aux yeux des autres, et notamment des autres femmes, que ce qu'elle n'est en réalité. Noël oblige c'est un film très "froid" voire glacial, qui nous parle beaucoup d'enfance, jusqu'à ce que l'enfant (celui que risque de perdre Carol, en conflit violent avec son mari) devienne le coeur-même de l'oeuvre, plus encore que la relation lesbienne.

Cependant, il faut préciser que le lesbianisme et la condition des femmes et des mères, sont deux enjeux évidemment liés. Le lesbianisme politique notamment incite à se libérer des injonctions et de l'oppression patriarcales, des sujets qu'évoque justement Carol... et qui inspirent les scènes les plus intéressantes.

Au début du film par exemple, Carol rencontre Therese dans le magasins de jouets où celle-ci travaille. Sauf que pour les fêtes, elle ne décide pas de commander une poupée à sa fille... mais un train ! C'est une manière de briser en douceur les stéréotypes dans un lieu où le genre s'exprime énormément.

Cette transgression en dit long sur le regard de Carol, celui d'une femme qui dans cette société étouffante des années 50 n'est pas considérée comme une bonne mère, en partie car elle n'apprend pas à sa fille à être un modèle de féminité traditionnel. Plutôt audacieux."

Et pour quelques films de plus...
"Holiday Heart" de Robert Townsend avec Ving Rhames © MGM

Dans la hotte du Docteur Pralinus, on trouve également Holiday Heart, film chrétien LGBT de Noël au casting majoritairement afro-américain, donnant le la "à un personnage de drag queen flamboyante et très croyante (incarnée par Ving Rhames), conciliant queerness et religion", mais aussi A New York Christmas Wedding, production Netflix des plus magiques mettant en scène un personnage de femme noire et bisexuelle.

Ou bien encore le musical Le Chant du Missouri avec l'iconique Judy Garland. "Ce n'est pas un film gay mais un film avec une icône réappropriée par une certaine culture gay. Très feelgood !", nous explique Théodore.

Les esprits les plus curieux pourront également s'attarder sur le trash et bien-nommé Female Trouble, véritable one-woman show de Divine, drag queen emblématique du cinéma underground de John Waters. Associée aux institutions intouchables (école, famille, hétéronormativité), la fête de Noël y est sauvagement déboulonnée, à l'image de ce pauvre sapin qui finit au sol, sous les hurlements des parents. Un état d'esprit punk à souhait. Et une certaine manière de célébrer !

 

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