Et si on rattrapait illico ce classique (féministe) qui a révélé Isabelle Huppert ?

Publié le Mardi 28 Mars 2023
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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C'est un film marquant de par l'actrice qu'il est venu révéler : Isabelle Huppert. Mais c'est aussi une grande oeuvre féministe. Et si on rattrapait "La dentellière" sur Arte ?
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Pomme est une jeune femme réservée, de celles dont les silences en disent long. A 19 ans, elle vit des jours paisibles en tant qu'apprentie coiffeuse sur la capitale. Jusqu'à ce qu'elle rencontre François. Un étudiant très cultivé qui va s'exercer à bousculer sa bulle d'introvertie... Mais va surtout lui briser le coeur.

Ca, c'est le pitch de La dentellière, un classique du cinéma français qui fête cette année ses 46 ans. Mais dont la puissance est encore intacte. En 1977 (année de sortie de La guerre des étoiles, deux salles deux ambiances) ce film de Claude Goretta, adaptation d'un roman de Pascal Lainé (auréolé du prix Goncourt trois ans auparavant) vient bousculer le public français en révélant une future reine du ciné hexagonal : Isabelle Huppert.

Premier film majeur de celle que les fans surnomment amoureusement "Zaza", ce drame intimiste est surtout une grande oeuvre féministe, à rattraper de toute urgence à l'heure où résonnent davantage les voix de celles que la société a toujours ignoré.

Et cela tombe bien : Arte vous propose dès à présent de (re)découvrir cette claque sur son site et ce jusqu'au 13 mai prochain. Vous auriez tort de vous en priver...

Mais pourquoi, "féministe" au juste ?

Un film sur toutes les laissées-pour-compte

C'est simple : La dentellière prend le pouls de la condition féminine, et à travers elle de toutes les laissées pour compte des grands combats pour l'égalité.

Avec son physique juvénile et son évidente vulnérabilité, que peine à masquer son filet du voix tout aussi timide, Pomme peine à se faire entendre, à exister aux yeux des autres.

En fait, ce sont surtout les autres qui ne s'exercent guère à essayer de la comprendre. Jeune, modeste, effacée, notre protagoniste va se confronter à un système peu propice à la visibiliser, puisqu'avant tout façonné par la performance, la mise en scène de soi et l'éloquence.

D'autant plus qu'en se mettant en couple avec François, elle va rencontrer tout le milieu qui va avec : intello, bourgeois, aux antipodes de son monde à elle... Puisque monde riche d'un "capital culturel" érigé en argument d'autorité - pour reprendre les éléments de langage du sociologue Pierre Bourdieu.

Violence de classe, violence de genre : La dentellière parle de tout cela avec une infinie subtilité, à travers les traits d'une toute jeune Isabelle Huppert. Et si ces deux oppressions vous semblent avoir peu en commun, n'hésitez pas à jeter un oeil aux manifs actuelles.

Quant au mépris culturel que subissent les jeunes femmes qui ne semblent "pas assez ceci" ou "trop cela" aux yeux de certains, il semble encore très vif. Il suffit de penser à une séquence comme celle qu'a récemment dédié l'émission Quotidien aux influenceuses Polska et Tootatis, engagées contre la réforme des retraites...

La violence subie par les femmes, et plus globalement par les marginalités, toutes les personnes laissées "en marge" de notre société, est l'un des grands sujets du film au fond. Au fur et à mesure de l'intrigue, notre héroïne va peu à peu être exclue puisqu'échouant dans sa propension à se conformer aux conventions qui font la société en question : sociales, culturelles, conjugales...

Pourquoi ? Car Pomme est douce, mélancolique, sensible, solitaire. Car "elle était de ces âmes qui ne font aucun signe, mais qu'il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut poser le regard", nous dit-on. Une invitation à l'empathie qui en 2023 semble d'autant plus à contre-courant de l'ordre "normal" des choses.

Qui prend le temps de vraiment se soucier de Pomme ? Ses pensées, sa santé, son humeur ? Sa singularité ? Question douloureuse, et d'autant plus pertinente à l'heure où tous ces enjeux font le débat public : le "care" (le soin apporté à l'autre), la santé mentale, la force des introvertis.

C'est tout le contrechamp qu'aborde le film : les pressions sociales que subissent les femmes, qui les forcent à s'exprimer... Mais pas trop fort, s'il vous plaît. Enjeu que l'on retrouve dans un autre grand portrait de femme (féministe) de l'époque : Le rayon vert d'Eric Rohmer.

Ce "regard à poser", le cinéaste Claude Goretta le dédie tout entier à une femme qui semble être la figurante de sa propre histoire, alors qu'elle mériterait d'obtenir un premier rôle. Et offre par-là même à Isabelle Huppert non seulement une partition annonçant une prodigieuse carrière, mais aussi, l'une de ses plus mémorables. Alors, motivés pour une séance de rattrapage ?