Je suis pro-avortement, mais ça ne m'a pas empêché de vivre le mien difficilement

Publié le Vendredi 18 Janvier 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Je suis pro-avortement, mais ça ne m'a empêcher de vivre le mien difficilement
Je suis pro-avortement, mais ça ne m'a empêcher de vivre le mien difficilement
L'avortement est un droit qui ne devrait jamais être remis en question. Mais on ne le vit pas toujours "bien".
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J'ai toujours été une fervente défenseuse de l'avortement. Pour moi, une femme doit avoir le choix de garder ou non un embryon. Et ce choix doit être uniquement basé sur l'envie qu'elle a ou non de continuer sa grossesse. Elle peut avoir l'âge adapté, une situation stable, un ou une partenaire prêt·e à accueillir l'événement, j'estime que la décision reste sienne, même si la personne avec qui elle a créé ce qui pourrait devenir un enfant a aussi le droit de savoir.

J'ai toujours été une fervente défenseuse de l'avortement et je perds souvent mon sang-froid face aux paroles culpabilisatrices des groupes anti-avortement, qui se déclarent "pro-vie" comme par opposition aux pro-avortements, qui deviendraient alors "anti-vie".

Au-delà du statut de l'embryon (que la loi affirme être un amas de cellules), il est important de rappeler que l'IVG n'a jamais été pensé comme un moyen de contraception, ni comme un plan B. Il est aussi important de rappeler que bien souvent, lors d'une relation sexuelle, seule la femme utilise une protection (pilule, implant, stérilet), qui elle n'est jamais fiable à 100 %.

Le droit à L'IVG a été présenté par Simone Veil comme une affaire de santé publique, mais c'est aussi un moyen qu'ont les femmes de reprendre les pleins pouvoirs de leur corps. Surtout, ce n'est jamais une opération à laquelle on recourt de gaieté de coeur. L'avortement de "confort" n'existe pas.

Il y a des femmes qui le vivent mieux que d'autres, en fonction de leur personnalité ou du contexte, qui sont plus entourées, qui y sont mieux préparées. Mais d'autres aussi, le vivent difficilement, presque comme "un drame", si on reprend les mots de Simon Veil.

C'est mon cas.

Ça m'est arrivé deux fois. A 18 ans à peine, et un peu plus tard, à 25 ans. La première fois dans une relation stable et la deuxième dans une relation qui n'était pas faite pour durer. C'est celle-là qui m'a le plus marquée.

"Vous voulez toujours avorter ?"

Je ne sais pas si ça a un rapport, mais j'ai grandi dans une fratrie de trois très soudée - qui s'est plus tard étendue à cinq -, et j'ai toujours voulu beaucoup d'enfants. C'est d'ailleurs la première pensée qui m'est venue à l'esprit quand j'ai appris que j'étais enceinte (après un "putain de merde" probablement très sonore), j'ai tout de suite été triste qu'il ne s'agisse pas d'une bonne nouvelle.

J'ai bizarrement commencé à me sentir plus forte au fil de cette grossesse éclair que je n'ai jamais souhaité poursuivre. C'est étrange, un peu comme un sentiment instinctif qui transformait la jeune femme fragile que j'étais, alors que mon choix de ne pas la mener à terme était réfléchi à 100 %.

Pendant les quelques semaines qui ont suivi le test, j'ai passé tous les examens, les échographies et les consultations nécessaires. J'habitais en Angleterre à l'époque, et je trouvais que la distance de la langue et la rapidité des face-à-faces avec le personnel soignant de la NHS m'aidait à ne pas trop visualiser ce qui se passait dans mon corps. Et puis j'ai su qu'il s'agissait d'une grossesse jumelle - fait que l'infirmière a été obligée de me révéler car il pouvait "altérer ma décision".

On se dit à ce moment-là que si ladite décision vaut pour un embryon, elle sera forcément d'autant plus assurée pour deux. Et pourtant, ce n'est pas si simple. Parce que ce phénomène considéré comme extra-ordinaire au sens littéral du terme a rendu la situation beaucoup plus concrète. Plus imagée. Plus dure.

Quelques secondes après me l'avoir annoncée, l'infirmière m'a demandé "Vous voulez toujours avorter ?". J'ai répondu oui - après avoir hésité une seconde.

J'ai eu de la chance dans mon aventure, le "géniteur" ne m'a pas laissée tomber, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour toutes celles qui tombent enceinte d'un coup d'un ou plusieurs soirs. Il m'a même accompagnée à l'hôpital le jour J.

L'intervention en elle-même a duré 20 minutes en anesthésie générale. On m'a mis un masque avec du gaz anesthésiant en me demandant de penser à un souvenir heureux (mon frère qui tombe dans l'eau à force de faire le pitre au bord d'un lac en Ecosse fera l'affaire) et je me suis réveillée un peu dans les vapes mais sans séquelles. Physiques du moins.

Vouloir donner le choix sans jamais juger

Quelques jours plus tard, une bonne partie de mon entourage s'est attendue à ce que j'aille immédiatement bien, à ce que je me remette de ces dernières semaines comme si j'avais eu une mauvaise grippe. Peu comprenaient que je me sente un peu vide sans savoir vraiment quels mots mettre sur mes émotions. Et les publicités ciblées de Clear Blue n'ont clairement pas aidé à me faire penser à autre chose.

Ça a duré quelques semaines, puis je me suis forcée à tourner la page. J'ai réussi à atténuer le pincement au coeur en me disant que le jour où je verrai naître mes futur·es enfants, car j'en veux toujours autant, je les aimerai tellement que je serai heureuse que ce soit elles et eux, et de les avoir conçus avec la personne que j'ai choisie.

Aujourd'hui encore, j'y pense. Des fois, j'ai même peur de ne plus pouvoir procréer - ce qui est stupide, l'avortement ne rend pas stérile. Je n'ai jamais regretté, j'ai toujours su que je prenais la bonne décision, mais ça ne l'a pas rendue plus facile. Et ce sont deux notions à souligner.

Au fond, être pro-avortement, ce n'est pas minimiser les conséquences psychologiques ni physiques qu'un IVG peut avoir sur les femmes, ni dire qu'il y en aura forcément. C'est vouloir leur donner le choix sans jamais les juger et les accompagner dans cette épreuve en réalisant que même si elles sont sûres que c'est la meilleure chose à faire, elles peuvent aussi en souffrir.

C'est aussi insister sur le fait qu'une femme a recours à l'avortement car l'arrivée d'un·e enfant dans sa vie est inenvisageable, pour des raisons qu'elle n'a pas à justifier, que c'est son droit, et qu'il est inscrit dans la loi.