Une vieille interview de Jennifer Aniston chez Letterman ressurgit et elle fait frémir

Publié le Vendredi 26 Février 2021
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Jennifer Aniston aux Screen Actors Guild Awards le 19 janvier 2020
Jennifer Aniston aux Screen Actors Guild Awards le 19 janvier 2020
Dans cette photo : Jennifer Aniston
Il ne fait pas bon ouvrir le placard aux archives à l'ère #MeToo. La preuve avec cette vieille (et surréaliste) interview de Jennifer Aniston sur le plateau de David Letterman datant de 1998. Attention, malaise.
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Il y a décidément des archives qui vieillissent (très) mal. Alors que le documentaire Framing Britney Spears a provoqué une onde de choc salutaire, appelant à un examen de conscience sur la manière dont les médias, le show-business et le public scrutent (pour ne pas dire harcèlent) les stars féminines, une vidéo lunaire vient de refaire surface sur Twitter. Dans cette interview exhumée par les internautes, on découvre Jennifer Aniston en 1998 sur le plateau du Late Night de David Letterman, l'un des présentateurs-stars de l'époque. Un animateur célèbre pour malmener voire humilier les people qui se risquaient à un tête-à-tête avec lui.

A l'époque, l'actrice de Friends, toute auréolée de son statut de "petite fiancée de l'Amérique", est en promo pour la comédie romantique- très oubliable- L'objet de mon affection. "Jen" n'aime pas particulièrement les interviews, elle le dit. Elle est nerveuse, un peu fébrile. Elle sait que son hôte ne l'épargnera pas. "Vous me rendez nerveuse. Je vous aime, mais j'ai peur de vous", confesse-t-elle.

Questionnée par Letterman sur son rapport aux fans, la comédienne de 28 ans se lance dans une anecdote légère, décrivant une drôle de rencontre avec une admiratrice dans un sauna. Tout va bien, le public se fend la poire. Comme souvent sur les plateaux des talk-shows, on papote, on fait du "small talk", ce n'est pas très intéressant ni hilarant, mais tout le monde se force à sourire et s'esclaffe.

Jennifer est en train de raconter son vol de la veille, sa phobie de l'avion. Quand soudain, sans que l'on sache trop pourquoi, Letterman se place derrière elle (à 5'21 sur la vidéo ci-dessous) et... lui mange les cheveux. Le tout sur un grand roulement de tambour du "band" de l'émission. Malaise.

"Mais que faites-vous ?", lance l'actrice consternée, tout en essayant de conserver un sourire figé.

"Je suis désolé, ça avait un rapport avec le sauna", rétorque l'animateur, non sans lui avoir tendu un mouchoir pour essuyer son méfait dégoûtant. "C'est quelque chose que je n'oublierai jamais", réplique Aniston, visiblement secouée. "Vous m'avez fait peur, vous avez crié. Que pensez-vous que j'ai pu ressentir, moi ?", ose Letterman.

Voir l'actrice ainsi objectifiée et agressée au centre de l'arène cathodique sous les clameurs hilares du public, a quelque chose de particulièrement perturbant aujourd'hui. Jennifer Aniston était venue parler de son travail, elle s'est vue brutalement réduite à une chose que l'on peut tripoter, abuser. Une violence tant physique que symbolique dont David Letterman (qui a pris sa retraite en 2015) était familier. En effet, une autre interview tout aussi gênante datant de 2013 vient d'être déterrée dans laquelle Linday Lohan, starlette fragile sacrifiée sur l'autel de la pipolisation, se voyait infliger un cinglant : "Vous n'êtes pas censée être en cure de désintox, là ?", sur fond de rires gras. "Vous devriez vous demander pourquoi vous avez toujours des problèmes".

Paris Hilton (moquée sur son séjour en prison) ou encore Janet Jackson (pressée de se justifier sur le "nipplegate") furent elles aussi jetées en pâture, victimes du même traitement sexiste et pervers.

Si la révolution #MeToo aura permis un infime pas de côté, ces archives surréalistes appellent à nous interroger sur le regard vorace et féroce porté sur ces femmes réduites à des bêtes de foire. Et sur cette misogynie crasse déployée derrière l'implacable (et si pratique) prétexte de l'"humour". Non, ce n'était pas drôle. Non, ce n'était pas acceptable. Et cela ne l'est toujours pas.