Lora Yeniche, la rappeuse qui veut représenter la communauté des gens du voyage

Publié le Lundi 20 Février 2023
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
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Rappeuse et issue de la communauté des gens du voyage, Lora Yeniche s'amuse à mêler traditions et modernité. Rencontre avec cette artiste fière et singulière.
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Quand on lui demande comment elle se définirait, elle répond sans l'ombre d'une hésitation : "Je suis rappeuse yéniche". Lora Yeniche est fière de sa communauté nomade, fière de la représenter au point de la porter en "blaze", tel un étendard. Elle en revendique l'héritage, l'état d'esprit, la culture. Et s'amuse à en remixer les codes traditionnels pour créer son identité singulière et raconter sa propre histoire.

Repérée par Calbo du groupe Ärsenik grâce à ses freestyles postés en ligne (et ses reprises de classiques du hip hop sur Instagram), Lora Yeniche sort un premier EP Nés comme ça qu'elle balance telle une carte de visite. Nous avons rencontré cette jeune rappeuse qui s'élève contre les stigmatisations.

Terrafemina : Qui sont les Yéniches ?

Lora Yeniche : C'est une communauté nomade venue d'Europe de l'Est, principalement d'Autriche, de Suisse et d'Allemagne. En gros, ce sont les gens du voyage blonds. Les autres communautés des gens du voyage nous appellent même "les rouges" parce qu'au soleil, on rougit, on ne bronze pas ! (rires) La plupart des gens de ma famille sont blonds aux yeux bleus ou verts très clairs. Il y a en fait énormément de communautés : les Roms, les Gitans, les Manouches, les Sintis... Mais les gens confondent tout.

C'est quelque chose qui t'agace, cet amalgame ?

L.Y. : Oui, un peu. Les gens n'apprennent pas à connaître les différentes nuances et les beautés de nos communautés.

As-tu grandi sur les routes ?

L.Y. : Non, j'étais sédentaire. J'ai grandi en famille dans une petite ville près de Metz, en Lorraine, où il y a beaucoup de Yéniches. Je n'ai jamais bougé de là, mais on a gardé cet esprit de famille, la culture, les valeurs de la communauté du voyage. Je ne quitterai jamais mon clan !

T'es-tu sentie différente en grandissant ?

L.Y. : Oui, parfois. Avec le métier de mon père, qui était ferrailleur et ma mère au foyer, j'ai eu droit à des petites réflexions mesquines, notamment au collège et au lycée.

Qu'apprend-t-on dans cet environnement aussi riche ?

L.Y. : On apprend le respect : le respect des anciens, la valeur de la famille, le partage, le travail. On ne se prend jamais la tête sur des petits sujets sans importance. On vit pleinement, on aime manger, danser et rire ensemble. C'est ça, notre truc. C'est une image que beaucoup de personnes ne connaissent pas et c'est bien dommage.

Quand t'es-tu dit que tu aimerais faire de la musique ?

L.Y. : Il n'y a pas vraiment eu de déclic à proprement parler, cette envie était ancrée en moi. Je chante depuis que je suis toute petite. Suite au décès de mon père, j'ai commencé à écrire des poèmes que je lui adressais. Puis j'ai commencé à écrire sur d'autres choses et à le mettre en chanson.

J'ai travaillé et tracé mon petit bout de chemin et cela m'a amenée à rencontrer des gens du milieu qui m'ont prise sous leur aile, comme Calbo du groupe Ärsenik qui a voulu collaborer avec moi. A la base, j'ai un Master de ressources humaines, que j'ai fait pour rassurer ma mère. Mais cette voie ne me ressemblait pas. J'ai arrêté quand c'était le bon moment. Mais je ne regrette rien, c'était une bonne expérience. Demain, je peux te faire une fiche de paie, quoi ! (rires)

Dans l'imaginaire collectif, on a tendance à assimiler la communauté du voyage à un format guitare-voix.

L.Y. : Ca, ce sont les Gitans espagnols. Chez les Yeniches, on privilégie l'accordéon et les cuillères. On n'a pas besoin d'instrument : tu prends deux cuillères et tu joues de la musique ! Ma soeur en joue d'ailleurs.

Mais alors, comment as-tu choisi de te lancer dans le rap ?

L.Y. : Ma soeur écoutait beaucoup de rap et comme je partageais sa chambre lorsque nous étions gamines, j'écoutais avec elle. Je me rappelle encore du poster de Lady Laistee sur le mur de la chambre sur lequel il y avait ses paroles : "Et si j'tavais dit combien j't'aimais mon frère".

As-tu eu des modèles ?

L.Y. : Diam's m'a beaucoup inspirée. Mais aussi la rappeuse Princesse Aniès. Je suis également une grande fan d'Edith Piaf et de Dalida. Pas seulement pour leur art, mais aussi pour leur histoire. Elles m'ont beaucoup touchée.

Dans ton single Libre et déter, tu dis : "Je ne veux pas de parité, Garde ta charité". Explique-nous.

L.Y. : C'est une façon de dire que je n'attends rien des autres, qu'on se débrouille. Je suis "libre et déterminée" tout est dit dans le titre de la chanson. Je ne crie pas que je suis féministe, je n'ai même pas besoin de le dire : c'est évident dans mes actes et dans mes paroles.

Comment décrirais-tu ta "patte" ?

L.Y. : L'authenticité, le naturel. Chez les Yéniches, tout est direct, on n'y va pas par quatre chemins. Et c'est quelque chose qu'on retrouve dans mon rap : c'est cash et franc.

Dans mes clips, je revendique aussi cette imagerie : on voit par exemple la caravane. C'est ce qui fait ma force, mon caractère. Je suis la seule Yéniche qui rappe et la seule à pouvoir parler de cet héritage dans mes chansons. Je veux représenter ma communauté et en donner une image positive. Je reçois tous les jours des messages de Yéniches qui sont super contents que je les représente. Je les encourage à dépoussiérer et moderniser cet héritage.

Avec cet EP, je voulais montrer qui nous sommes, qui je suis. Je parlerai peut-être de choses plus personnelles par la suite, mais là, nous en sommes aux "présentations".

Quels sont les clichés qui t'agacent le plus concernant la communauté yéniche ?

L.Y. : "Ils ne travaillent pas". Alors qu'en fait, ils ont juste des métiers différents, des professions ambulantes. Toutes les personnes que je connais paient leurs impôts, ils font tout ce que font les autres personnes, sauf qu'ils vivent dans une caravane et une voiture. Toutes les personnes qui vivent un peu en marge de la société sont directement considérées comme "suspectes". La différence gêne. Alors qu'en fait, ces personnes sont si libres, avec un mode de vie plus simple.

Lora Yeniche,

EP Nés comme ça