"La gestion de la crise sanitaire en détention a été du grand n'importe quoi"

Publié le Lundi 25 Mai 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"La gestion de la crise sanitaire en détention a été du grand n'importe quoi"
"La gestion de la crise sanitaire en détention a été du grand n'importe quoi"
Dans certains établissements pénitentiraires, les conditions qu'ont vécu les détenus pendant le confinement révoltent les associations. Et la gestion du déconfinement ne s'améliore que très peu. Mesures de sécurité bâclées, absence d'information et de lien avec les familles, une bénévole raconte à travers les voix des premier·e·s concerné·e·s.
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Au 1er janvier 2020, les prisons françaises comptaient 70651 détenu·e·s pour 61 080 places. Une surpopulation chronique surtout observée dans les maisons d'arrêt (réservées aux détentions provisoires et aux peines qui ne dépassent pas deux ans) dans lesquelles la densité carcérale atteint 138 %.

Au total, seulement 40,9 % des cellules sont individuelles. Dans les autres cas, les occupant·e·s partagent 9 m² à deux, voire à trois avec un matelas au sol. Le 30 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour "conditions de détention inhumaines et dégradantes", sans savoir que 45 jours plus tard, le confinement aggraverait ce quotidien déjà dramatique.

"On leur a enlevé le peu de droits et de libertés qu'ils avaient, et en plus on les a surexposés au risque sanitaire", s'insurge Louise, 23 ans, étudiante en droit et bénévole à l'Observatoire international des prisons (OIP). Il y a deux ans, alors qu'elle se rendait régulièrement en prison pour animer des ateliers socio-culturels et proposer une écoute essentielle aux visiteurs avec l'association militante Genepi, elle a lancé le compte Instagram Dis-leur pour nous.

Un recueil de témoignages signés des détenu·e·s et de leurs proches qui dévoile la vie à l'intérieur des taules. Des récits qu'on entend peu, qui ont trouvé, grâce à son initiative, un moyen d'exister au-delà des parloirs.

Aujourd'hui, si elle ne fréquente plus d'établissements pénitentiaires, elle n'a jamais cessé de relayer les voix qui s'expriment via l'OIP, ni coupé le contact avec celles qui s'adressent à elle personnellement. "Je parle avec énormément de compagnes, de soeurs, de mères de personnes incarcérées", détaille la jeune femme. "Dans ce milieu, tout marche sur la confiance".

Depuis le 17 mars, elle déplore le traitement que l'on réserve à ceux et celles qui vivent derrière les barreaux. Le manque notoire d'informations, de matériel sanitaire et de considération pour les hommes et les femmes qui s'entassent dans des espaces étroits, parfois insalubres. Elle nous raconte comment, pour beaucoup, le confinement s'y est déroulé. Et le peu de clarté avec laquelle le déconfinement s'organise à son tour.

Pendant le confinement, "des droits fondamentaux jetés à la poubelle"

"Depuis le confinement, tous les détenus sont en situation punitive". Dans une lettre adressée à la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, cinq compagnes de détenus lancent un appel au secours. Elles mentionnent la suppression temporaire des parloirs et des activités, et les conséquences sur leurs conjoints. Elles abordent "l'isolement pour tout le monde" qu'implique la quarantaine, dont l'organisation est inadaptée à la vie carcérale.

Au 23 avril, la ministre de la Justice affirmait que le taux de d'occupation moyen tombait en dessous des 100 %, et annonçait le chiffre de 61 100 détenus pour 61 109 places (5000 ont été libérés à quelques semaines de leur sortie initiale). Début mai, ils étaient 59 782. Un constat qui ne parle pas aux signataires. Elles, préfèrent se concentrer sur la routine de ceux qui restent. Ou plutôt, sa paralysie critique.

"La rupture avec les liens familiaux a été très difficile", poursuit Louise. "Le parloir, c'est ce qu'ils attendent toute la semaine. Pendant plusieurs mois, ils n'ont eu que très peu de contacts avec leur entourage. Certes, il y a des téléphones dans les coursives, mais cela coûte de l'argent, et autant vous dire que le combiné n'est pas nettoyé entre chaque appel".

Le 23 mars, le gouvernement déclarait que chaque détenu bénéficierait d'un pécule de 40 euros par mois sur son compte téléphonique. A raison d'une dizaine d'euros par heure de communication, le solde disparaît vite. Louise, comme les cinq compagnes à l'origine de la lettre, jugent cette somme largement insuffisante. D'autant plus qu'il est impossible de la renflouer soi-même : l'épidémie a signé l'arrêt du travail carcéral. Reste le service postal, mais là aussi, l'acheminement demeure "chaotique", rapporte notamment une conjointe sur le site de l'OIP.

"Les détenus ont très peur de l'épidémie", confie l'étudiante, qui insiste toutefois sur le fait que certains établissements (la Santé par exemple) ont mieux gérés la situation que d'autres.

"Pendant le confinement, le silence était total, ils n'étaient pas du tout informés de la situation générale par la pénitentiaire, ni même de celle de leur propre famille. Pendant des semaines, le personnel pénitentiaire rentrait et sortait sans masque ni protection, les fouilles étaient continuées sans protection. Les promenades aussi. Beaucoup de détenus se sont d'ailleurs auto-privés de sortie pour éviter la contamination".

Et puis, elle dénonce les conditions d'hygiène. L'absence de masques et l'interdiction de gel hydroalcoolique à cause de sa composition - forcément - à base d'alcool, accroît les risques d'infection.

Rapidement, les premiers malades sont recensés. Là encore, la gestion est confuse, inégale : "Ceux qui souffraient des symptômes du Covid-19 étaient mis la plupart du temps en isolement", atteste Louise. "Parfois, on ne les informait pas sur leur propre état, ou alors on les laissait dans leur cellule. L'OIP a même reçu un témoignage d'une personne dont le co-détenu présentait des signes inquiétants. Il a appelé plusieurs fois les surveillants pour qu'il soit pris en charge. Et en fin de compte, le malade n'a même pas été déplacé. Comment voulez-vous respecter les gestes barrières quand vous partagez 9 m² à deux ou trois !"

La jeune femme rappelle d'ailleurs que "certaines personnes (incarcérées dans les maisons d'arrêt en détention provisoire, ndlr) ont vécu tout ça alors qu'elles sont encore présumées innocentes." Elle fulmine : "la gestion de la crise en détention a été du grand n'importe quoi. Au final, ce sont des droits fondamentaux jetés à la poubelle". Et l'espoir d'une amélioration post-quarantaine a été de courte durée. Car quelques semaines après le début du déconfinement, le bilan est plus que mitigé.

Au déconfinement, un "flou" déstabilisant

Depuis le 11 mai, les parloirs rouvrent peu à peu. Seulement dans quelles conditions ?

"Les visiteurs doivent porter un masque, devront pouvoir se laver les mains avant et pareil pour le détenu, les contacts sont interdits", indique Louise en citant les mesures annoncées par le gouvernement. "A voir si c'est vraiment appliqué", nuance-t-elle.

"Selon mes sources, certains s'y rendent sans masque, pour l'instant. On ne leur en donne pas assez. Et quand leurs proches souhaitent leur fournir des modèles en tissu, on leur dit que ce n'est pas possible. Dans d'autres établissements, il y a carrément des vitres en plexiglas. Chaque taule fait un peu à sa sauce", raconte-t-elle, effarée par ce manque d'homogénéité et de réglementation encadrée à l'heure d'une crise sanitaire sans précédent.

Du côté des conjointes, l'incertitude est palpable : "Parmi celles avec qui j'ai pu discuter, certaines se sont réinscrites pour les parloirs", affirme la jeune femme. "Mais les conditions sont très floues. Les autres attendent les retours des premières avant de se déplacer, parfois par peur d'être contaminées ou de contaminer leurs proches. Elles ne savent pas non plus si elles vont pouvoir à nouveau laver le linge de leur compagnon".

Sur le site de l'OIP, les questions abondent, encore aujourd'hui. Preuve que l'information en prison reste difficile d'accès. Quand certains ont des interrogations purement pratiques, d'autres pointent le manque de cohérence des mesures de sécurité : "Les surveillants ne portent pas leur masque, et nous on ne peut même pas toucher nos proches au parloir ?", lance l'un d'eux.

Un autre, inquiet, alerte sur la santé mentale entre quatre murs : "Les détenus vont craquer. Il y a des cas contaminés, tout le monde a changé d'aile, il y a des risques d'altercations entre détenus."

Ce qui revient le plus, c'est l'impossibilité fréquente de se toucher. "Je conçois très bien que le port du masque soit indispensable", rapporte la compagne d'un homme incarcéré à Muret. "Mais une table de deux mètres tenant toute la largeur du box et interdisant tout contact l'est-elle réellement ? (...) J'ai énormément pris sur moi pour que mon compagnon ne voie rien, mais lorsque je suis sortie, j'étais en larmes. J'y retourne quand même cette semaine car je sais bien que lui compte sur moi".

Au 24 mai 2020, le compte affichait 119 détenus et 300 agents positifs au Covid-19. Pour ce qui est des dégâts psychologiques de ce confinement en prison, en revanche, le bilan sera certainement plus lourd. Pour Louise, une chose est sûre, la justice doit intervenir. "J'espère qu'il y aura des recours devant la Cour européenne des droits de l'homme", conclut-elle. "Ce n'est pas normal de traiter les gens comme ça".