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Théâtre : on a vu "Un tramway nommé désir" et Cristiana Reali y est époustouflante

Publié le Jeudi 01 Février 2024
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
On a vu "Un tramway nommé désir" et Cristiana Reali y est époustouflante
Photo : Christophe Raynaud De Lage
13 photos
"Un tramway nommé désir" débarque sur les planches des Bouffes Parisiens. Cette nouvelle transposition met à l'honneur dans un décor épuré une Blanche Dubois plus tragicomique que jamais. Un rôle en or pour la grande Cristiana Reali.
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"Stellaaaaaaaaa !". Si ce cri primal vous hante, c'est que, comme nous, vous n'êtes jamais vraiment revenu d'Un tramway nommé désir. La pièce de théâtre de Tennessee Williams, à jamais immortalisée par l'adaptation ciné d'Elia Kazan (1951) où flamboie un brutal Marlon Brando, est une création majeure pour qui s'intéresse aux enjeux féministes (violences conjugales, âgisme...), aux portraits de femmes complexes, aux rôles denses et puissants.

Cela n'a pas échappée à la metteuse en scène Pauline Susini, qui fait revenir ce chef d'oeuvre sur les planches au Théâtre des Bouffes Parisiens pour mieux en valoriser la pierre brut : Blanche Dubois évidemment. Blanche, c'est la soeur de Stella, jeune femme sous l'emprise d'un conjoint alcoolique, macho et violent : Stanley. Professeure d'anglais à l'attitude très extravagante, elle retourne auprès de sa soeur après avoir été essorée par la vie. Et traîne derrière elle de fâcheux fantômes que le brutal Stanley ne va pas hésiter à convoquer !

Dès cette première représentation aux Bouffes ce 31 janvier, le public s'est retrouvé au diapason de cette protagoniste, et surtout de son interprète, troublante de justesse : Cristiana Reali. Il faut dire que sur scène, l'actrice aux bien connues partitions télévisuelles ne joue pas Blanche, elle est Blanche. Avec toute l'intensité que cela suppose...

Une force tragicomique qui se démène sur les planches

Un public bien présent, un public ému, mais aussi, un public au rire sonore : le spectacle proposé lors de cette première se déroulait aussi bien sur scène qu'en dehors. Les réactions étaient vives face à ce que Cristiana Reali est venue valoriser à travers cette partition loin d'être évidente : la force tragicomique de Blanche, qui semble sans cesse hésiter entre hurler d'hilarité ou pleurer.

Source de ces réactions spontanées ? Ses réparties cinglantes à l'égard des autres, et plus précisément à l'encontre des mâles, qu'ils soient agressifs, moqueurs, humiliants (c'est évidemment le cas de Stanley, interprété par Nicolas Avinée), ou un peu courts d'esprit, pleins de maladresse, béats, victimes d'une masculinité stupide - tel le prétendant Mitch (Lionel Abelanski).

Un petit monde essentiellement toxique autour duquel gravite ce personnage aux mille facettes : intellectuelle aux froufrous ridicules en plein quartier populaire, quadragénaire qui vit son âge comme une malédiction, voix singulière qui se fait entendre quand on voudrait la faire taire, héroïne au passé douloureux qui perpétue une forme de déni contribuant à son inévitable déclin... Seule semble la comprendre sa soeur Stella - Alysson Paradis.

C'est l'évidence, Blanche Dubois est un personnage féminin passionnant, et son interprète en a conscience. Par sa gestuelle et ses intonations, Cristiana Reali l'incarne comme il se doit : à l'image d'une actrice malgré elle, une femme constamment dans la représentation, mais aussi une âme à la mélancolie tenace, solitaire, seule contre tous et surtout, contre le patriarcat.

Huis clos oblige, la scénographie est sobre et privilégie l'épure (quelques meubles disposés dans une pièce : table de poker, lit, canapé, rideau pour séparer Blanche des autres) mais la mise en scène vient quant à elle volontiers nous bousculer, notamment l'espace d'effets de lumières spectaculaires, tendance clignotements stroboscopiques, conférant aux scènes les plus dramatiques... un étonnant petit air de film d'horreur.

Un choix graphique d'une limpidité forte : car qu'est ce qu'Un tramway nommé désir si ce n'est un récit d'épouvante ? L'épouvante bien réelle : celle que vivent les femmes, moquées, culpabilisées, complexées, violentées, auprès des hommes, ces "porcs", comme l'on pourra l'entendre à plusieurs reprises au sein de la pièce. Balance ton quoi ? Dans ce climat étouffant, toutes, à l'instar du duo Stella/Blanche, deviennent comme des soeurs, aux expériences partagées. Et la sororité, une forme de lutte qui se doit d'éclore.

Créée à Broadway en 1947, cette histoire n'a jamais été aussi actuelle.

Un tramway nommé Désir, au Théâtre des Bouffes Parisiens - Paris 2e, Représentations jusqu'au 31 mars 2024.

De Tennessee Williams, mise en scène Pauline Susini. Avec Cristiana Reali, Alysson Paradis, Nicolas Avinée, Lionel Abelanski...