Superman, super woke ?
Aussi incongru cela soit-il, la dernière grosse machine de la Warner et de DC Comics, énième tentative de rivaliser avec la maison des idées (Marvel) au box office pour la firme historique de Batman, suscite controverse et polémiques. On reproche à son auteur, James Gunn, papa des Gardiens de la galaxie et metteur en scène d'oeuvres beaucoup plus irrévérencieuses et rebelles (Horribilis, Super, avec Elliot Page), d'oeuvrer pour le compte de la "woke culture".
La woke culture, c'est cet ensemble de mobilisations ouvertement progressistes pour la défense des plus marginalisés et démunis. Contre le sexisme, le racisme, les discriminations diverses, luttes qui ces dernières années s'énoncent massivement sur les réseaux sociaux, où prennent place, notamment, des appels au boycott - de personnes problématiques, ou considérées comme telles.
Dans ce cadre, ce nouveau Superman, homme d'acier défenseur de la veuve et de l'orphelin, est soupçonné de recycler combats et outils de langage "woke"... Sensiblement de gauche, donc.
Mais est-ce si vrai ?
De quoi accuse-t-on au juste cette nouvelle relecture de "Supes" ?
D'une forme de "propagande woke" capillotractée qui, en vérité, se définit surtout par un retour aux racines du super-héros créé par Jerry Siegel et Joe Shuster, respect du personnage original enrichi de diverses allusions plus ou moins fines à la société actuelle... Et à ses maux. Maux d'autant plus exacerbés outre atlantique, et traités ici avec fantaisie, humour et désinvolture.
C'est surtout un aspect qui semble en déranger certains. En fait, comme l'a très bien précisé James Gunn lui-même en interview, Superman y est qualifié par Lex Luthor, milliardaire surpuissant à l'éthique aux abonnés absents, et éternelle Némésis du dénommé "Kal El" (le vrai petit nom de Superman), non pas d'extraterrestre, mais "d'alien". Alien, dans la langue de Shakespeare fait office d'homonyme au mot cité précédemment, évidemment, mais signifie plus globalement : "étranger".
Et lors d'échanges très explicites, comme l'ultime tirade de Superman à Luthor, où celui-ci l'encourage à ne pas craindre les "alien" comme lui, lesquels suscitent autant sa haine que sa peur, mais plutôt d'envisager leur humanité et leur vulnérabilité, le double sens de ce terme paraît d'autant plus évident. Et criant d'actualité à l'heure où la politique américaine redouble de virulence à l'égard des immigrants, c'est à dire des "aliens".
Des superstars comme Kim Kardashian ont d'ailleurs dénoncé cette virulence à l'égard des doubles-nationalités en rappelant l'importance au sein de la culture américaine de ces "étrangers", en vérité bien Américains, que Superman incarne donc avec grandeur et humilité dans ce blockbuster au budget pharaonique. Superman, dans l'histoire des comic books, a toujours été cette allégorie, jamais démodée au fil des événements sociétaux bien réels venus ponctuer l'histoire des Etats-Unis.
Allusions au contexte socio-politique actuel, à certains conflits internationaux également qui génèrent d'exacerbées réactions, oui, on trouve de cela dans le creux des dialogues et images de ce Superman, mais aussi... D'évidents échos à certaines personnalités influentes surpuissantes, et certains mouvements beaucoup trop contemporains contre lesquels le Kryptonien fait littéralement office de barrage.
Par exemple, Lex Luthor, toujours, a (SPOILER) la fâcheuse tendance à enfermer ses ex petites amies dans un endroit secret multi dimensionnel, prison non officielle où il silencie tous ses opposants, dans un but de censure despotique. Parmi ceux-ci donc, les femmes - sa nouvelle compagne d'ailleurs, subira ses violences conjugales, avant de se révolter contre lui (SPOILER).
Là, c'est une manière pour James Gunn d'aborder frontalement le masculinisme, les Incels, et plus globalement la misogynie en ligne.
Surtout quand il est précisé que la compagne qu'enferme Lex Luthor lui a dédié des lignes très critiques sur son blog avant d'être "réprimandée" et condamnée à l'omerta. Difficile de ne pas voir là une allusion aux insultes et au harcèlement en ligne dont sont victimes les militantes féministes sur les réseaux sociaux, d'autant plus, justement, depuis l'apogée du masculinisme - la haine des femmes érigée en idéologie à part entière.
Quelques uns des multiples renvois à la société moderne dont ce film de super héros, comme de très nombreux spécimens du genre, se fait la plus ou moins fine allégorie. En tout cas, Superman a déjà suscité de positifs effets dans la vie réelle, celle qui s'écrit en dehors des écrans. Car un personnage a suscité, quant à lui, l'unanimité : Krypto, chien de Supergirl (cousine de Superman), que Kal-El garde coûte que coûte. Canin très, très capricieux, mais adorable, qui aurait... Boosté plus que de raison le nombre d'adoptions de chiens aux Etats-Unis, une semaine à peine après la sortie fracassante du blockbuster en salles.
Sensibiliser à la cause animale : comme l'avait déjà démontré Les gardiens de la galaxie 3, c'est là le superpouvoir, indéniable, du cinéaste James Gunn.