Tess Holliday : le mannequin plus size est-il en train de normaliser l'obésité ?

Publié le Samedi 20 Juin 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Avec ses 127 kilos et sa taille 52, le mannequin plus size Tess Holliday est-il en train de banaliser l'obésité ? Alors que sa récente campagne de pub en bikini a déclenché une vive polémique outre-Manche, un nutritionniste nous invite à voir plus loin que le bad buzz : "Notre société doit continuer à accepter les différences".
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Depuis février dernier, on ne parle plus que d'elle. Tess Holliday, de son vrai nom Ryann Hoven, est le nouveau mannequin qui fait trembler Karl Lagerfeld. Ses 127 kilos et sa taille 52, font de cette Américaine de 29 ans le mannequin le plus gros jamais signé dans une agence. Fière de ses rondeurs, elle milite avec fougue sur son compte Instagram (qui compte 863 000 abonnés) pour pousser les femmes complexées à enfin s'accepter telles qu'elles sont. Mais comme on peut l'imaginer, le message inspirant de Tess Holliday est loin de faire plaisir à tout le monde. Sa récente campagne en bikini pour la marque britannique Simply Be a même provoqué une véritable polémique au Royaume-Uni, et pas la plus classe. Steve Miller, hypnothérapiste spécialisé dans la perte de poids et personnalité célèbre outre-Manche, a ainsi profité d'une interview avec le Daily Mail pour accuser le mannequin de banaliser l'obésité :

"La dernière choque que l'on a envie de voir est un mannequin américain plus size débarquer en Angleterre pour nous dire à quel point c'est bien de manger de la junk food et d'aimer sa graisse. Tess remet en question l'idéal de beauté préconçu par l'industrie de la mode. Elle pense qu'on peut être obèse et magnifique, ce qui est juste ridicule. L'obésité n'est pas cool, c'est dangereux. (...) Bien sûr, être maigre est tout aussi dangereux. Mais lorsqu'elle milite pour l'acceptation d'un poids aussi extrême, Tess Holliday envoie un message terrible, surtout lorsqu'on voit l'explosion choquante des statistiques sur l'obésité. (...) Malheureusement, si elle a autant de followers sur les réseaux sociaux c'est parce que beaucoup de femmes sont dans le déni et ne veulent pas voir les dangers liés à leur poids. Elles préfèrent se cacher derrière la rhétorique de Tess et sa tentative de normaliser l'obésité".

"Il peut y avoir des obèses heureux"

Surnommé le Simon Cowell du monde de la minceur pour ses commentaires acerbes, Steve Miller a semble-t-il bien mérité son sobriquet. Mais si l'homme se montre dur dans ses propos, la question qu'il soulève n'est pas si illogique que ça. Alors que le surpoids concerne 1,4 milliard de personnes dans le monde et que l'obésité représente le cinquième facteur de risque de décès au niveau mondial (chiffres de l'OMS ), on peut se demander si Tess Holliday et son discours sur l'acceptation de soi ne sont pas légèrement déplacés. Pour le médecin nutritionniste Pierre Azam, Tess Holliday contribue au contraire à diminuer la stigmatisation qui entoure les personnes en surpoids :

"L'obésité est un vrai problème, un fléau, et un sujet de santé publique. Mais je pense aussi qu'il faut laisser des particularités, des libertés individuelles et ne pas stigmatiser les gens qui revendiquent un certain état. Quand je vois cette femme, je me dis qu'elle est bien dans ses baskets, bien dans son système. Je ne pense pas qu'elle banalise l'obésité. L'obésité est une chose qui existe, les obèses nous entourent, et il peut y avoir des obèses heureux. Ce n'est pas inconvenant d'être obèse et heureux ! Le rôle des médecins, c'est de pointer du doigt les risques et les dangers de l'obésité, mais ça ne va pas au-delà de ça. On ne doit pas mettre des gens dans des systèmes où l'on rompt avec leurs libertés individuelles. Notre société doit continuer à accepter les différences".

Selon le médecin, Tess Holliday est également bien "consciente du risque personnel qu'elle prend" en étant en surpoids, c'est à dire des risques de diabète, d'hypertension artérielle, de troubles cardio-vasculaires, ou encore de problèmes d'articulations. Il estime aussi que c'est grâce à son poids extrême que le mannequin américain a connu le succès. Dans ce cas-là, pourquoi maigrir ? "Peut-être qu'elle se sent désirable, qu'elle se sent aimée. Et peut-être aussi qu'elle se dit que si elle maigrit, elle perdra son fonds de commerce. Mais dans tous les cas, je ne pense pas qu'elle banalise l'obésité, je pense qu'au contraire elle diminue la stigmatisation sur les obèses".

"Je suis grosse, c'est idiot de se fâcher à ce sujet"

En revendiquant son obésité, en la montrant, Tess Holliday est donc prise entre deux feux. Soutenue par des milliers de personnes, dont certains experts, elle reste un OVNI, un mannequin certes bien dans ses baskets, mais qu'on pointera toujours du doigt pour ses courbes extrêmes. Récemment, une bookeuse spécialisée dans le recrutement de modèles plus size allait même assez loin lors d'un entretien accordé au site Business Insider . Choisissant de rester anonyme, elle expliquait assez crument :

"Son agent a eu beaucoup de jugeote en utilisant les réseaux sociaux pour éveiller de l'intérêt. Mais je pense que plus les mannequins ont une grande taille, moins ils ont de pouvoir. C'est une foire aux monstres. Le buzz s'arrêtera bientôt. (...) Je ne suis pas là pour faire du body shaming, mais je pense que Tess Holliday ne montre pas un poids qui est sain et encourage ceux qui se battent avec leur poids à se dire : 'Je laisse tomber' et à ne plus prendre soin d'eux. Ce que je dis n'est peut-être pas très populaire, mais c'est mon humble avis.

De son côté, le mannequin met un point d'honneur à ne pas se laisser bouffer par les critiques. Très active sur Twitter quand il s'agit de faire taire les trolls, elle en rajoutait une couche lors d'un entretien avec le très sérieux Guardian : "Aux gens qui se battent sur mes réseaux sociaux : je n'en ai rien à fou***. Trouvez-vous un thérapeute, appelez votre psy, ou mangez un put*** de burger... Grandissez". Et de conclure, satisfaite : "On m'a dit toute ma vie que j'étais grosse. Et je suis grosse. Donc, c'est juste idiot de se fâcher à ce sujet".

Vidéo - Tess Holliday face aux critiques