Une constitution "anti-femmes" fait craindre le pire au Népal

Publié le Jeudi 06 Août 2015
Audrey Salles-Cook
Par Audrey Salles-Cook journaliste
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Au Népal, les femmes s'insurgent contre le projet de nouvelle constitution, où elles seront largement discriminées.
Au Népal, les femmes s'insurgent contre le projet de nouvelle constitution, où elles seront largement discriminées.
Alors que la nouvelle constitution devait avoir pour but de pacifier la société népalaise, le gouvernement vient de dévoiler un première version de son projet qui s'avère extrêmement discriminatoire envers les femmes. Avortement, héritage, nationalité, dans cette jeune république, les hommes et les femmes ne bénéficient clairement pas des mêmes droits...
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Après un séisme d'une ampleur inouïe et de longues années de stand-by démocratique, le Népal s'apprête enfin à adopter une Constitution historique. Mais la première version du document commence déjà à faire polémique. Dans un pays où les traditions patriarcales sont fortement ancrées à tous les niveaux de la société, les discriminations envers les femmes ont la peau dure. Attendue comme le messie depuis 2008, cette Constitution, qui devait avoir pour but de réunifier un pays gangréné par les scandales politiques et les tensions ethniques, est en train de faire monter la colère des féministes locales.

Des enfants mis au ban de la société

Alors que la Constitution actuelle (datant de 2006), prévoit par exemple d'accorder la nationalité aux enfants dont au moins l'un des parents serait de nationalité népalaise, le pays semble vouloir revenir aux anciennes traditions, qui voudraient que seuls les enfants nés d'une union où le père est népalais puissent avoir accès au précieux sésame. De leur côté, les femmes népalaises mariées à un étranger seraient purement et simplement forcées de partir, car leurs enfants seraient de facto exclus de la société (au Népal, la nationalité est indispensable pour absolument tout, permis de conduire, ouverture de compte bancaire etc.).

Très inquiète de cette disposition, Rama Bista, Népalaise mariée à un Indien, s'inquiète pour l'avenir de ses deux fils qui pourraient donc être destitués de leur nationalité une fois la nouvelle Constitution adoptée : "Nous appelons notre pays notre mère patrie, et pourtant l'identité des femmes n'a aucune valeur", confie-t-elle au journaliste de France 24 .

Violences, suicides, rien ne leur est épargné

Des paroles violentes, mais compréhensibles. En 2009, le gouvernement de cette jeune république commandait un rapport sur les causes de mortalité les plus rependues dans la société civile, et constatait quele suicide était la première cause de décès chez les femmes de 15 à 49 ans.

Selon les chiffres avancés par National Geographic, entre 60 et 70% des Népalaises seraient victimes de violences. N'ayant accès à aucun statut social tant qu'elles ne sont pas mariées, les femmes népalaises sont souvent contraintes de subir en silence, sous peine de se retrouver sans personne vers qui se tourner, même leur propre famille. Et ce ne sont pas ces nouvelles dispositions qui risquent de faire avancer la situation. Sur le même principe que la nationalité accordée aux enfants, l'attribution de la nationalité est facilitée pour la conjointe d'un homme, tandis que la femme doit attendre 15 ans de vie commune pour voir son époux être autorisé à y prétendre.

Si la Constitution aurait logiquement dû profiter aux femmes, les responsables ont semble-t-il fait exprès de rester vague sur certains points pour ne pas perturber l'ordre établi depuis plusieurs siècles. Alors qu'ils devaient préciser l'octroiement d'une part d'héritage égalitaire, les garçons pourraient une fois de plus être avantagés par manque de précisons. La nouvelle Constitution prévoit ainsi de désigner à ce propos "tous les enfants" et non "les garçons et les filles". Un problème pour Rama, qui explique que cela peut prêter à confusion dans le cas des filles déjà mariées et qui passent de ce fait sous l'autorité du mari et ne dépendent plus de leur famille.

Une identité bafouée

"Cette version oublie de parler de l'identité particulière des femmes et reflète bien l'esprit patriarcal fortement ancré dans notre société. Cette formulation est faite pour continuer à maintenir ce type de pratiques discriminatoires", explique Sapana Pradhan Malla, chef de proue de l'association "Forum pour les femmes, loi et développement" à un journaliste de France 24.

Le brouillon de cette Constitution essaye également de réduire le droit à l'avortement obtenu en 2002. Si elle stipule interdire les avortements sélectifs, les féministes trouvent cela insuffisant et pensent même que le préciser (alors même que c'est déjà illégal) pourrait servir à les accuser injustement pour avoir interrompu leur grossesse, dans un pays où seuls les hommes semblent avoir de la valeur aux yeux de la société.

Terrifiées d'être pointées du doigt, cette situation pourraient les pousser à avorter dans des conditions d'hygiène déplorables pour échapper à d'éventuelles poursuites judiciaires.

Un comité a été instauré pour discuter entre politiques, mais aussi avec le peuple lors de meeting-débats, pour arriver à une version définitive de la nouvelle Constitution népalaise.

"La Constitution n'est pas anti-femmes. Chaque pays met en place des dispositions pour protéger son identité et sa souveraineté" affirme Bhim Rawal, membre de la coalition qui a aidé à rédiger le document.

Si on comprend bien, le Népal élabore des lois uniquement pour protéger la société. Et les femmes, elles, n'en font apparemment pas partie...