Décryptage de l'affaire Sakineh Mohammadi Ashtiani

Publié le Vendredi 03 Septembre 2010
Décryptage de l'affaire Sakineh Mohammadi Ashtiani
Décryptage de l'affaire Sakineh Mohammadi Ashtiani
Dans cette photo : Carla Bruni-Sarkozy
La condamnation de Sakineh Mohammadi Ashtiani révolte le monde entier, et se transforme en véritable bataille diplomatique. Un journal iranien a récemment mis en cause la moralité de Carla Bruni Sarkozy en représailles à sa lettre de soutien à Sakineh. Décryptage avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran.
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Terrafemina : Jugée pour adultère et complicité d’assassinat, Sakineh Mohammadi Ashtiani est condamnée à une mort par lapidation. Cette peine est-elle courante en Iran ?

Thierry Coville* : Cela fait 20 ans que je travaille sur l’Iran et je pense que cette peine est rarement employée, même si elle existe dans le Code pénal du pays. Mais la justice iranienne est une justice du Tiers-Monde, et corrompue au plus haut point. Les juges sont souvent extrémistes, et il y a peut-être eu une radicalisation de ceux-ci suite à la réélection en 2009 de Mahmoud Ahmadinejad.

TF : L’Iran a-t-il toujours eu une morale aussi intransigeante envers le sexe féminin ?

T.C. : Depuis la Révolution Islamique -1979- la société est en décalage avec l’arsenal juridique déployé : les lois régissant le divorce désavantagent les femmes et la polygamie a été autorisée, pourtant celle-ci est condamnée par la majorité des Iraniens. Il y a un réel mouvement féministe en Iran qui se bat pour retrouver ces droits mais la société est aussi en pleine modernisation. L’Iran a beaucoup progressé en matière d’éducation, de protection sociale et d’infrastructures. Aujourd’hui 60% des étudiants en fac sont des femmes, elles réussissent très bien et ce dans toutes les branches. L’utilisation faite de l’affaire Sakineh me dérange, parce qu’elle ne montre qu’un seul aspect de la réalité complexe de ce pays. 

TF : Le quotidien iranien Kayhan proche du pouvoir a traité Carla Bruni Sarkozy de «prostituée » dans ses colonnes, mettant  explicitement en cause sa moralité et son implication dans le divorce de Nicolas Sarkozy. La mobilisation autour de Sakineh pourrait-elle déclencher une crise diplomatique grave ?

T.C. : Les relations entre la France et l’Iran sont déjà catastrophiques et je ne pense pas que cette affaire change quelque chose. En tous cas le gouvernement iranien a condamné les propos de ce journal extrémiste, cela ne constitue donc absolument pas une position officielle. Je trouve normal que les organisations comme Amnesty International ou Human Rights Watch se battent pour défendre les droits de l’homme et fassent appel aux intellectuels occidentaux. Néanmoins la mobilisation politique et la demande de « sanctions » par Nicolas Sarkozy me paraît déplacée. En Arabie saoudite la Charia –loi islamique- est toujours appliquée, pourtant on ne dit rien, et ce pays siège au G20…

TF : L’ingérence des pays occidentaux est-elle bien reçue dans la population iranienne ?

T.C : Je ne suis pas sûr que les politiques occidentaux aident Sakineh de cette façon. Pour l’Iranien moyen cette ingérence est mal perçue, il a le sentiment que les pays occidentaux parlent des droits de l’homme quand ça les arrange. La politique française me paraît contre-productive sur ce point car en réclamant sans cesse des sanctions elle accentue l’isolement de l’Iran, ce qui fait le jeu des partis les plus radicaux du pays. La société iranienne cherche à avancer dans le bon sens, et il faudrait l’y aider.

Thierry Coville est docteur en sciences économiques, est professeur à Negocia-Advancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays. Depuis près de 20 ans il effectue des recherches sur l’Iran contemporain et a publié Iran : la révolution invisible, La Découverte, 2007.

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