Anne-Laure Bonnet : ça fait quoi d'être une journaliste foot ?

Publié le Jeudi 14 Juin 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Entretien avec la journaliste football Anne-Laure Bonnet
Elle est l'une des meilleures journalistes foot de France. Anne-Laure Bonnet sera sur le terrain pendant les matchs de la coupe du monde en Russie pour BeIN Sports. Elle nous parle du sexisme qui a trait au milieu du sport.
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Il n'y a que 10 à 15 % de spécialistes du sport qui sont des femmes. Comment changer la donne ?


Anne-Laure Bonnet : Alors déjà, on peut commencer à être optimiste puisque ces 10-15 %, ce n'était pas le cas il y a quelques années. Pour changer les choses, je pense qu'il faut continuer, juste continuer à laisser le mouvement se faire. Alors je sais que dans d'autres secteurs, on impose des quotas, des choses comme ça. Je ne suis pas forcément pour ce genre de choses dans le sport dans la couverture du sport. Je pense qu'il faut être un tout petit peu patient. Les choses sont en train de changer, il y a des femmes qui nous montrent le chemin. On y va, on y arrive, on est presque là.

J'ai un parcours particulier, moi. Je travaillais en Italie et en Italie, les femmes sont beaucoup plus présentes à l'antenne, ont un rôle beaucoup plus important dans le sport. Dans le sport en Italie, il y a deux sortes de femmes : les femmes journalistes et les femmes objets. Et petit à petit, en Italie, ils sont en train de faire disparaître les femmes objets et ils gardent les femmes journalistes. Et du coup, ils sont tellement habitués à voir des femmes qu'au final, il reste les femmes journalistes et elles sont nombreuses.
Donc quand je suis arrivée en France je ne me suis jamais posée la question de savoir de "Je suis une femme, ça va être compliqué pour moi". J'ai juste suivi le chemin.
Je les entends, les remarques sexistes, je les entends les commentaires, je les entends de mes confrères d'autres médias. Des acteurs du sport beaucoup moins, du coup à aucun moment, je ne me suis sentie illégitime.

Pensez-vous être un modèle pour les jeunes filles ?

C'est très difficile d'être un modèle pour quelqu'un. J'entends, je vois et je reçois des messages de jeunes filles qui me disent : "Au moins je sais que je peux le faire" et ça pour moi, c'est la plus belle des choses. Oui, les filles, vous pouvez le faire, pas parce que moi je l'ai fait mais parce que vous allez le faire. Je l'ai fait, mais je suis une parmi tant d'autres.

Moi, mon modèle, ce n'était pas une femme et je ne me suis pas inspirée d'une femme. J'aimais L'Equipe du dimanche de Canal. J'aimais Thierry Gilardi qui présentait la Ligue des Champions avec Michel Platini. Pour moi, c'était le plus beau duo et c'est ça qui m'a donné envie. Je n'ai pas de modèle féminin et en fait ça ne me dérange pas, c'est pas grave. Ce n'est pas parce que moi j'y suis arrivée que je dois être un modèle, c'est juste que les filles qui aujourd'hui regardent du sport, que ce soit un journaliste homme ou un journaliste femme, il faut qu'elles se disent : " Bon, si j'ai envie, je vais le faire. "

C'est fini les barrières. On arrête et on commence par arrêter de se les mettre à nous-même. Parce que notre plus grand ennemi, c'est nous. Cette espèce de doute qui habite les femmes parce qu'on a des centaines d'années de culture qui disent que non, la femme ne va pas faire ça, c'est le plus dur. C'est contre ça qu'il faut lutter et pas contre les hommes qui font notre métier, ils ont le droit de le faire aussi quand même.

Que pensez-vous des pubs sexistes pour promouvoir le football ?


On va mettre du temps avant que ce genre de choses n'apparaissent plus. Il reste des femmes qui n'aiment pas le sport. Il reste des hommes qui n'aiment pas le sport. Les campagnes de pub en fait, c'est tant pis pour eux, parce qu'ils se coupent d'une partie des femmes qui se seraient dit : "Bah moi aussi, je veux regarder le foot".

Les femmes journalistes sont souvent harcelées sur les réseaux sociaux. Les coups sont plus durs dans le sport ?

Alors les réseaux sociaux, c'est bien pire, ce n'est pas le monde du sport. Si vous venez sur un stade, il n'y a pas un joueur de foot qui va faire : "Qu'est-ce qu'elle fait là, cette gonzesse ?". Peut-être qu'ils le pensent, je n'en sais rien, mais en tout cas, ils ne le disent pas.

Les réseaux sociaux, c'est le seul endroit qu'il leur reste, aux abrutis cachés derrière un pseudo pour pouvoir s'exprimer. Parce qu'ils peuvent dire effectivement tout ce qui leur passe par la tête, les pires choses, et très souvent sexistes, encore plus souvent racistes. Les réseaux sociaux, ce n'est pas pour moi ni la société, ni ce que les vrais gens pensent. Et très souvent, parce que je trouve ça très violent, donc je ne le fais plus ça m'intéresse plus, mais il y avait une période où je répondais à certaines personnes et ça faisait pshitt. Les gens disaient : " Ah oui non mais pardon ". Alors il est où votre courage quand vous insultez et qu'on vous répond, il n'y a plus d'insultes il n'y a plus rien ?


Avez-vous l'impression d'être dépossédée de votre image quand on voit certains commentaires sur les réseaux sociaux ?


La question de l'image, c'est une question très intéressante et c'est une question qui serait presque philosophique. Parce qu'à quel moment quand on est à l'antenne on est nous-même ? Et très souvent je me dis quand je rencontre des gens dans la vraie vie, un premier regard quelque chose comme ça, j'ai toujours l'appréhension. Mais à la télé, on est obligée d'être un minimum, alors un personnage je n'aime pas ça, on est obligé de mettre un minimum de distance.

On est au bureau tout simplement. Et du coup, alors c'est avec l'âge que je suis arrivée à ce genre de conclusion, ce que les gens peuvent dire de ma tenue, tant pis, il juge la personne qu'ils voient qui est au bureau. Ce n'est pas malin, c'est franchement pas intelligent mais je ne peux pas l'empêcher parce que je suis dans l'écran dans le salon de monsieur madame. Et ça existe depuis la nuit des temps : " Oh, la présentatrice du 20h aujourd'hui, elle est habillée comme ça ". Alors objectivement on s'en fiche, je sais que ça continue à exister, que ça continuera d'exister encore très longtemps, parce que c'est la chose la plus simple.

Est-ce que vous pourriez commenter un match ?


Le commentaire de match, c'est un exercice extrêmement particulier, déjà, il faut parler beaucoup et moi je parle pas beaucoup, pendant les matchs je donne des informations très précises mais je ne parle pas beaucoup. C'est un autre exercice. Je me suis essayée au commentaire sur les 24h du Mans. Autant vous dire que ce n'est pas une bonne expérience, on va pas se le cacher, c'était il y a une dizaine d'années. Je ne crois pas, je ne suis pas sûre d'y arriver. Je ne le sens pas, mais c'est personnel ! Ça n'a rien à voir avec " les femmes peuvent pas commenter " c'est juste un avis personnel.

Est-ce que vous parlez assez de sport féminin sur BeIN Sports ?


On avait fait de la très belle couverture sur la Ligue des Champions féminine, j'ai des souvenirs au Parc des Princes, à Barcelone et c'était... enfin c'est enthousiasmant un match à Barcelone. Le Barcelone-Paris Saint Germain c'était... On avait fait exactement la même couverture qu'une Ligue des Champions masculine.


Est-ce qu'on fait assez pour promouvoir le foot féminin ?

J'ai la faiblesse de penser que l'UEFA y travaille vraiment, mais à leur décharge, ça prend du temps, on part de très très loin, donc du coup ça met un petit peu de temps pour les compétitions nationales et pour les compétitions internationales. Et quand on regarde le développement, je préfère voir le côté positif, il y a de plus en plus d'antenne, de plus en plus de matchs de football féminin à l'antenne.


C'est très important parce qu'une nouvelle fois, il faut penser aux petites filles qui arrivent à l'école et qui disent : "Moi j'aimerais bien jouer au foot" et qu'on leur dit pas : "Ah non, toi t'es une fille". Avec le développement du foot féminin, elles peuvent se mettre dans leur coin avec leurs copines et faire leur équipe de foot. Et je pense qu'on est en train de s'approcher de ça.

J'ai beaucoup d'espoir dans la Coupe du monde féminine 2019. Qui ne sera pas sur l'antenne mais ça m'empêchera pas de la suivre et ça n'empêchera pas BeIN Sports de suivre la compétition. On a aussi des émissions qui sont dédiées à ce genre de choses. On parle de tous les sports, même des sports dont on n'a pas les droits et je connais mes consoeurs qui présentent ce genre d'émissions et je pense notamment à Vanessa Le Moigne. Faites-lui confiance, vous aurez du football féminin sur les antennes de BeIN Sports.

Pourquoi on dit Ligue des Champions féminine et pas Ligue des Championnes ?


C'est vrai ça pourquoi on appelle pas ça Ligue des Championnes ? Ok maintenant, je dirais Ligue des Championnes ! C'est vrai ça ne m'avait pas interpellé parce que j'insiste jamais sur le féminin, on a beaucoup travaillé avec l'Olympique lyonnais et le Paris Saint-Germain, et vous voyez rien qu'en vous le disant je dis pas l'Olympique lyonnais féminin. Ce sont les filles qui font un parcours extra. Les filles de l'OL, elles sont uniques. Je ne vais pas dire OL féminin. Mais Ligue des Championnes, quand même, ça m'interpelle.

Vous parlez plusieurs langues. Votre plan secret, c'est de remplacer Nelson Monfort ?


Mais Nelson Monfort il est irremplaçable enfin. Non non, ce n'est pas mon but ! Je n'ai pas de plan secret en fait, j'ai l'immense défaut de toujours faire ce que je dis et de dire ce que je fais. Je n'ai jamais eu de plan de carrière, je suis toujours allée vers des endroits où j'avais envie d'aller, quand on m'ouvrait une porte, on me donnait une opportunité, et je serais sacrément ingrate d'avoir envie d'aller ailleurs après l'opportunité que m'a donnée BeIN Sports.