"J'ai fait une double mastectomie préventive avant mes 30 ans"

Publié le Mardi 13 Octobre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"J'ai eu recours à une double mastectomie préventive avant mes trente ans"
"J'ai eu recours à une double mastectomie préventive avant mes trente ans"
Un mois avant ses 30 ans, Sophie Sauvaget décide de se faire opérer. Une double mastectomie préventive pour réduire son risque de contracter un cancer du sein. Elle nous raconte les raisons de son choix, et le chemin parcouru pour accepter son nouveau corps.
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Quand on la contacte, Sophie Sauvaget, art thérapeute et autrice du blog Ogresse de compagnie, nous confie combien il est important pour elle de témoigner. De libérer la parole autour de ce sujet encore trop tabou, surtout en France. "Parler pour ne pas avoir honte", assure-t-elle.

Un mois avant ses 30 ans, la jeune maman âgée de presque 33 ans aujourd'hui, a eu recours à une double mastectomie prophylactique, ou préventive. Une ablation de la poitrine proposée aux femmes porteuses des mutations BRCA1 et BRCA2 qui ne sont pas encore malades, censée réduire le risque de contracter un cancer du sein plus tard. Sophie nous l'affirme : quand elle a su qu'elle était concernée, elle n'a pas hésité une seconde.

Au cours d'une longue discussion, la jeune femme nous raconte son histoire, douloureuse, son opération, essentielle pour elle, et son présent, plein d'opportunités qu'elle n'aurait jamais cru possibles il y a plusieurs années encore. Un récit émouvant qui, elle l'espère, pourra aider celles qui se trouvent dans une situation similaire. Echange.

Autoportrait de Sophie Sauvaget
Autoportrait de Sophie Sauvaget

"Je voulais une solution"

"Ma mère a appris qu'elle était malade à 32 ans, elle est partie dix ans plus tard", nous confie Sophie par téléphone. "Elle a connu je ne sais combien de mois d'errance médicale. A l'époque les cancers du sein touchaient rarement les personnes jeunes et les médecins n'ont pas envisagé cette hypothèse tout de suite. Et puis, le diagnostic est tombé. Après son premier cancer, elle a eu plusieurs récidives, avant de décéder à 42 ans."

Autour d'elle, d'autres femmes de sa famille disparaissent de cette même maladie. Dont sa tante, qui lui laisse en héritage une clé précieuse. "Elle a fait des tests et a découvert qu'elle était porteuse de la mutation BRCA2", comme une femme sur 500. BRCA2 et BRCA1 (acronymes de "BReast CAncer", "cancer du sein" en français) sont les mutations de deux gènes qui prédisposent aux cancers du sein et des ovaires. BRCA1 se situe sur le chromosome 17, BRCA2 sur le chromosome 13. Lorsque l'on est porteuse de cette mutation, il y a 40 à 85 % de chances qu'une femme déclare un cancer du soin, 25 à 65 % un cancer des ovaires. Chez les hommes, on lie la mutation au cancer de la prostate.

A l'époque, Sophie a 16 ans et ne se sent "pas prête" à se faire tester. D'ailleurs, les hôpitaux recommandent de ne pas s'y rendre avant la vingtaine, nous explique-t-elle, afin d'être "assez préparé·e psychologiquement." Le déclic vient une dizaine d'années plus tard, lorsqu'elle tombe enceinte de sa fille aînée. "Il y a eu un sentiment d'urgence en moi. J'avais l'idée de l'examen en tête depuis des années et en sachant que j'allais être maman, je voulais avoir cette réponse pour garantir à ma fille de grandir dans de belles conditions. Avec une maman qui soit là, déjà, et en bonne santé."

Avant même de faire le prélèvement salivaire et la prise de sang qui lui révèleraient, quelques mois plus tard, un résultat positif, sa décision était prise : elle aurait recours à une double mastectomie préventive. "Je voulais une vraie solution. J'ai vu ma mère pendant dix ans avoir des moments en rémissions, puis des rechutes. Je ne voulais donc pas uniquement être suivie, je voulais une solution", insiste-t-elle. Restait à savoir quand.

En France, un manque d'information et un tabou coriace

Elle prend contact avec l'institut Curie, au sein duquel elle trouve un accompagnement "bienveillant" qui la rassure. Pendant un an et demi après les conclusions de l'examen, elle réalise IRM, mammographies et échographies mammaires régulières, afin de surveiller ce qui peut l'être. Entre-temps, elle a une deuxième fille. Et quand celle-ci a huit mois, en 2018, elle passe à l'acte.

"Toute la procédure a été claire, on m'expliquait tout. Le personnel était très à l'écoute, prenait le temps de répondre aux questions. Cela m'a permis de faire un choix, de ne pas subir. J'ai pris chaque décision en collaboration avec mon chirurgien". Et notamment, celle d'une reconstruction immédiate par le biais de prothèses mammaires posées sous les muscles, qui lui permettront, entre autres, de porter plus rapidement ses filles.

Au-delà du milieu hospitalier, elle trouve aussi des réponses concrètes et un soutien salutaire auprès de l'association Geneticancer, dont elle devient par la suite ambassadrice.

La jeune femme estime toutefois qu'en France, tout le monde n'est pas logé·e à la même enseigne : "Je ne trouve pas qu'ici, on ait assez accès aux informations nécessaires autour du cancer du sein, de ses risques et de ses solutions. Moi, comme je suis issue d'une famille où il y a eu énormément de cancers et de mort, j'étais alertée. Mais beaucoup de familles sont bouffées par ce gène et ne le savent pas forcément." Elle cite l'exemple des Etats-Unis, où les femmes documentent leur quotidien avant et après l'ablation sous le hashtag #previvor sur Instagram.

"Elles l'affichent comme une identité, ça devient une part d'elle. Et nous, en France, les femmes ont honte, il y a quelque chose de tabou", déplore-t-elle.

Sophie est opérée au mois d'octobre, une période particulière. "C'est le mois où plusieurs femmes sont décédées dans ma famille, dont ma maman. La symbolique de renaissance m'était importante." L'intervention se passe bien, elle rentre chez elle au bout de trois jours pour une semaine d'hospitalisation à la maison. Elle en ressort même mieux qu'après son premier accouchement (qui relevait de violences obstétricales, nous raconte-t-elle). Un état qu'elle attribue justement au fait qu'elle ait pu s'informer en amont, savoir ce qui allait se passer.

"Je me permets aussi de faire ce rapprochement avec l'accouchement car dans les deux cas, il s'agit d'interventions qui touchent à ce qu'il y a de plus intime dans une femme, à l'image de son corps et à sa féminité." Un corps qu'elle assure chérir aujourd'hui.

Faire le deuil de son ancien corps pour accepter le nouveau

"Nous, les femmes porteuses de cette mutation et qui le savons, avons une certaine chance : on peut se préparer à l'opération et à ce qu'elle implique", poursuit-elle. "Celles qui la découvrent quand elles ont un cancer sont dans l'urgence vitale. Et quand on est dans l'urgence vitale, le bien-être passe à la trappe. Il y a d'autres priorités."

Pour vivre ce bouleversement du mieux possible, Sophie a fait le "deuil" de ses seins, procédé à quelques rituels réconfortants et planifié des voyages avant et après le jour-J. "C'était nécessaire pour accepter ma nouvelle poitrine. Sinon, j'aurais continué à vivre dans le regret de l'ancienne. Deux semaines avant l'opération, on est partis en amoureux à Budapest avec mon conjoint, pour visiter les bains. Et puis, j'ai réservé des billets pour un voyage avec ma grand-mère après ma convalescence, pour avoir quelque chose à quoi me raccrocher lors de moments difficiles. J'ai également fait un soin dans une piscine, qui invite à se libérer de toutes ses souffrances, et c'était absolument magique. Ça fait partie des choses qu'on peut faire pour soi, qui aident à se reconnecter à son corps".

Aux femmes qui ont vécu une expérience similaire, elle conseille aussi "de se faire prendre en photo par quelqu'un de bienveillant, qui a du talent. Ça peut beaucoup aider pour l'image de soi". En parlant de conseils, on lui demande si elle recommande à celles qui portent la mutation BRCA1 ou BRCA2 la double mastectomie préventive.

"Je ne peux pas conseiller aux femmes d'y avoir recours, car c'est une décision extrêmement personnelle et c'est important de le souligner", nous répond-elle. "Ce que je recommande plutôt c'est le suivi." Et de se rapprocher de personnes qui ont vécu la même chose. "Parfois, c'est difficile de s'exprimer lorsque l'on est entourée de femmes malades, on ne se sent pas légitime, il y a un gros syndrome d'imposteur".

"C'est comme si j'avais gagné des vies dans un jeu vidéo"

Aujourd'hui, Sophie "va bien". Elle estime que ce chemin pour se sentir en harmonie avec elle-même lui a pris environ un an. Un an de "petites étapes" qui lui ont permis de ne pas brusquer les choses. Elle en énumère quelques-unes : se regarder franchement dans le miroir, oser toucher sa poitrine, ne pas passer directement de la brassière post-opératoire à un décolleté plongeant, le regard amoureux de son partenaire...

"J'ai aussi beaucoup dessiné mon corps, avec des ailes de phoenix à la sortie de l'hôpital par exemple (la fameuse renaissance, ndlr), fait des portraits, écrit." L'été qui a suivi, elle s'est mise en maillot de bain, non sans mal. "Je me disais 'je n'ai pas enduré tout ça pour ne plus vivre'. Mais c'était un peu difficile, alors je me suis acheté un modèle couvrant". L'année d'après, elle opte pour un décolleté plus plongeant, fière de son progrès.

"Je pensais mourir à 40 ans, c'est comme si j'avais gagné des vies dans un jeu vidéo", rit-elle, se réjouissant des projets professionnels et personnels qu'elle a pu mener à bien grâce à la perspective de l'opération. Fonder une famille, lancer sa boîte, acheté une maison... "L'année prochaine, j'assume et je sors le maillot de bain rose à paillettes !", lance-t-elle. On lui souhaite.