Le Danemark, l'étonnant cancre du féminisme ?

Publié le Mardi 14 Mai 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Le Danemark, champions du bonheur mais pas du féminisme
Le Danemark, champions du bonheur mais pas du féminisme
Le pays scandinave aurait du mal avec la ferveur féministe. D'après une étude, deux Danois·es sur cinq désapprouveraient le mouvement #MeToo et la ministre de l'Egalité elle-même bouderait le terme.
À lire aussi

Le Danemark est peut-être roi du bonheur et de l'égalité, et aussi élu l'un des meilleurs endroits où être une femme, mais il squatte clairement la fin du classement quand il s'agit de féminisme. Ainsi, un sondage mené par l'institut britannique YouGov auprès de 25 000 personnes dans 23 nations indique qu'au Danemark, le mouvement n'est pas vraiment bien vu.

Si on regarde les chiffres de plus près, on voit qu'un·e Danois·e sur six seulement se considère féministe et que le mouvement #MeToo aurait été favorablement approuvé par uniquement 4 % des hommes et 8 % des femmes. Même la ministre de l'Egalité, Karen Ellemann, se désolidariserait du mot, exprimant à plusieurs reprises qu'elle lui préférait le terme de "militante pour l'égalité", comme l'indique Slate.

Quand on sait que la définition du féminisme est de se battre pour l'égalité hommes-femmes, contre les discriminations liées au genre et la société patriarcale, on a du mal à comprendre la raison d'un tel rejet. Et il se pourrait qu'elle soit culturelle.

Selon Siri Jonina Egede, sociologue à Copenhague interrogée par Refinery29 qui "n'hésite jamais" à se qualifier de féministe, beaucoup de Danois·es "ont vraiment peur de ce que nous appelons 'kraenkelseskultur', qui se traduit par 'culture de l'offense'. Ce mot est utilisé de façon négative pour décrire une culture rhétorique où les gens peuvent exprimer leurs préoccupations de se sentir offensés."

Elle ajoute qu'elle ne cesse d'entendre ses compatriotes et les politicien·nes "se plaindre que si nous devons écouter et réagir à chaque personne qui se sent offensée - qu'il s'agisse d'une femme, d'une personne de couleur, d'une minorité sexuelle ou d'autres minorités ou personnes défavorisées - il n'y aura pas de fin. Ainsi, vous étiqueter comme féministe par exemple est, à tort, considéré comme extrême..."

Des "violences sexuelles généralisées" pointées par Amnesty International

Alors effectivement, dans un monde idéal, le militantisme féministe n'aurait pas besoin d'exister. L'égalité et les droits des femmes seraient naturellement respectés, la domination masculine fictive et les violences faites aux femmes réduites à néant. Sauf que même au Danemark, le rêve diffère de la réalité.

Interrogée par The Guardian, Rikke Andreassen, professeure de communication danoise, explique que "dans notre culture, ce que vous dites n'est pas raciste ou sexiste si vous n'aviez pas l'intention de l'être. Vous pouvez agresser sexuellement une femme, tant que vous le faites parce que c'est 'drôle'. Culturellement, nous aurons tendance à penser que ce n'est pas si grave".

De son côté, Amnesty International a récemment pointé les "violences sexuelles généralisées" observées dans le pays, qui connaît également des problèmes systémiques dans la manière dont il traite le viol - notamment lorsque la loi implique uniquement la notion de force et de menace dans sa définition, et pas de consentement.

"Nous avons cette idée générale que nous avons déjà atteint l'égalité des sexes au Danemark, que la lutte est terminée et qu'il n'y a plus rien à défendre", avait déclaré à cette occasion Helena Gleesborg Hansen, vice-présidente de la Danish Women's Society, à BBC News. "Et c'est justement le plus grand obstacle à l'égalité des sexes."