Sur Instagram, Laura Daniel dessine nos rêves confinés avec poésie

Publié le Jeudi 15 Avril 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Sur Instagram, Laura Daniel dessine nos rêves et nous offre une douce fenêtre de liberté
Sur Instagram, Laura Daniel dessine nos rêves et nous offre une douce fenêtre de liberté
Lorsque la réalité oppresse, le rêve peut incarner une savoureuse échappatoire. On s'y laisse voguer de scénarios farfelus en contextes improbables, et on s'évade pour mieux se réveiller. Laura Daniel, illustratrice, a fait le pari de dessiner ces songes libérateurs en pleine crise sanitaire.
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Quand on a découvert le travail de l'illustratrice Laura Daniel, l'année 2020 était déjà bien entamée. On s'enfonçait alors lentement dans un premier confinement que l'on croyait encore exceptionnel, et on passait notre temps libre à scroller frénétiquement sur Instagram. Les images défilaient et se ressemblaient, notre esprit avait du mal à se détacher d'une actualité anxiogène, aussi déterminée était-on à trouver du réconfort en scrutant la vie des autres.

Et puis, l'un des rares comptes qui parvenait à nous changer les idées (@lescaractères, tenu par la comédienne Lison Daniel, sa cousine) a glissé l'une des réalisations de la première dans ses stories. Attirée par les couleurs vives du dessin, et les quelques mots qui décrivaient le concept, on avait cliqué. Quelle bonne idée.

On découvrait alors une publication quasi féérique. Un croquis baptisé "Le rêve d'Emilie", qui représentait une jeune femme blonde vêtue d'une robe rouge écarlate, menant une danse endiablée avec un corbeau aux ailes gigantesques. Elle était dans un resto "en plein milieu de la forêt amazonienne", lisait-on, "qui stockait des litres de jus d'orange". Rien n'avait de sens, ou du moins pas quand on ne possède pas de master en psychologie.

Pourtant, ce coup de crayon maitrisé avait suffi à nous transporter dans un rêve qui, même saugrenu, nous parlait parce qu'il s'apparentait aux nôtres. Une évidente absurdité vécue, tant qu'on dort, comme un scénario tout à fait plausible. En parcourant la page, on en trouvait une dizaine d'autres. Chacun intitulé du nom de son "propriétaire", tous vibrants, intrigants, extraordinaires. De quoi nous convaincre d'y retourner dès qu'on avait des envies d'ailleurs.

Car Laura Daniel met nos songes en image et du baume à notre petit coeur.

A l'écoute de son intimité

"L'idée est venue il y a un an, le jour où deux de mes meilleurs amis m'ont respectivement envoyé leur rêve de la nuit passée, dans lesquels j'apparaissais", nous explique l'artiste lorsqu'on la contacte pour en savoir davantage sur ce si chouette et apaisant projet. "J'ai eu envie de les dessiner et les ai posté sur Instagram en invitant les personnes qui me suivent à m'envoyer à leur tour leurs rêves".

Aujourd'hui, elle en reçoit des dizaines par semaine, plus encore lorsque les restrictions sanitaires se durcissent. "Les gens isolés chez eux sont naturellement davantage à l'écoute de leur intimité dans une période comme celle que nous vivons", estime-t-elle.

Dans certains cas, les sujets sont étrangement similaires, sans qu'il y ait "d'explication logique". "Il peut y avoir des jours où je reçois des rêves où la couleur bleue est particulièrement présente, quatre en une semaine où Céline Dion est la guest-star. Il y a aussi le délire de toute puissance où les rêveurs ont tous les pouvoirs, dans tous les sens du terme, et ils se réveillent galvanisés. Et évidemment, la famille est très souvent présente", énumère Laura Daniel.

Elle poursuit, comme un clin d'oeil à l'actualité : "Beaucoup de rêves représentent également des zones immergées par l'eau - un intérieur, une grotte, New York, un jardin... - dans lesquelles la vie continue de s'écouler - presque - normalement. Ceux que je jalouse le plus (elle confie se souvenir très peu des siens, ndlr), sont ceux où le rêveur se retrouve à voler, très souvent à dos d'animaux magiques et imaginaires, et ressent des sensations de plénitude incroyables."

Il y a aussi ceux qui ne seront pas dessinés car trop difficiles à poser sur le papier, et que l'illustratrice gardera précieusement pour elle. "Récemment un garçon a rêvé qu'il filmait un documentaire et que ses parents se [retrouvaient] dans le champ de sa caméra, en sous-vêtement, et restaient immobiles. Une autre a tenté de séduire un homme en lui chantant sensuellement Les Sardines de Patrick Sébastien. Ou encore une personne a rêvé qu'elle était un oeuf au plat, réduite à sa condition d'oeuf au plat, et que soudain, une spatule s'approche". Le suspense est insoutenable, le rire difficilement contrôlable.

Les cauchemars, eux, restent plus rares. Sûrement parce qu'ils jouent sur nos peurs, nos failles, nos secrets, et qu'on a moins envie de les partager. Quoique, pas tout le monde. "Je reçois quand même quelques récits terrifiants avec des araignées gangréneuses ou un Vladimir Poutine devenu vampire". Classique.

La crise sanitaire, catalyseur de songes abracadabrantesques ?

Encouragée par toutes ces aventures improbables et inspirantes, on lui a conté la nôtre. Jean Castex n'était pas Premier ministre mais notre supérieur hiérarchique, et décidait de nous virer un bon matin sans autre forme de procès. En réaction à ce licenciement qu'on jugeait - bien dans notre droit il faut le dire - abusif, et révoltée comme pas deux, on s'enfuyait en sautant d'immeuble en immeuble à l'aide d'une perche géante, jusqu'à la mer. Jouissif.

A croire que là aussi, il y a un thème, puisque quelques jours plus tard, le chef du gouvernement étendait du linge dans une forêt enchanteresse, annonçant à qui voulait l'entendre que bientôt, on fermerait les fromageries non-essentielles. C'était le rêve de César, reproduit et publié le 4 avril dernier, et on s'y serait crue.

On se demande : le contexte sanitaire s'immisce-t-il particulièrement dans nos nuits ?

"Parfois de façon très évidente, le Covid est mentionné et crée une certaine situation", répond Laura Daniel. "Parfois, et c'était notamment le cas lors du premier confinement, je recevais beaucoup de rêves relatifs à l'enfermement, à l'hôpital, à la maladie..." Elle s'empresse de préciser : "Ce n'est pas toujours triste ! Par exemple une personne a rêvé qu'enrhumée, elle éternuait et une saucisse sortait de son nez." Et nous qui nous pensions originale avec nos soucis professionnels et notre cavale à la Aladdin.

Pour Deirdre Barrett, professeure associée en psychologie à l'université de Harvard et autrice du bien-nommé Pandemic Dreams, ça ne fait aucun doute : le climat que provoque la crise rend nos péripéties nocturnes plus intenses. On est stressé·e·s par ce qui se passe - ou plutôt, ne se passe plus - dans ce monde d'un entre-deux peu glorieux, et notre cerveau embué manifeste cet état une fois nos paupières closes. Un constat d'autant plus fort chez les personnels en première ligne, note-t-elle auprès de Vice.

"J'aime à dire que les rêves ne sont que des pensées dans un état biochimique différent, et je crois que nous sommes toujours aux prises avec les mêmes problèmes qui nous préoccupent lorsque nous sommes éveillés", observe-t-elle encore. "Nos espoirs et nos craintes, beaucoup de choses concernant notre vie émotionnelle personnelle, notre vie professionnelle - mais nous pensons dans ce mode qui est beaucoup plus visuel, il est moins linéaire et logique, il est moins ancré dans le présent immédiat et le futur à court terme que lorsque nous sommes debout."

Le songe incarne donc à la fois un refuge plein de possibilités et une toile sur laquelle se dessinent nos tracas actuels. Tout un monde fascinant à sillonner, analyser, explorer. En s'y plongeant à la tombée du jour, sombrant lourdement au creux des bras de Morphée, ou à travers l'écran, en voyageant éveillé·e. Quoiqu'il en soit, de ces expressions de notre inconscient, comme de leur interprétation artistique, on ne s'en lasse pas.