La journaliste libanaise qui a coupé la chique au cheikh islamiste s'explique

Publié le Mercredi 11 Mars 2015
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
La journaliste Rima Karaki.
La journaliste Rima Karaki.
Depuis qu'elle a remis à sa place en direct à la télé un cheikh islamiste qui lui ordonnait de "la fermer", la journaliste Rima Karaki est devenue malgré elle l'ambassadrice des femmes au Liban. Loin de se considérer comme "une héroïne", elle s'est expliquée dans un entretien accordé au "Guardian".
À lire aussi


C'est probablement la séquence vidéo la plus jubilatoire de ce début d'année. À quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, la journaliste Rima Karaki, qui officie sur la chaîne al-Jadeed basée à Beyrouth, interviewe le cheikh islamiste Hani al-Sebaï dans le cadre d'un sujet sur l'embrigadement des chrétiens par les groupes djihadistes.


Alors que le cheikh se lance dans une longue tirade sur les précédents historiques du phénomène, Rima Karaki tente de recentrer le débat sur l'actualité. Ce qui fait littéralement sortir Hani al-Sebaï de ses gonds. Ayant visiblement un problème avec le fait d'être interviewé par une femme journaliste, le cheikh lance alors violemment à Rima Karaki : "Ne me coupez pas la parole. Je répondrai si je veux."


S'en suit un vif échange en direct, au cours duquel la journaliste tente d'expliquer à son invité que le temps presse et qu'elle doit recentrer l'entretien sur le sujet principal. Ce à quoi le cheikh lui répond : "Vous avez fini ? Fermez-la que je puisse parler."


C'en est trop pour Rima Karaki qui, devant ce manque flagrant de respect, préfère couper court à l'entretien : "Assez, on a terminé. Soit il y a un respect mutuel, soit cette discussion est terminée", conclut-elle, avant de couper le micro du cheikh.

"Si je n'avais pas répondu, je me serais haïe"


Depuis sa diffusion à la télévision libanaise la semaine dernière, la séquence est devenue virale. Reprise par les médias du monde entier, qui louent unanimement la répartie et le sang-froid dont a fait preuve Rima Karaki, elle a été visionnée plus de 6 millions de fois sur YouTube en moins d'une semaine.


Pour autant, pas question pour la journaliste de s'arroger le statut de porte-parole de la cause des femmes. Dans un entretien exclusif accordé au Guardian , Rima Karaki revient sur l'épisode. "Si je n'avais pas répondu [au cheikh Hani al-Sebaï, ndlr], je me serais haïe, et je ne veux pas me détester. Quand il m'a dit de la fermer, il n'était plus possible de me taire parce que ce serait insultant pour moi-même."


Expliquant avoir dû se voiler à l'antenne pour interviewer Hani al-Sebaï, Rima Karaki ne se considère pour autant pas comme une "héroïne". "C'est une question de respect de soi", affirme-t-elle, avant d'affirmer qu'elle ne voulait pas nécessairement blâmer en direct le comportement sexiste du cheikh, mais plutôt lui faire prendre conscience de son irrespect. "J'ignore si en étant un homme, il aurait osé me dire de me taire. Je l'ai pris comme un manque de respect, que je sois une femme et lui un cheikh importe peu. Pour moi, cela n'a rien à voir avec la religion ou sa ligne politique, cela a à voir avec l'éthique."


Rima Karaki confie cependant avoir été particulièrement touchée par les marques de sympathie et de soutien de la part de la presse libanaise suite à la diffusion de l'interview. Elle espère d'ailleurs que cette esclandre en direct aura un impact positif, en particulier sur les sociétés patriarcales, où les femmes journalistes régulièrement confrontées à la misogynie et au sexisme.

>> Une journaliste saoudienne mouche un historien misogyne en direct <<