Le pokemoning, la tendance amoureuse qui craint

Publié le Mardi 06 Novembre 2018
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Le Pokemoning, la tendance dating qui craint un peu
Le Pokemoning, la tendance dating qui craint un peu
Après le slow-dating et le freckling, c'est au tour du pokemoning de venir hanter les rituels amoureux. On vous décrypte cette lubie très étrange qui prouve bien qu'en 2018, on a carrément craqué.
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A voir le nombre de tendances dating pondues par an, on se dit que, soit on a vraiment trop de temps à perdre pour inventer des trucs pareils, soit il existe une société secrète à l'origine de tout ça, qui se frotte les mains en nous voyant galérer avec notre vie sentimentale. Une sorte de franc-maçonnerie de l'amour beaucoup trop compliqué et parfois limite sur le plan respect de l'autre. Et qui cartonne.

Alors bien sûr, sortir avec plusieurs personnes en même temps, comme le font si bien les Anglo-saxons, ne pose pas vraiment de problème tant que les deux côtés sont au courant. Chacun fait ce qu'il veut et l'engagement n'est pas un concept auquel tout le monde doit obligatoirement adhérer. On a le droit de vouloir voir Pierre le lundi, Hélène le mercredi et Jacques le vendredi sans devoir rendre de compte à personne. Encore heureux.

Là où cela devient plus problématique, c'est quand la théorie du supermarché entre en jeu. Une petite idée conçue entre ami·es qui expliquerait pourquoi on a tant de mal à se décider sur une seule personne, femmes comme hommes.

Avec toutes les possibilités en ligne qui s'offrent à nous, et on ne parle pas de celles qui se présentent à chaque coin de rue, on se sent comme au Carrefour Market du coin. On se dit que si on choisit cet avocat, pas sûr que celui d'à côté ne soit pas meilleur, ou que l'on n'ait pas loupé l'aubergine du siècle. Bref, on réduit l'amour à la consommation, on a toujours l'impression qu'on peut avoir mieux et on finit par ne jamais prendre de décision - et par mourir seule entourée d'une horde de puggles, des chiens mi-carlins mi-beagles.

Le Pokemoning, comme l'explique Her, c'est un peu le même principe... en plus glauque. Au lieu d'apprécier une personne (voire plusieurs) pour ses qualités et ses défauts, le consommateur du dating va se dire que de toutes façons, personne n'est assez bien pour lui, et préférer piocher plusieurs partenaires pour leurs qualités complémentaires.

Il ne les enfermera pas forcément dans une petite boule rouge et blanche, ne leur ordonnera pas non plus de lancer une attaque-éclair sur son facteur, mais les collectionnera chacun·e pour une raison bien propre. Comme avec Pikachu, Bulbizarre et Carapuce.

2018, Mesdames et Messieurs.

Ce qu'il faut bien saisir, c'est la différence entre "dater" plusieurs personnes car on aime beaucoup la personnalité de chacune, et vouloir accumuler les amours simultanés car on est persuadée qu'aucun d'entre eux ne nous comblera. Sélectionner plusieurs individu·es pour essayer de créer la perfection, en somme. Une sorte de Frankenstein moderne qui fait froid dans le dos, et qui demande un investissement hebdomadaire au-delà de nos compétences.

Car si avoir peur de faire le mauvais choix est humain, c'est aussi le cas de la personne que l'on a en face de nous. Avec ses défauts, ses qualités et une complexité tout aussi singulière que la nôtre. A partir du moment où l'on a compris que nous non plus, on n'est pas parfaite, l'imperfection des autres nous semblera sûrement beaucoup plus touchante et tolérable.

Et c'est à ce moment-là que l'on pourra faire la paix avec notre envie de "toujours mieux" pour commencer à chercher quelqu'un de bien. Et que l'on arrêtera aussi de courir comme une éreintée d'un rendez-vous à l'autre.