Quand Weight Watchers veut apprendre aux femmes rondes "à aimer le sexe"

Publié le Mercredi 19 Octobre 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
.
Weight Watchers et sa campagne de fat-shaming avec sa campagne Weight Watchers Black
2 photos
Lancer le diaporama
Weight Watchers a lancé en Australie une campagne pour un programme minceur qui se focalise sur la sexualité -supposée malheureuse- des femmes rondes. Un bel exemple de marketing qui joue sur le body-positivisme et... échoue.
À lire aussi

"On n'a jamais fait l'amour complètement nus parce que je ne supportais pas l'idée qu'il voit mon corps en entier". Voilà comment commence la pub pour la campagne Weight Watchers Black lancée en Australie : dans une vidéo en noir et blanc, des femmes "rondes" parlent à la caméra, le visage grave, en cachant leurs corps : "Au lit, je n'arrivais pas à lâcher prise, je ne faisais que penser à mon ventre". Leurs confessions et leurs mines affligées sont accompagnées par une musique de fond au piano, histoire de dramatiser le tout. Parce c'est un sujet bien grave auquel Weight Watchers a décidé de s'attaquer : l'incapacité des femmes à apprécier les relations sexuelles à cause de leurs poids et de leurs complexes. Le résultat ? Une publicité ambiguë, qui utilise l'insécurité féminine et le fat-shaming pour faire vendre.

Weight Watchers Black : un programme minceur pour s'épanouir sexuellement

En effet, la firme spécialisée en régimes minceur a décidé pour la première fois de parler sexualité à ses clientes. Le "Weight Watchers Black" se sert de la vie sexuelle des femmes rondes comme argument de vente : quoi de mieux pour les motiver à perdre du poids ? Avec la devise "On vous apprend à aimer le sexe", le programme comprend des exercices, du coaching mental et des astuces de régime afin d'aider les femmes à être plus à l'aise au lit. Il s'appuie sur une étude de Maidstone Consulting qui révèle qu'un quart des femmes australiennes évitent le sexe parce qu'elles sont trop complexées par leurs corps. En apparence, l'intention est honorable. Mais en apparence seulement, car on peine à comprendre comment cette campagne pourrait aider les femmes à assumer leurs corps.

Et si la publicité était déjà douteuse, la promotion du programme a achevé d'exaspérer les journalistes australiennes. Bridie Jabour, qui travaille pour The Guardian, a publiquement dénoncé l'hypocrisie malsaine de la campagne. Après avoir reçu une ampoule promotionnelle Weight Watchers Black "pensée pour donner un petit coup de boost au lit" aux femmes mal dans leur peau qui pourraient ainsi "se voir sous un nouveau jour", elle a torpillé la compagnie des régimes minceur en parlant sur Twitter d'une "campagne ignoble, qui s'appuie sur des moments d'intimité et de vulnérabilité".

Une véritable campagne de fat-shaming

Car ne vous y trompez pas : la campagne de Weight Watchers a beau convoquer de manière éhontée le body-positivisme en multipliant les hashtags #LoveYourself dans son spot publicitaire, cela ne suffit pas à en faire une publicité positive et inspirante. Le sous-entendu de Weight Watchers Black est odieux, et à peine masqué : être ronde vous empêche d'avoir une vie sexuelle épanouie, parce que vous ne pouvez pas (ou ne devriez surtout pas) être à l'aise avec votre corps. Sous-entendu : le corps d'une femme ronde est repoussant, et c'est normal qu'elles ne se sentent pas désirables et ne puissent pas s'épanouir face à quelqu'un. La campagne n'incite pas du tout les femmes à s'accepter pour se libérer de leurs complexes, mais à transformer leurs corps pour mieux correspondre aux critères de beauté étriqués de la société actuelle -thigh gaps, côtes saillantes et indigestion aux coupes-faim.

Rebecca Melville, directrice marketing de la marque, a tout de même avoué à Mumbrella que "des erreurs avaient été faites" dans cette campagne. Et c'est peu dire. Que Weight Watchers vendent des régimes et doivent donc faire la promotion des corps minces, ce n'est pas une nouveauté. Mais quand toute leur ligne marketing repose sur les complexes qui poussent les femmes à maigrir, les gourous du régime devraient peut-être tout simplement arrêter de jouer les agneaux du body-positivisme.

L'avant/après, le corps inadapté qui devient "beau" aux yeux de la société : voilà le moteur de la marque. Dans une pub en 1973 retrouvée par le site Jezebel , ils l'expliquaient ouvertement : "Grâce aux programmes Weight Watchers, il y a tant de personnes grosses et malheureuses qui renaissent en devenant minces et heureuses". C'est dans l'ADN de la marque de vendre du bonheur en vendant de la maigreur, et rien n'a changé, si ce n'est qu'à l'époque, elle avait le mérite d'être franche.

"Je préférais rester à la maison que d'affronter le monde. Et en voyant cette photo, ce n'est pas difficile de comprendre pourquoi", explique Jerri en parlant de sa vie avant WW (1974)
"Je préférais rester à la maison que d'affronter le monde. Et en voyant cette photo, ce n'est pas difficile de comprendre pourquoi", explique Jerri en parlant de sa vie avant WW (1974)

Car c'est encore peut-être ce qui est plus gênant : Weight Watchers essaye de transformer ce marketing obligatoire en initiative faussement positive, en promouvant l'idée que le bonheur, au lit comme ailleurs, ne peut passer que par la maigreur. Après les voitures pour femmes designée par Cosmopolitan ou la campagne ultra-sexiste des "jeans féministes", il est temps d'en finir le marketing malsain qui surfe sur la vague du body-positivisme pour se faire mousser. Oui, le féminisme fait vendre, mais encore faut-il qu'il soit authentique.

Une publicité Weight Watchers en 1973
Une publicité Weight Watchers en 1973