Taylor est de retour. Enfin !
Avec The Life of a Showgirl, la chanteuse la plus écoutée au monde offre à ses millions de fans un nouvel opus hyper entêtant et forcément très intime.
Car si les couleurs de cet album sont beaucoup plus vives que celles du précédent (un hit tel que Opalite l'illustre), il est toujours question d’introspection quand on parle de Taylor Swift. Celle-ci se raconte en chansons comme on s’allonge sur le divan, même dans ses plus gros hits.
Taylor Swift aborde tout dans ses albums : la tristesse, la dépression, la crise existentielle, le manque de confiance en soi, l’anxiété sociale.
Et le fait qu’elle en parle incite ses milliards d’auditeurices à assumer leurs émotions les plus négatives et à les extérioriser. Taylor feuilletonne sa vie à travers ses chansons mais chacune d’entre elles est applicable à la nôtre. L'Américaine nous apprend bien des choses sur nos affects, et la manière de les accueillir.
Les exemples fourmillent dans son oeuvre furieusement polyphonique.
Et en cette Semaine de la santé mentale, il nous semblait nécessaire de nous y pencher sérieusement, le casque sur les oreilles.
Taylor Swift chérit énormément les enjeux de santé mentale.
Tout cela importe à ses yeux autant qu'une bonne direction artistique ou qu'un refrain entêtant.
Les sujets les plus silenciés se retrouvent dans ses paroles, douces-amères et très sensibles.
Taylor Swift raconte par exemple dans la chanson “this is me trying”, issue de son album Folklore, ce qui peut être interprété comme le quotidien d’une personne dépressive : “Et c'est dur d'être à une fête quand je me sens comme une plaie ouverte”, écrit la chanteuse, qui énonce encore : “Ils m'ont expliqué que toutes mes cages étaient mentales”.
“This is me trying”, complainte mélancolique irrésistible, c’est le témoignage de quelqu’un qui, comme l’énonce le titre, “essaie” : d’avoir l’air confortable en société, de voir des gens, de contenir ses émotions (ses larmes), malgré sa grande souffrance intérieure. “C’est simplement moi en train d’essayer. Au moins, j’essaie”, chantonne la spleenétique lyriciste.
Conflits intérieurs, anxiété, surcharge mentale, tristesse, constituent une grande partie des motifs qui hantent les ballades de l'artiste.
Comme lorsqu'elle relate dans "long story short" (Evermore) une “mauvaise période” qu’elle a vécue : une phase où elle s’est sentie “en train de chuter de [son] piédestal, poussée au bord du précipice, directement dans le terrier du lapin”, observant, amère : "J'ai essayé de choisir mes batailles jusqu'à ce qu'elles me choisissent.".
Mais au bout d’une une série de métaphores, la chanteuse assène : “Oui pour faire court (long story short) c’était une mauvaise période, mais j’ai survécu”.
Un message inspirant. Son de cloche identique dans la ritournelle mélancolique I Hate It Here (The Tortured Poets Department), qui dans l'un de ses derniers couplets nous souffle, sous couvert de "vie intérieure" et d'espace "secret" à explorer : "Je suis seule, mais je vais bien. Je suis amère, mais je jure que je vais bien".
La musique de Taylor Swift est abondamment “streamée” ces dernières années car elle parle à toutes les sensibilités : la corde sensible qu’elle fait vibrer est universelle et certains y voient même une forme de thérapie émotionnelle.
Beaucoup de ses chansons semblent être une invitation à extérioriser son ressenti sans craindre les jugements d’autrui.
Taylor Swift détaille énormément ses émotions, leur attribuant une quantité d’images, une suite de métaphores, et par cela, elle impose aussi une conviction : les affects des femmes, rarement pris au sérieux, constituent un vrai sujet.
Et c’est même le cœur de certains de ses sons.
Comme le bien nommé “Mad Woman”, où elle suggère le mépris essentiellement sexiste des hommes pour les émotions dites “négatives” des femmes (la colère par exemple) : “Chaque fois que tu me traites de folle, je deviens encore plus folle. Et alors ? Et quand tu dis que j'ai l'air en colère, je deviens encore plus en colère.”. Des émotions qui ne sont pas prises au sérieux et dont la minimisation contribue aux stéréotypes misogynes.
En conférant autant de place aux émotions, jusqu'aux plus enfouies en nous ou réfrénées, Taylor Swift nous incite à les assumer, ne jamais les mésestimer. Ses chansons sont à ce titre cathartiques et déconcertantes de sincérité. Et elles ravivent le lien important qui existe entre notre santé, et notre rapport émotionnel à la culture. Surtout la plus fédératrice.
Médecin psychiatre à l'hôpital Saint Antoine à Paris, Jean-Victor Blanc, également enseignant à Sorbonne Université et spécialisé dans la prise en charge des nouvelles addictions et du trouble bipolaire. résume cela ainsi dans les pages de Madame Figaro : "Les stars ont fait du bien à la représentation des questions de santé mentale. Partager sa vulnérabilité ne veut plus dire que l’on va perdre en légitimité ou être ostracisé dans son métier. Pour les jeunes générations, c’est un sujet identitaire, qui fait partie de leur quotidien."
"C’est le changement majeur qu’il y a eu ces vingt dernières années dans le monde de la psychiatrie. Ce qui a évolué grâce aux célébrités, c’est l’acceptation de la santé mentale et de la psychiatrie dans notre société. Pour moi, c’est vraiment une source d’espoir et d’optimisme. Ce mouvement est global, il fait quand même du bien. Notre société demande aux célébrités de parler de leur vie, de leur famille, de leurs problèmes de santé, de politique ou d’écologie. Pourquoi ferait-on une exception pour la santé mentale ?"
Le Docteur Jean-Victor Blanc est médecin-psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris) et enseignant à Sorbonne Université. Il est plus précisément spécialisé dans la prise en charge des nouvelles addictions et du trouble bipolaire. Il est l’auteur de nombreux ouvrages tels que Pop & Psy (Editions Plon, 2019), consacré à la représentation des enjeux de santé mentale dans les films, la musique et les séries.
Pour plus d'informations sur la Semaine de la santé mentale, rendez-vous sur la page de sensibilisation dédiée de Webedia.
