Suède : un petit garçon métis déguisé en sainte fait flamber le racisme

Publié le Vendredi 16 Décembre 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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La photo controversée du petit garçon en Sainte Lucie qui a déclenché une explosion de commentaires racistes
La photo controversée du petit garçon en Sainte Lucie qui a déclenché une explosion de commentaires racistes
Si l'on admire la Suède pour sa lutte en faveur de la parité et son ouverture traditionnelle, on connaît moins le revers de la médaille de ce pays qui a tenu à rester une terre d'accueil et d'immigration : une violente montée du racisme, qui se déchaîne sur les réseaux sociaux.
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Dans l'esprit de tous, la Suède est un modèle de tolérance, d'ouverture et de parité. Elle prend souvent des allures de pays idyllique, où l'égalité des sexes et le respect de l'autre règnent en paix. Et pourtant, sous son auréole, la Suède cache une réalité bien plus sombre. Terre d'immigration par tradition, le pays scandinave aux prises aujourd'hui avec une violente explosion de la xénophobie et du racisme, alors que l'intégration se fait de plus en plus difficile depuis 2011 suite aux flux massifs de migrants venus s'abriter des guerres du Moyen-Orient.

Devenue l'emblème de cette situation endémique, ce mois-ci, c'est une simple publicité de Noël présentant un petit garçon noir a déchaîné la colère de la fachosphère suédoise. Si le sexisme est banni, le racisme, visiblement, s'invite allègrement au pied des sapins de Noël des Suédois.

Une forte montée de la xénophobie et du racisme au royaume de la tolérance

La Suède a toujours été une terre d'accueil pour les immigrants. Pendant la Seconde Guerre Mondiale et après, elle a accueilli des milliers de juifs sous l'impulsion du bienveillant diplomate suédois Raoul Wallenberg. Par la suite, le pays a ouvert ses portes aux Européens de l'Est qui fuyaient les régimes communistes, aux Latino-Américains qui tentaient d'échapper aux dictatures, aux jeunes Américains qui refusaient de faire la guerre du Vietnam... D'après les estimations de L'Express, 20% de la population a des racines étrangères : le multiculturalisme faisait donc figure de loi en Suède, devenue le refuge des exilés.

A partir de 2013, les réfugiés syriens et autres affluent, en provenance cette fois du Moyen-Orient. Plus de 280 000 réfugiés bénéficient de l'hospitalité suédoise, qui accueille un nombre record de réfugiés par habitant. Mais face à ces arrivées massives et à une intégration de plus en plus compliquée, la peur et le mécontentement grandissent au sein de la société suédoise, qui rejette de plus en plus la politique d'accueil de son pays en reprenant à tout-va le thème de la citadelle menacée par les barbares. Des groupes néo-nazis resurgissent, tandis que le parti extrémiste et anti-immigration, les Démocrates de Suède ("Sverigedemokraterna") ou SD, que l'on compare souvent au Front National, devient le troisième parti du pays et parvient à asseoir 49 de ses députés au Parlement après avoir raflé 13% des voix aux élections générales de 2014. Prise dans un goulot d'étranglement, la Suède commence à durcir les conditions d'asile afin d'apaiser la situation.

Mais comme l'explique très bien Le Monde, l'amour de la Suède pour le politiquement correct, appelé "couloir d'opinion" (en suédois : "asiktskorridor") rend la situation encore plus difficile. A force de taire le problème pour ne pas susciter de propos racistes, l'abcès s'infecte : ce silence médiatique policé accroît encore davantage la colère des anti-immigrations, colère qui s'exprime donc ponctuellement à travers de brutaux excès de violence physique ou verbale. Et cette fois-ci, c'est la photo d'un jeune métis habillé en Lucie, une sainte de Noël, qui a déclenché un torrent de racisme des plus effrayantes.

La publicité qui a provoqué la colère des fachos

Dans ce contexte de crise politique et de fortes tensions provoquée par une poussée de l'extrême-droite, la marque suédoise Åhléns luttait à sa façon, en militant pour la tolérance à travers des publicités qui révélait la beauté de la diversité suédoise. À l'automne 2015, elle avait présenté dans son catalogue une femme en hijab, au printemps 2016, elle avait fait appel à des mannequins du troisième âge et il y a quelques mois, des personnalités du monde des affaires avaient posé habillés avec des tenues du sexe opposé (les hommes en femmes et inversement).

Cette fois-ci, Åhléns avait choisi de diffuser la photo d'un petit garçon métis de 8 ans, habillé de blanc et portant la couronne de bougies pour fêter la Sainte-Lucie. C'est une grande fête populaire en Suède, qui célèbre le lancement des festivités de Noël et le retour de la lumière après des mois d'obscurité. Traditionnellement, chaque ville élit chaque année sa Sainte-Lucie : Åhléns a donc voulu "montrer ce à quoi ressemble la Suède d'aujourd'hui", explique Linda Soderqvist, responsable du marketing au Monde. "Dans chaque école suédoise, il y a des enfants à la peau claire ou foncée, aux cheveux courts ou longs, filles ou garçons, qui veulent être sainte Lucie", ajoute-t-elle.

Mais les extrémistes n'ont guère apprécié ce qu'ils ont vu comme un détournement d'une tradition purement nordiste (entendez : réservée aux Suédois blancs aux cheveux blonds exclusivement) et ont violemment attaqué la publicité sur la page Facebook de la marque, en parlant d'"attaque contre les traditions nordiques", ou de "génocide contre les Blancs". Très choqués, les parents du petits garçons ont demandé à ce que la photo soit retirée pour le protéger.

Néanmoins, la marque a été vivement soutenue face à ces attaques xénophobes, notamment par le groupe "Jag är här" ("Je suis ici", en suédois), créé sur Facebook en début d'année afin de ne pas laisser de commentaires haineux ou racistes sans réponses. Des centaines de Suédois ont également posté sur Instagram des photos en costume de sainte Lucie pour célébrer la diversité et la lutte contre la xénophobie : ne désespérons pas trop vite, la magie de Noël existe encore malgré tout...

Le selfie de soutien de la ministre de la Culture, Alice Bah Kuknke et de l'ex champion du monde de saut à la perche, Stefan Holm :