Faut-il se méfier de la technique de drague du "maskfishing" ?

Publié le Jeudi 12 Novembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
C'est quoi, le "maskfishing" ?
C'est quoi, le "maskfishing" ?
A l'heure d'un port du masque généralisé et d'un confinement qui fait la part belle aux applis de rencontre, certain·e·s s'interrogent sur les risques du "maskfishing", soit le fait de dissimuler la moitié de son visage derrière un masque en photo de profil.
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On connaissait jusque-là le "catfishing", où le fait de tromper quelqu'un sur son identité en ligne, on découvre aujourd'hui le "maskfishing". Le terme qualifie le fait de dissimuler volontairement le bas de son visage derrière un masque, et donc d'induire en erreur son interlocuteur·ice sur son physique.

Traduction : on n'aime pas son menton, alors on le couvre en espérant que notre regard suffira à attirer l'attention.

Un réflexe récent (Covid oblige) mais assez commun, apparemment, puisque sur le site Urban Dictionary, la bible de l'argot et du langage populaire anglophone, l'expression possède déjà sa définition. Et une mise en situation. On lit ainsi : "Maskfishing : Un phénomène où une personne semble plus attirante parce qu'elle porte un masque". Et plus loin, l'exemple censé nous aider à contextualiser : "Je pensais que ce type était carrément mignon mais il a enlevé son masque et je peux voir que j'ai été 'maskfishé·e'".

Autre preuve que la technique est pas mal exploitée : une appli de rencontres américaine a décidé de bannir ceux et celles qui utiliseraient des photos de profil masqué·e·s. Par souci de transparence, et de crainte que certaines personnes malintentionnées tentent "d'inciter quelqu'un à accepter un rendez-vous en cachant leur véritable apparence". Seulement, y-a-t-il vraiment de quoi s'inquiéter ?

"C'est un signal d'alarme pour moi"

Pour Sarah Louise Ryan, coach en relation interrogée par Metro, le maskfishing n'est pas tant dangereux pour la "victime" que risqué pour la personne qui ne s'assume pas. Car quand, après de longues conversations par écrans interposés, on finit par se retrouver en vrai, les masques tombent - et la réaction de l'autre peut faire mal à l'ego.

"Certaines personnes ont déjà ressenti un sentiment de déception lorsqu'elles découvrent qu'elles ne sont pas physiquement attirées par la personne derrière le masque", explique-t-elle. "Pour qu'un amour dure, nous devons d'abord créer une attirance avec quelqu'un, puis nous sommes stimulés par sa personnalité - s'il n'y a pas d'attirance au début, il est difficile de passer aux étapes suivantes de la romance."

Non pas que l'on doive absolument correspondre à des standards réducteurs, mais nombreux·se·s sont ceux et celles qui ont besoin d'être charmé·e·s visuellement. Et surtout, de sentir que l'autre est bien dans sa peau pour pouvoir envisager une relation plus ou moins longue. C'est le cas d'Abby, 27 ans, originaire de Liverpool. La jeune femme prévient : les photos de profil masquées sont carrément rédhibitoires.

"Je ne vais pas 'swipe right' (le fait de valider le profil d'un personne, ndlr) quelqu'un qui porte des lunettes de soleil, une casquette ou qui ne regarde pas l'appareil photo en face sur ses photos, donc il est impossible que je 'swipe right' quelqu'un qui porte un masque", lâche-t-elle à Grazia UK. Elle justifie : "Ce n'est pas que je suis superficielle, mais plutôt que ces personnes ont clairement une faible estime d'elles-mêmes. Si vous n'aimez pas ne serait-ce qu'une seule photo de vous où je peux voir clairement à quoi vous ressemblez, c'est un signal d'alarme pour moi."

Et lance, comme un cri du coeur auquel on peut très honnêtement s'identifier : "Je veux quelqu'un de sûr de lui, je n'ai pas l'énergie pour être sa psy".

Pour Sarah en revanche, la tendance est bel et bien source d'angoisse. Elle admet d'ailleurs craindre qu'elle prenne de l'ampleur : "J'ai peur que les gens portent davantage leur masque dans les applications de rencontre, car si cela devenait une habitude, il serait beaucoup plus facile pour les 'catfish' de s'en tirer en trompant quelqu'un", alerte-t-elle. "Même s'il ne s'agit pas un 'catfish', on est en droit de se demande ce que la personne essaie de cacher, et ça me mettrait vraiment mal à l'aise d'accepter un rendez-vous avec quelqu'un qui ne m'a même pas montré son visage, parce qu'il doit bien y avoir une raison à cela." Une raison douteuse, semble-t-elle insinuer.

Heureusement, le maskfishing peut aussi tout simplement cacher sa foi inaliénable en la science, et une envie (essentielle) de protéger les autres.

Montrer qu'on prend le Covid-19 au sérieux

Dans les colonnes de Cosmopolitan UK, la journaliste en charge de la rubrique "sexe et relations" Taylor Andrews a choisi de voir d'un très bon oeil l'apparition du masque sur Bumble, Happn et autres Tinder. "Nous sommes dans une putain de pandémie mondiale", rappelle-t-elle. "Je veux que tu portes un masque. Voir une photo de toi masqué·e sur une application de rencontre va me donner plus de chances de 'swipe right' que n'importe quelle photo de tes abdos."

Elle poursuit : "Il est évident que je ne cautionne aucune forme de tromperie sur les applications de rencontre. Mais le port d'un masque est-il vraiment le plus gros problème dont nous devons nous préoccuper ? Qu'en est-il du 'wokefishing' ? Ou le harcèlement sexuel ?".

Bon point : si ne pas voir la bouche et le nez de quelqu'un peut certes prêter à confusion, en pleine crise sanitaire, savoir que l'on a affaire à un·e potentiel·le partenaire qui affiche fièrement prendre le Covid-19 au sérieux permet aussi de s'assurer qu'on est sur la même longueur d'ondes.

Que notre interlocuteur·ice privilégie la protection de soi et des autres (en l'occurrence, la nôtre quand on sera amené·e·s à se rencontrer), et n'a pas sombré dans un puits sans fond de complotisme éreintant. Car très clairement, on a mieux à faire en ce moment que de perdre son temps à discuter avec quelqu'un qui pense que le coronavirus est une invention de Jacques Attali pour exterminer les pauvres. Mais bref.

Alors bien sûr, s'il s'agit de l'unique cliché disponible, il est aussi tout à fait compréhensible d'en demander un deuxième, plus fidèle. Après tout, on a mis notre visage à nu, nous, ce ne serait donc qu'égalité. Et puis, si la conversation est intéressante, pas de raison de fuir pour quelques complexes faciaux. Avec les semaines de confinement qui nous restent, on aura de toutes façons tout le temps de creuser sur sa personnalité...