"Tu vas où cet été ?" : la question rituelle (et reloue) qui fout la pression

Publié le Jeudi 27 Juin 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Tu vas où cet été ?" : Quand la pression estivale entâche les vacances
"Tu vas où cet été ?" : Quand la pression estivale entâche les vacances
La question que tout le monde se pose quelque temps avant l'été ne serait pas si anodine que ça. Pire, elle pourrait même nous foutre une pression phénoménale quant au choix de notre lieu de villégiature - la faute aux réseaux sociaux.
À lire aussi

A l'approche de l'été, on aimerait n'avoir qu'une chose en tête : quel parfum de glace va-t-on se mettre sous la dent en fin de journée pour nous soulager de la canicule et congeler notre cerveau par la même occasion ?

Dans l'ensemble, la saison chaude rime avec insouciance, apéros entre ami·es et road-trips sur la côte. L'un des moments de l'année où l'on se sent le plus libre de faire ce qu'on veut et surtout de ne pas s'encombrer d'un sous-pull heattech Uniqlo pour sortir, sans pour autant choper de pneumonie. Le rêve.

Les vacances sont le symbole ultime - après le ashram en Inde - de la déconnexion avec le quotidien, du bien-être perso et du temps pour enfin profiter pleinement après une année de dur labeur. Un créneau dénué de toute pression, puisqu'on prévoit de la relâcher dès qu'on enfilera notre première paire de tong.

Enfin presque. Car si on s'accorde à dire qu'on est clairement mieux les doigts de pied en éventail au bord d'une piscine que dans un bureau en ville, un élément pourrait cependant venir assombrir la fête avant de partir - et faire renaître le sentiment d'insatisfaction qu'on cherche tant à fuir : le fameux "Tu vas où cet été ?".

Explications.

Cette question somme toute innocente que l'on se pose aisément entre potes, collègues ou en famille, comme pour varier de l'éternelle discussion sur le climat (devenue clairement plus sérieuse au fur et à mesure que notre avenir en dépend), a pris l'air d'une compétition annuelle sur la valeur de chacun·e.

Une sorte de concours tacite qui comparerait les destinations les plus exotiques, authentiques, cachées, exclusives que l'on choisit pour déterminer qui, en fin de compte, a la meilleure vie. Ou le meilleur compte Instagram.

La dure loi des réseaux

Ce besoin de partir dans les plus beaux endroits à la ronde et de le documenter a dépassé la simple envie de se trouver dans un décor de rêve. Désormais, on veut voyager pour partager. "Ça ne compte pas si c'est pas sur Insta", est quasiment devenu le mantra d'une génération.

Les réseaux sociaux et le potentiel qu'ont nos activités de les alimenter ont biaisé nos comportements quotidiens. Et ce jusqu'à nous foutre la pression du lieu de villégiature, le rendant parfois cornélien et plein d'enjeux quand il devrait rester simple et apte à nous combler nous, et certainement pas un fil d'actualité virtuel.

"Les réseaux sociaux ont élargi les possibilités de comparaison", explique Serge Tisseron, spécialiste des relations aux technologie, à 20 minutes. "Avant on se comparait aux personnes dans les magazines et qui appartenaient à un autre monde. Sur les réseaux, les modèles sont monsieur et madame tout le monde, des gens qui appartiennent au même milieu, ont un métier similaire au nôtre. Cela rend la compétition plus forte". Pour l'expert, nous vivons dans une société où la performance prime, et les vacances ne font pas exception.

Au lieu d'évoquer un simple intérêt pour une personne plus ou moins chère à notre coeur, lui demander où elle compte aller cet été a désormais des airs d'enquête pour savoir où on se place sur l'échelle de la hype. Ou tester sa réaction quand on lui donnera notre programme. Si elle est impressionnée, on est heureuse, sinon, on est tentée de se justifier.

Alors bien sûr, on n'a pas vendu notre sincérité au diable en créant notre premier compte en ligne. On peut aussi réellement s'intéresser à la vie de l'autre, et ressentir la même intention en face. Le tout, c'est de rester conscient·e qu'on n'a pas à succomber à cet engrenage malsain. Et pourquoi pas d'opter pour une détox digitale pendant qu'on y est. Ne rien dire de ses vacances avant de partir, c'est peut-être ça la clé pour réellement partir serein·e.