Mobilisation numérique : « une forme hybride de l'engagement »

Publié le Mardi 06 Décembre 2011
Mobilisation numérique : « une forme hybride de l'engagement »
Mobilisation numérique : « une forme hybride de l'engagement »
Deux internautes Français sur trois ont déjà signé une pétition en ligne, un tiers a déjà cliqué pour donner, mais de la Toile à la rue, la mobilisation numérique fait-elle des miracles ? L'Observatoire Orange-Terrafemina s'interroge sur les nouvelles formes de l'engagement portées par Internet. Alban Martin, cofondateur du Social Media Club, commente les résultats de notre sondage CSA.
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Alban Martin
, cofondateur du Social Media Club et maître de conférences associé au Celsa Paris IV Sorbonne, est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'impact d'Internet sur la société et la culture. Dernier ouvrage paru : « Égocratie et Démocratie : la nécessité de nouvelles technologies politiques », sorti en 2010 chez Fyp édition.

Terrafemina : d’après les résultats de notre enquête CSA, deux internautes sur trois ont déjà signé une pétition en ligne. Est-ce que ce chiffre vous étonne ? Traduit-il la pénétration de comportements nouveaux dans l’engagement ?

Alban Martin : La pétition en ligne offre évidemment une plus grande facilité par rapport aux signatures sur papier qu’il faut recueillir. C’est un geste qui s’est banalisé avec la possibilité de devenir « fan » d’une page Facebook en un clic. Sur ces pages, le nombre de fans a souvent une valeur de vote ou de soutien à une cause, elles fonctionnent en prenant des allures de pétition avec des accroches du type : « Si vous aussi vous pensez que… » Mais il est aussi intéressant d’observer que d’après une étude du Pew Research Center de 2009, s’agissant de pratiques existant dans la vie courante qu’on transpose sur Internet, comme signer des pétitions ou envoyer des messages aux politiques, ce sont les mêmes personnes qui agissent. En revanche, quand il s’agit d’outils propres au web, comme les pages Facebook et les autres possibilités offertes par les réseaux sociaux, ce sont des personnes différentes, pas forcément actives dans la vie réelle, qui s’investissent.

TF : Un tiers des personnes interrogées ont déjà diffusé par mail un appel à la mobilisation pour une cause. Est-ce à dire que les internautes militants sont plus nombreux dans l’espace numérique que dans la vie réelle ?

A. M. : Il est en effet plus simple qu'avant de réunir 1 million de fans ou de clics, mais faire venir 50 personnes le dimanche pour laver une plage reste toujours aussi compliqué. Internet et les réseaux sociaux ont fait naître une forme hybride de l'engagement, plus superficielle, et souvent décevante quand il s'agit de passer au concret. Néanmoins ce sont des moyens en plus à ne pas négliger, entre l’indifférence totale et le militantisme, on peut faire passer des messages sur de nouvelles cibles, et d’une manière moins austère. Reste ensuite à motiver et entretenir cette base de personnes, et c'est le plus difficile.

TF : Vous écrivez « Moins les individus se sentent isolés, plus ils perçoivent leur force potentielle et plus ils sont susceptibles de s’organiser pour former un collectif ». Internet permet-il de démultiplier l’engagement des citoyens ?

A. M. : Oui, je suis persuadé que le fait de retrouver sur la Toile des personnes qui partagent vos opinions vous renforce dans vos convictions et vous encourage à les défendre sur la place publique. En revanche le moyen de se faire entendre est peut-être en train de changer. Va-t-on choisir de descendre dans la rue ou faut-il trouver d’autres systèmes de mobilisation ? Sachant que les affinités d’opinion qui naissent sur la Toile peuvent être géographiquement très disparates, le passage dans le monde physique impose des contraintes de logistique, de synchronisation et de coût, que le Net permet de dépasser.

TF : D’après notre sondage, 57% des sondés pensent que la mobilisation contre les entreprises est plus facile qu’avant, pensez-vous que les réseaux sociaux constituent une arme efficace pour faire pression sur des sociétés privées ?

A. M. : Oui, et cette idée ne cesse de gagner du terrain. Internet a pris une telle importance dans l’acte d’achat –recherche d’avis, comparaison de prix, etc-, que les marques ne peuvent plus négliger cet aspect de leur image. Les clients peuvent prendre un pouvoir nouveau, et plutôt que d’appeler la hotline pour se plaindre, mobiliser les réseaux sociaux et jouer sur l’image de l’entreprise sur la Toile, pour faire retirer un produit, critiquer les modes de production ou demander la réintégration d’un salarié comme cela s’est passé dans l’affaire du supermarché Cora. Ces moyens de pression sont efficaces à condition de savoir se rendre visible et de recruter des gens qui ont la même opinion.

TF : La mobilisation numérique est-elle un facteur de renouveau démocratique selon vous ?

A. M. : Je poserais plutôt un point de vigilance quant à la compétition pour gagner l’attention des individus sur Internet. Ces nouveaux outils placent au même niveau des causes très nobles, des débats de société sérieux, et des requêtes très superficielles. Des millions de personnes peuvent se mobiliser pour élire le candidat de Koh-Lanta ou la Danette du mois, et cliquer ensuite sur une pétition politique. Le temps de cerveau disponible sur la Toile fait l’objet d’une bataille d’attention permanente, et les entreprises privées développent massivement leur marketing web pour investir cet espace. La chose politique est mise en concurrence avec des messages plus attractifs et d’un autre niveau : la solution réside certainement dans une adaptation à ce marketing accrocheur. Aux États-Unis, les équipes de Barack Obama n’hésitent pas à lancer des concours de vidéos auprès des internautes pour mettre en scène les risques encourus en cas de contamination par le virus de la grippe aviaire, avec une dotation à la clé ; je pense qu’il faut oser médiatiser et récompenser l’engagement.

LES RESULTATS DE L'OBSERVATOIRE SUR LA MOBILISATION NUMERIQUE

Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina sur la mobilisation numérique
L’étude qualitative par l’Institut Treize articles WebLab

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