La tendance est aux aisselles "nickel" : et voici pourquoi c'est naze

Publié le Lundi 31 Janvier 2022
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La tendance est aux aisselles "nickel" : et voici pourquoi c'est naze
La tendance est aux aisselles "nickel" : et voici pourquoi c'est naze
TikTok n'est pas uniquement une mine d'or de bonnes astuces pour mieux dormir ou cuire ses pâtes au micro-ondes avec une cuillère en bois. C'est aussi l'antre de tendances discutables desquelles se préserver. Dernière en date : celle des aisselles dites "nickel".
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Entre quelques contenus mignons et militants nécessaires, les réseaux sociaux et celles et ceux qui les utilisent semblent bien incapables de ne pas véhiculer des critères de beauté inaccessibles qui nous foutent la tête en vrac.

Peau lisse comme une pêche mûre, jean taille basse sur ventre ultra-plat, appropriation problématique du mouvement body positive : il y a l'embarras du choix quand il s'agit de débusquer des messages nocifs en ligne, s'incrustant dans nos esprits en mal de validation comme autant de moules avariées à des rochers qui n'avaient pas besoin de ça.

Parce que 2022 ne semble pas encore être l'année où ces dynamiques disparaîtront comme par magie, une "tendance" qui ne date pas d'hier (de l'Égypte ancienne à l'Empire romain, la peau imberbe des aisselles était synonyme de féminité et de classe sociale) est en train de gagner en importance : les dessous de bras "sans défaut", soit sans poils et surtout, de couleur identique au reste du corps.

Les aisselles qui ne présenteraient pas d'ombre noire post-rasage ou épilation sont ainsi élevées au rang de "goal" esthétique ultime, en somme. Curieux, on en convient, mais pas anodin. Décryptage d'un phénomène toxique à bien des égards.

"Une éruption cutanée foudroyante"

Isla, 24 ans, se souvient de la première fois où elle a essayé un "peeling" sur ses aisselles. "Je scrollais sur TikTok et j'ai commencé à voir cette tendance où des femmes utilisaient de l'acide glycolique sur leurs aisselles pour les éclaircir", raconte-t-elle au magazine américain Refinery29. "Tous les commentaires que j'ai vus saluaient le fait que cela changeait la vie pour l'hyperpigmentation (zones de peau plus foncées, ndlr), alors j'ai été intriguée et j'ai pensé que ce serait amusant, et j'ai tenté le coup."

Seulement, l'expérience se révèle nettement moins positive qu'attendu. "Je me suis réveillée le lendemain avec des rougeurs sous les bras et j'ai réalisé que ma peau avait fait une éruption cutanée foudroyante", confie la jeune femme. Effrayant.

En allant jeter un oeil sur l'appli, on découvre d'autres astuces parfois promues par des "spécialistes". Botox, soins et gommages ciblés mais aussi kits de blanchissement à destination des peaux foncées, davantage sujettes à l'hyperpigmentation. La "trend" résonne comme un énième diktat prônant des standards eurocentrés et renforçant des "normes" excluantes. Ou plutôt, une conséquence directe de ceux-ci.

Une pression sociétale et culturelle au blanchissement

"Chez les types de peau plus clairs, il peut y avoir des rougeurs dans cette zone. Chez les types de peau plus foncés, cette irritation persistante peut conduire à une peau pigmentée", décrit ainsi la Dre Ifeoma Ejikeme, experte de la peau, au magazine américain.

Nikita, qui a également vu une tonnes de ces contenus réducteurs sur TikTok, confie un vécu loin d'être isolé. "En tant que femme sud-asiatique, je ne connais que trop bien la pression sociétale et culturelle qui m'oblige à 'éclaircir' toute partie de mon corps qui, Dieu m'en préserve, paraît plus foncée", lâche-t-elle à son tour. "Lorsque j'ai commencé à remarquer cette tendance, cela m'a certainement fait réagir, mais je ne peux pas dire que j'ai été surprise", poursuit-elle. Elle raconte ainsi que l'utilisation massif de ces "soins" n'a pas attendu que le digital les mette en valeur.

"Avant même d'être adolescente, ma tante m'avait déjà remis une 'crème spéciale' à appliquer sur mes aisselles, mes genoux et mes coudes. On m'a mise dans une roue de hamster avec mes crèmes, mes bandes d'épilation et mes pinces à épiler, poursuivant l'idée que plus mon corps serait proche des normes eurocentriques, plus je serais désirable."

Et si nombreux ingrédients qui les composent sont illégaux en Europe, et les femmes de plus en plus enclines à laisser pousser leurs poils, force est de constater que ces routines restent populaires.

Au-delà de la "mode", "un marché lucratif"

Les kits de blanchissement fleurissent sur TikTok.
Les kits de blanchissement fleurissent sur TikTok.

Chloe, Philippine résidant à Manille, a elle aussi subi les conséquences de cette idée largement répandue et intériorisée. La jeune femme a utilisé pendant deux semaines et demi une crème éclaircissantes achetée à sa tante, revendeuse de produits cosmétiques, avant de réaliser qu'elle était contaminée par des niveaux dangereux de mercure. "Ma peau devenait rouge, comme un coup de soleil. C'était atrocement douloureux, comme si ma peau brûlait", témoigne-t-elle auprès de Channel News Asia. "Rien ne me soulageait".

"Aux Philippines (l'un des premiers pays d'Asie consommateur de ces soins, ndlr), cette obsession de la peau claire a créé un marché lucratif où les centres commerciaux sont remplis de produits allant des crèmes et savons blanchissants aux toniques décolorants. Cependant, beaucoup de ces produits contiennent du mercure", alerte le média local. Certains vendus en supermarché en sont même composés à des dosage létaux, révèle une enquête d'Undercover Asia.

Et on constate les mêmes risques ailleurs dans le monde. Une étude de l'OMS informait en 2019 que 25 % des Sénégalaises utilisent des produits éclaircissants, selon la BBC. En Angleterre, d'après Google Trends, "comment se débarrasser des aisselles sombres" est la requête la plus populaire sur le sujet.

Pourtant, conclut la Dre Ejikeme, rien de plus "normal" qu'une peau mélanisée ait des aisselles, des genoux, des coudes, des articulations et des cuisses légèrement plus foncés. Et la spécialiste d'affirmer : "Tout le monde a des aisselles légèrement plus foncées, et tant qu'il n'y a pas de douleur ou de gonflement, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter."

Pour ce qui est de la façon dont la stigmatisation des peaux non-blanches perdure autour du globe en revanche, et des répercussions directes sur la santé physique et mentale des concernées, la préoccupation est clairement légitime.