"La plus grande joie de ma vie" : la coparentalité platonique, un choix qui se démocratise

Publié le Jeudi 11 Février 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"C'est la plus grande joie de ma vie" : la coparentalité platonique, un choix qui se démocratise
"C'est la plus grande joie de ma vie" : la coparentalité platonique, un choix qui se démocratise
En 2021, il existe de nombreuses façons de fonder une famille. Et rencontrer "la bonne personne" pour faire un enfant ne se résume pas toujours à une histoire d'amour. La coparentalité platonique, un recours en plein boom, en est la preuve.
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Elsa a près de 42 ans quand elle décide de devenir mère. "Je me suis toujours vue avec un enfant et j'avais un réel désir de transmission", nous confie-t-elle par téléphone. A l'époque, elle n'a "pas d'amoureux", alors elle en parle à des copains. "A mon âge, je ne pouvais pas attendre de trouver quelqu'un". Un ami d'ami·e·s, Vivien, est partant pour devenir coparent, sans qu'aucune autre relation (sinon de l'amitié) ne se tisse entre eux. L'aventure démarre ainsi.

S'en suit un parcours de plusieurs mois pour réaliser une procréation médicalement assistée (PMA). Et des rencontres dont elle se serait bien passée. D'abord, un passage devant une gynécologue spécialisée qui la marque par sa violence. Pourtant, elle lui avait été conseillée. "Cette femme m'a regardée droit dans les yeux en me demandant si c'était une blague, qu'à 41 ans, je veuille faire un enfant avec un homme gay avec qui je n'avais aucun rapport sexuel. Ça a été atroce, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps."

Heureusement, grâce au "garçon avec qui [elle a fait son bébé], qui est quelqu'un d'extrêmement positif", les futurs parents ne baissent pas les bras et finissent par trouver un encadrement bienveillant, dans une clinique belge qu'elle remercie aujourd'hui. "Des personnes extraordinaires". A l'autre bout du fil, elle réfléchit un instant et fait le bilan de ces deux expériences totalement opposées. "Un jour, on me dit 'vous êtes un monstre' et le lendemain, on me dit que c'est un super projet et qu'on va m'aider. Un peu schizophrénique".

Dans son entourage, la nouvelle est bien accueillie par ses parents "qui rêvaient d'un petit enfant", poursuit Elsa, "par certain·e·s ami·e·s aussi". "Dans l'ensemble, ils trouvaient que c'était super". D'autres, portent un jugement plus fermé, évoquant le bien-être de l'enfant à venir. Un cousin lui envoie une lettre amère, qui qualifie son initiative de "folie", entre autres adjectifs colorés. En revanche, du côté de Vivien, le père, tout le monde approuve. "Il y a une injustice très nette là-dessus", déplore Elsa. Mais ça ne change en rien son envie.

L'année de ses 43 ans, soit un peu plus d'un an plus tard, naît Virgile. Un petit garçon qui a 4 ans aujourd'hui, et qui est "la plus grande joie" de sa maman.

"Il est agréable d'élever son enfant avec une telle liberté"

Ce choix, Elsa n'est pas la seule à le faire. Dans certains pays, cette parentalité moderne, déjà bien implantée dans les communautés gay et lesbienne, atteint même des pics de popularité depuis le début de la crise sanitaire chez les hétéros.

Des dizaines de milliers de personnes se sont ainsi inscrites sur des sites de coparenting, allant jusqu'à débourser 100 livres sterling par an (120 euros environ) pour trouver chaussure à leur pied. Sur Coparents.co.uk, lancé en Europe en 2008, deux tiers des 120 000 membres dans le monde sont hétérosexuel·le·s, relève le Guardian. Modamily, qui a été lancé à Los Angeles en 2012, compte 30 000 membres internationaux, dont 80 % de personnes elles aussi hétéros. Chez le Britannique PollenTree.com, 60 % de ses 53 000 membres, sont des femmes et 40 % des hommes. Le confinement a provoqué une hausse de trafic de 30 à 50 % chez ces deux derniers sites. C'est dire si cette alternative attire.

Mais justement, que motive celles et ceux qui pourraient avoir un enfant "naturellement", à passer le pas de la coparentalité platonique, exactement ? Pour Jenica, Américaine de 38 ans, c'est la promesse de ne pas être liée par une relation amoureuse au père de son enfant. "Je ne voulais vraiment pas d'une connexion romantique ; je pensais que cela allait alambiquer les choses", détaille au quotidien celle qui a déjà eu un petit garçon en couple. "J'avais vu que la recette traditionnelle ne fonctionnait pas." Elle ne veut pas d'un partenaire, mais d'un allié avec qui elle élèvera son bébé de façon "pragmatique". Un an après sa première rencontre avec Stephan, leur fille vient au monde.

On demande à Elsa si la perspective de se délester d'une certaine pression sociale ou de ne pas mêler vie sentimentale et parentalité avait fait pencher la balance, elle nous répète qu'avant tout, c'est de ne plus avoir le temps de concevoir autrement, qui l'a décidée. Puis ajoute toutefois : "Aucune de mes motivations n'a été celle-ci, mais je reconnais qu'il est assez agréable d'élever son enfant avec une telle liberté, une liberté qui soit importante des deux côtés."

"On essaie toujours de trouver ce qu'il y a de mieux pour lui"

La coparentalité platonique, un choix qui se démocratise.
La coparentalité platonique, un choix qui se démocratise.

La grossesse passée, le quotidien s'installe. "Maintenant, et c'était prévu comme ça à l'origine, c'est moi qui ai Virgile à 95 % du temps", nous précise la quadragénaire. "Son papa le prend deux week-ends par mois, et à certains moments pendant les vacances. Il n'y a rien d'orchestré, c'est un peu bohème. Je me suis également installée sur le même pallier que la grand-mère paternelle de mon fils. C'est très pratique, les deux familles s'entendent très bien."

Elle nous explique qu'au début de leur démarche, ils s'étaient rapprochés d'un groupe de coparents pour se renseigner sur les chartes que d'autres avaient mis en place. Une sorte de guide de règles à suivre après la naissance, qui donnerait un cadre à leurs droits et devoirs face au petit. Mais cela leur a semblé trop organisé à l'avance.

"Je nous faisais assez confiance pour que les choses puissent se dérouler sans qu'il n'y ait besoin de papier entre nous", affirme Elsa. "Si on fait confiance à la personne avec qui on fait un enfant, on essaie toujours de trouver ce qu'il y a de mieux pour lui ou elle." Elle poursuit : "Mon fils s'entend très bien avec son papa. Il ne le voit pas autant que sa maman, mais ils partent en week-end bras dessus bras dessous, ils s'adorent. Vivien a un nouvel amoureux et ça se passe super bien".

Elle estime tout de même que si elle devait "refaire quelque chose dans [sa] parentalité", elle s'attarderait peut-être davantage sur le système de charte. "Ne serait-ce qu'en termes d'implication des choix importants [des deux parents]. La seule chose qui pêche, c'est d'avoir toutes les grandes décisions à prendre seule ; ce n'est pas toujours facile. C'est la plus grande joie du monde d'avoir un enfant, mais ça ne va pas sans une grande responsabilité. Et ça entraine des interrogations. Notre modèle a un peu dévié vers celui de la mère célibataire. Mais peut-être que cela évoluera", sourit-elle.

La coparentalité platonique, "elle existe déjà de fait"

Dans l'argumentaire anti-PMA pour toutes, le "bien-être" de l'enfant surgit souvent. D'après ses opposant·e·s, une famille qui dévierait du schéma traditionnel du père et de la mère en couple affecterait son équilibre, voire susciterait des moqueries nocives de la part de ses camarades. "Beaucoup de gens n'ont pas compris mon choix et ont manifesté des inquiétudes notamment quand Virgile sera plus grand et qu'on devra lui expliquer", se souvient Elsa. "Mais en fait, ce qu'il y a de merveilleusement déroutant chez un enfant, c'est que si vous ne voyez pas ce qu'il y a à lui expliquer, ni ce qu'il y a de compliqué, lui-même ne se pose pas de questions."

A ceux qui émettraient des doutes quant au bon fonctionnement de sa famille, elle rappelle que les parents séparés forment eux aussi une coparentalité, sans qu'on n'y trouve grand-chose à redire. "Chez moi, il y a une dimension plus rare : le père est gay et la mère hétéro. C'est peut-être cela qui a motivé mes ami·e·s à trouver ma décision particulière. Pour le reste, ce n'est pas la peine de nous donner des grandes leçons sur 'l'amour toujours' : ce n'est pas vrai. Toutes les familles recomposées forment [une coparentalité platonique]. Elle existe déjà de fait. Et à voir les taux de divorce, on est tous ou presque amené·e·s à la vivre. Seulement moi, j'en ai fait le choix".

En raccrochant, elle admet cependant : "A un moment, je me suis dit que c'était vraiment une folie. Aujourd'hui, je pense que c'en est une. Mais c'est Oscar Wilde qui disait que 'les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais'. Et c'est tout à fait vrai."