Les femmes maires noires en pool position dans les manifestations aux Etats-Unis

Publié le Mercredi 03 Juin 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La maire Lori Lightfoot, politicienne et engagée.
La maire Lori Lightfoot, politicienne et engagée.
"Il est impossible pour moi, en tant que femme noire, de ne pas prendre personnellement le meurtre de George Floyd". Aux Etats-Unis, les maires noires prennent le devant des mobilisations organisées à la mémoire de George Floyd. Révolutionnaire ?
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"Nous avons pu inspirer toute une nouvelle génération, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier". Ces mots sont ceux de Patrisse Cullors, l'une des instigatrices du mouvement militant afro-américain Black Lives Matter ("Les vies noires comptent"). Aujourd'hui, ce slogan résonne dans toute la société états-unienne - et jusqu'à l'Hexagone - au fil des manifestations organisées à la mémoire de George Floyd, et en protestation face aux violences policières. "L'inspiration" ne se tarie donc pas, non, c'est même l'inverse, et cet élan fédérateur est puissamment politique.

C'est d'ailleurs ce que démontre l'investissement dans ce mouvement d'indignation global de certaines figures emblématiques de la vie politicienne nationale : celui des maires afroaméricaines. De leurs discours engagés relayés sur les réseaux sociaux à leur mobilisation active, ces personnalités publiques n'hésitent pas à monter au front, comme le détaille le New Indian Express.

Pour s'en assurer, il suffit d'épouser les pas de Lori Lightfoot, la première maire noire de Chicago, mais aussi de Keisha Lance Bottoms, maire de la ville d'Atlanta, ou encore de Lovely Warren, qui tient les rênes de Rochester (New York). Des figures de pouvoir bien décidées à déstabiliser un système d'oppressions qui n'a que trop duré.

"Réparer les fenêtres brisées"

C'est tout du moins ce que clame Lovely Warren. Elle l'annonce sans détour : "Nous essayons de lutter contre un système qui a été construit institutionnellement pour créer les disparités qu'il a fait perdurer au fil des générations, et nous tentons donc de réparer les dommages qui ont été causés, afin de préparer nos enfants pour l'avenir". Derrière ce combat, un appel aux futures générations.

Réparer, c'est aussi là l'intention de Lori Lighfoot, qui, entre deux "F**k" salvateurs adressés à Donald Trump, fait passer le mot sur Twitter : "Nous allons réparer toutes ces "fenêtres cassées". Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. Nous devons également réparer nos systèmes cassés". Une allusion sans fard aux violences policières.

Mais ces ambitions loin d'être aisées pour ces politiciennes qui, malgré leur détermination et leur expérience professionnelle (Lovely Warren en est déjà à son deuxième mandat), souffrent encore de préjugés et de discriminations diverses. Et c'est aussi pour cela que leurs voix "comptent" autant aujourd'hui, au sein d'une Amérique ensanglantée. "Il est impossible pour moi, en tant que femme noire qui a été la cible d'un racisme flagrant au cours de ma vie, de ne pas prendre personnellement le meurtre de George Floyd. Être noir·e en Amérique ne devrait pas être une condamnation à mort !", décoche en ce sens la maire de Chicago.

"L'utilisation d'une force excessive n'est jamais acceptable", poursuit sur le même ton Keisha Lance Bottoms. Si la figure démocrate, qui dirige la ville d'Atlanta depuis plus de deux ans déjà, a fustigé les émeutiers lors d'une déclaration publique ("On ne proteste pas quand on brise des vitres. Ce n'est pas une protestation, ce n'est pas faire honneur à Martin Luther King Jr"), elle a cependant agi en retour en s'assurant du licenciement de deux policiers de la ville pour "usage excessif de la force lors d'une arrestation". Un équilibre qui ferait d'elle une candidate des plus crédibles pour la course à la présidentielle américaine, selon les médias nationaux.

Les maires noires seraient-elles donc synonymes d'une société plus juste, à l'heure où le président Donald Trump qualifie ouvertement les protestations anti-fascistes de "terrorisme" ? Toujours est-il que la professeure de sciences politiques Nadia Brown leur reconnaît bien des qualités : une proximité évidente avec leur communauté (et notamment leurs concitoyens les plus invisibilisés), un sens certain des responsabilités en période de troubles (pandémie ou autres), et cette réputation d'être "des figure d'autorité qui semblent très familières".

Mais pour rendre compte de ces observations, encore faudrait-il s'assurer d'une scène politicienne plus inclusive. Et de ce côté-là, la révolution reste à faire : en 2020 toujours, on ne dénombrerait que sept femmes noires maires dans les 100 villes américaines les plus peuplées du pays. Et elles ne représenteraient que 1% du Sénat...