La tendance rose bonbon "Barbiecore" est-elle féministe ?

Publié le Mardi 23 Août 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
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La tendance rose bonbon "Barbiecore" est-elle féministe ?
Depuis quelques mois, le "Barbiecore" fait sensation sur les réseaux sociaux et les tapis rouge. Internautes et personnalités célèbrent à travers ce mouvement le pouvoir du rose et de l'hyperféminité. Etonnant, mais pas si absurde en vérité.
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"Barbiecore". Non, nous ne sommes pas là face à un nouveau courant musical mais plutôt, face à une vague fashion. Le Barbiecore est en vogue sur des plateformes comme Instagram et génère une abondance d'analyses allant de l'euphorie à la perplexité. D'accord, mais qu'est-ce que c'est ?

Le Barbiecore désigne le retour en force de l'esthétique Barbie, autrement dit du rose et des signes extérieurs de féminité, comme nouvelle forme de féminisme. D'aucuns nomment ces attributs (vêtements, chaussures, couleurs flashy, make-up voyant) des signes "d'hyperféminité". Une vision comme exacerbée du genre qui fait fureur sur les réseaux sociaux et au gré des tapis rouges, d'autant plus à l'heure où se prépare une Barbie féministe signée par la cinéaste Greta Gerwig, où devrait exceller la badass Margot Robbie.

Décryptage d'un phénomène pop à souhait.

Une esthétique flashy qui fait sens

Le Barbiecore, c'est d'abord une esthétique. Une ode joyeuse et insouciante à la couleur rose (pétante), traditionnellement attribuée aux filles, au maquillage bright, aux chaussures à talon qui exacerbent le risque de gamelle en pleine rue, aux princesses Disney et à leur féerie très sucrée.

Ce que l'on pouvait considérer comme trop voyant, flashy, "de mauvais goût", le Barbiecore se le réapproprie - ou plutôt les nouvelles générations qui sur Instagram et TikTok s'en revendiquent, hashtags à l'appui. Ce monde-là est celui du "girly" et de l'hyperféminité, une féminité exacerbée, presque parodique.

Une vraie tendance fashion : on parle déjà de maquillage Barbiecore, de vernis à ongles Barbiecore, voire même de bikini Barbiecore... N'en jetez plus ! Et même les célébrités s'affichent pour incarner des nuances de cette tendance : Margot Robbie bien sûr (future incarnation à l'écran de la poupée Barbie), mais aussi Hailey Bieber, Dua Lipa ou encore... Demi Moore. Excusez du peu.

Pas si étonnant que cela, comme mouvement. Cette vague rose prend la suite des récents phénomènes observés sur TikTok, comme le retour de la bimbo ou celui du string, figures et vêtements vecteurs d'un sexisme rance, que les jeunes influenceuses et militantes comptent bien réhabiliter. En soi, l'image de la Barbie n'est pas si éloignée de celle de la bimbo. On pense à ce titre à des "bimbos" iconiques, comme Paris Hilton et Pamela Anderson.

Des stéréotypes qui ne demandent qu'à être renouvelés par des créatrices éveillées et conscientes des codes. Mais aussi attachées à des oeuvres qui, avant elles, déboulonnaient lesdits codes. Par exemple ? La comédie à succès La revanche d'une blonde, où Reese Witherspoon incarne Ellie Satler, une Barbie version live, qui en privilégiant ses talents d'avocate, va couper la chique des sexistes riant de sa blondeur, de son chihuahua et de son amour immodéré pour la couleur rose. On était déjà à fond dans le Barbiecore ici-même.

Pour Business Insider d'ailleurs, c'est cette réappropriation avouée et quelque peu jubilatoire qui fait du Barbiecore un mouvement "rejetant les anciennes normes de beauté et défiant les stéréotypes sur la féminité". On brasse quelque chose d'immédiatement évocateur pour l'audience la plus large possible afin d'en faire quelque chose de neuf. Et si possible, de plus inclusif.

Un féminisme contradictoire ?

On pourrait percevoir en le Barbiecore un féminisme contradictoire. Car comment s'émanciper des stéréotypes tout en les revendiquant ? Et des marqueurs genrés tout en affirmant, d'une manière ou d'une autre, leur réalité ? Mais en vérité, ce phénomène est empreint de bien plus de recul qu'on ne pourrait le croire, synonyme d'une transgression bien réelle.

Ainsi Business Insider associe-t-il le mouvement au rappeur queer Lil Nas X, défrisant les homophobes avec ses clips et prises de position diverses, et aux looks de l'actrice transgenre Laverne Cox, une autre icône LGBTQ - et de la culture noire - très influente. Pour le média en ligne, il s'agit simplement "d'élargir la notion de féminité pour inclure des personnes au-delà des femmes blondes, blanches, hétérosexuelles, cisgenres".

Lil Nas X, connu pour ses facéties fashion qui enflamment régulièrement les réseaux sociaux, ne fut effectivement pas le dernier pour conférer au Barbiecore ses lettres de noblesse : en plein concert, le rappeur avait affiché chapeau, crop top et jupe, panoplie entièrement rose bonbon bien évidemment. On retrouve là le b.a-ba du parfait cosplay Barbie : les accessoires. En somme, Lil Nas a tout compris à la tendance.

On pourrait également évoquer la grand succès du show RuPaul's Drag Race, dont la version française toute récente fédère aussi les foules : ses participantes, drag queens aux personnalités marquantes et attachantes, investissent l'hyperféminité pour en faire quelque chose d'intime et de politique, de personnel, joyeux et libérateur. Voir la vie en rose, c'est aussi envisager comment les stéréotypes de genre peuvent susciter des discours alternatifs et des points de vue trop marginalisés.

Marginalisés ou plus acceptés que jadis. Alors que des stars comme Harry Styles revendiquent depuis quelques années le port du vernis à ongles pour les hommes, des mecs tout aussi célèbres comme Justin Bieber ou même Brad Pitt s'exercent en retour aux looks Barbiecore. En interrogeant les stéréotypes féminins, cette tendance s'attaque également aux marqueurs masculins, en douceur. Chose que compte d'ailleurs certainement faire Ryan Gosling, alias Ken, en accompagnant Margot Robbie dans le futur film Barbie.

Quoi de plus logique que la mode pour suggérer cela, univers qui n'est jamais avare en renversements et audaces. Pour Lauryn Jiles, journaliste indépendante de 23 ans et fan de Barbie interrogée par Mashable, le Barbiecore "redonne vie à l'esthétique Barbie" tout en "incitant les gens à puiser dans leur côté féminin". Et simplement, à s'habiller comme ils le souhaitent. Quelque chose d'à la fois délicieusement kitsch - impossible de ne pas penser au "Barbie World" d'Aqua - et émancipatoire se déploie au sein de cet imaginaire renouvelé.

Encore faut-il ne pas se fier simplement à ses couleurs flashy.