La superstition peut-elle être une maladie ?

Publié le Mercredi 10 Février 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La superstition peut-elle être une maladie ?
La superstition peut-elle être une maladie ?
Au quotidien, nous cultivons tous nos petites superstitions. Inconsciemment parfois, l'air de rien. Mais si, loin d'être si insouciantes, ces manies archaïques en diable portaient en elles quelque chose de pathologique ? De plus en plus de voix expertes s'interrogent.
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Pattes de lapin, trèfles à quatre feuilles, fétiches divers... Nous avons tous nos objets porte-bonheur, ceux sans qui le mental serait en berne, et la poisse pas loin. Tout du moins le pense-t-on. Il faut dire que même l'esprit le plus pragmatique traîne derrière lui son lot de superstitions. Inutile de croire aux contes de fées pour s'en abreuver.

Car la superstition a bien des vertus dans notre réalité concrète. Elle rassure, fait office de point de repère - même abstrait - dans un monde de plus en plus incertain, nous donne l'impression de contrôler notre environnement et le cours des choses, même au bord de l'effondrement. Forcément déraisonnable, elle nous éloigne un temps de la trivialité du trop-ordinaire. Elle peut être signe d'espoir : dans Un long dimanche de fiançailles, le personnage de Mathilde (Audrey Tautou) chérit moult superstitions censées attester de la survie de son jules parti en guerre.

Mais la superstition génère aussi son lot d'angoisses. Elle peut être synonyme de psychose. Dans ce cas-là, peu de détails la séparent de la pathologie pure et dure. Un point sur lequel insistent bien des spécialistes du sujet.

Une sorte de TOC ?

C'est par exemple le cas du site Healthline, pour qui ces croyances de longue date ne sont pas sans effets néfastes sur notre esprit. Croire en la malfaisance des chats noirs, une simple observation ancestrale ? Pas vraiment. Par-delà les traditions culturelles, les superstitions peuvent très bien prendre la forme de troubles obsessionnels-compulsifs (plus connu sous l'intitulé de TOCs), nous prévient le site. Dans ce cas, elles se font fixations.

A savoir, elles deviennent rapidement des obsessions d'où l'on ne peut décrocher, pensées toxiques puisqu'elles engendrent une anxiété reconnue, dont le trouble anxieux généralisé – ou TAG – lequel génère troubles du sommeil, troubles de l'humeur, fatigue chronique... Plus les superstitions prennent de place dans notre vie, plus il y a de risques "qu'un problème de santé mentale sous-jacent" soit détecté, déplore le média spécialisé.

La superstition, une forme de trouble obsessionnel ?
La superstition, une forme de trouble obsessionnel ?

Bien sûr, il s'agit là d'une minorité de cas. Et les pathologies que peuvent susciter ou exacerber les pensées obsessionnelles ne sont pas sans issue. Des traitements prescrits par des professionnels de la santé, comme la thérapie cognitivo-comportementale, permettent de les assimiler, et de s'en détacher. C'est aussi ce que vous recommandent des plateformes érudites comme celle de Mental Help, centre d'addictologie américain.

La structure associe directement les superstitions aux troubles du spectre obsessionnel-compulsif. A en lire ces observations, la pensée superstitieuse, ou "pensée magique", peut devenir "psychotique", c'est à dire, synonyme de psychose, si elle est poussée trop loin. Elle est alors moins maladie en soi que "symptôme de maladie", explique le Dr Allan Schwartz. Un état d'esprit folklorique à ne pas prendre à la légère, donc.

Les opinions des expert·e·s divergent

Malgré toutes ces précisions, la superstition est rarement associée aux TOCs dans les discours populaires. On l'assimile davantage à un simple réflexe culturel, variable selon les histoires et les pays. Car qu'y a-t-il de mal à ne pas dévoiler sa robe de mariée avant les noces, ne pas passer sous une échelle en pleine rue, ou encore éviter d'ouvrir un parapluie à l'intérieur ? Pas grand chose, répondrez-vous.

Et pourtant, Santé Magazine tire la sonnette d'alarme : "Les TOCs et la superstition partagent de nombreuses similitudes, et si les résultats des études menées jusqu'à présent divergent, des travaux plus poussés doivent encore être menés pour en savoir plus". Il faut dire que les opinions sont effectivement partagées, même après des années études et d'observations affinées.

D'aucuns, comme le magazine, saluent d'ailleurs d'un même mouvement les qualités des superstitions, en citant les recherches de la revue scientifique Medical News Today : elles soulageraient l'anxiété et amélioreraient nos performances, entre autres vertus. Le Dr Allan Schwartz lui-même se reconnaît du côté de Mental Help quelques superstitions personnelles. Maintenues dans des limites précises, nous dit-il, elles nous aideraient "à faire face à la vie". Notamment en attribuant des raisons formalisées aux faits les plus injustes et dramatiques de notre modeste existence. Ce qui, à l'inverse des TOCs, à de quoi soulager notre santé mentale.

Car au fond la superstition nous le susurre : tout arrive pour une raison. "En d'autres termes, cette pensée magique nous permet de donner un sens à des événements qui autrement seraient déroutants, elle peut donc nous réconforter", achève le médecin. A condition, comme tout remède, de ne pas en abuser.