Quand la Silicon Valley photoshoppe des femmes pour rendre sa réunion plus "paritaire"

Publié le Vendredi 14 Juin 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Silicon Valley - Deux entrepreneuses photoshopées lors d'un séminaire en Italie -
Silicon Valley - Deux entrepreneuses photoshopées lors d'un séminaire en Italie -
Que faire pour garantir la parité au sein du monde de la tech ? Utiliser Photoshop, si l'on en croit ce cinglant bad buzz de la Silicon Valley.
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La parité au sein de l'entreprise n'est-elle qu'une illusion ? Si l'on en doutait, difficile de trouver métaphore moins édifiante que celle-ci : le temps d'une escale en Italie qu'ils ont souhaité immortaliser en quelques flashes, une quinzaine de chefs d'entreprises issus de la Silicon Valley n'ont pas trouvé mieux pour "féminiser" leurs rangs que d'utiliser un logiciel de montage. Posté sur Instagram par le styliste Brunello Cucinelli, ce "photoshopage" n'a pas tardé à faire l'objet d'une enquête de Buzzfeed.

Parité vs Photoshop

Une simple analyse des métadonnées a suffit au site d'infotainment pour démonter la supercherie de ce shooting en plein séminaire. Ce sont avant tout de légères différences d'éclairage qui nous permettent de deviner que les deux entrepreneuses identifiées comme étant Lynn Jurich (à la tête de SunRun) et Ruzwana Bashir (patronne de Peek) n'étaient tout simplement... pas là.

"Nous n'avions aucune intention malveillante en faisant cela", a affirmé suite à ce bad buzz le porte-parole de Brunello Cucinelli.

Sur le cliché sont réunis de grands noms du web, dont Reid Hoffman (LinkedIn) et Drew Houston (Dropbox). De là à voir dans cette supercherie un aveu d'échec, il n'y a qu'un pas. L'association de promotion de la mixité Jamais Sans Elles fustige en ce sens la "parade" de cette "réunion 100 % masculine".

En l'état, elle ne rend que plus édifiante la réputation d'un secteur peu reluisant. De la culture sexiste de Uber aux accusations de harcèlement sexuel à l'adresse du CEO de Tinder en passant par le combat juridique d'Ellen Pao contre son ex-employeur KPCB - dont elle dénonce le comportement abusif - la Silicon Valley n'a de cesse d'être perçue comme un "boy's club" au sein duquel enjeux technologiques riment avec masculinité toxique.

"Sous Staline, l'appareil de propagande effaçait les ennemis des photographies. Dans le monde des PDG de la Silicon Valley, on ajoute deux femmes PDG sur photoshop quand on réalise qu'on a pris la photo de groupe sans elles", cingle le journaliste Jacques Pezet. L'analogie peut sembler brute de décoffrage, elle éclaire pourtant la violente réalité du paradis des start-ups : encore aujourd'hui, comme le démontrait une récente étude, seulement 12 % des ingénieurs de la Silicon Valley sont des femmes.