"Séduire" : une websérie pour (enfin !) en finir avec les clichés sur la drague et la séduction

Publié le Jeudi 22 Août 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
"Que veut dire "séduire" quand on est au Maroc ?"
"Que veut dire "séduire" quand on est au Maroc ?"
La rafraîchissante websérie "Séduire" tacle les "on-dit" de la séduction et libère la parole des femmes, de Marseille au Maroc. Sans chichis.
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Connaissez-vous Léa Bordier ? On espère que "oui" ! Cela fait quelques années que l'autrice et vidéaste propage au sein du YouTube francophone ses bonnes ondes féministes. Avec des webséries salvatrices comme Cher Corps et Entre Meufs, cette créatrice bienveillante est parvenue à saisir les complexes, histoires intimes, habitus, passions et désamours qui s'énoncent entre les femmes et leur corps, mais également leur sexualité et la société patriarcale qui les observe - et les contraint parfois. Des introspections toujours placées sous le signe d'une réjouissante sororité.

Et en cette fin d'évasion estivale, la militante nous revient avec un projet aussi ensoleillé que lucide, Séduire. Les épisodes de cette production Les Haut-Parleurs s'attaquent à un sujet sur lequel beaucoup se brûleraient les doigts : la drague. La séduction. Et tous les fantasmes et injonctions qui s'y rattachent. Et comme à son habitude, Léa Bordier met pour cela en lumière les femmes qui, entre désirs et réflexions misogynes, connaissent bien ce sac de noeuds que l'on nomme "les relations hommes/femmes". C'est compliqué, comme diraient nos statuts Facebook de 2008.

Drague en Méditerranée

Pour saisir la vérité nue de la séduction entre filles, la réalisatrice s'aventure autour de la Méditerranée. Là-bas, elle tend le micro aux solaires Maha et Soumia histoire de déconstruire un tabou : la drague au Maroc. "Les Marocaines sont tellement pudiques !", s'amuse la première, qui met cependant l'accent sur l'évolution des moeurs. Eh oui, dans le Maroc d'aujourd'hui, les femmes "sont indépendantes" et peuvent choisir leur mari. Elles ont donc le droit de draguer. Soumia en atteste : "les Marocaines draguent sur Facebook et Whatsapp". Et publient beaucoup de petites annonces pour des "relations sérieuses". Pas question de tomber entre les mains d'un charlatan.

Mais la jeune Marocaine n'est pas si optimiste quant on lui parle de révolution relationnelle. Car malgré tout, la séduction féminine est encore considérée comme une "honte" au sein d'une société très conservatrice. Elle se fait la plupart du temps sous le manteau, en secret. Les jeunes femmes, qui, déjà, ne font plus forcément confiance aux hommes ("beaucoup ne nous respectent pas") doivent, en plus, supporter une forme de pression constante et hypocrite : "c'est dur de trouver un petit ami car cela reste encore immoral pour beaucoup de jeunes, qui se mettent en couple hors mariage mais restent discrets", témoigne Soumia. Tout n'est pas si simple sous le soleil.

 

 

Car la séduction est un imaginaire qui nous renvoie volontiers aux idées les plus vieillottes. Question d'éducation, de traditions et de stéréotypes résistant aux vents chauds. La preuve en Italie, cadre du second épisode, le pays des casanovas, des "macho men" et - pire encore - de Berlusconi. Là-bas, Carlotta, chroniqueuse pour Playboy et féministe engagée, cherche à faire évoluer les mentalités. Le verbe affûté, elle révèle tout ce qu'un "je t'aime à l'italienne" condense en clichés locaux (les gentlemen à la Marcello Mastroianni, les cocus, les hommes apeurés par les femmes indépendantes) mais aussi en réalités socios. Et hélas, le bilan ne vous étonnera guère.

D'un côté, remarque l'érudite, l'on glorifie les abus d'un Silvio dont les "comportements animaux" prêtent on ne sait comment aux rires - quitte à en devenir "cool". Mais à l'inverse, plutôt que de balancer les porcs, l'on blâme celle qui couche le premier soir, signe de croix de la main en option. Pourquoi les Don Juan lubriques sont-ils si "sexy" et les femmes libres d'infréquentables "filles faciles" ? "Des convictions patriarcales profondément enracinées nous font croire que les femmes sont une propriété des hommes", théorise l'érudite.

C'est cette injustice - parmi tant d'autres - que nous raconte le langage de la séduction, ses adeptes, ses excès et ses codes - qui ne demandent qu'à être bousculés avec allégresse. Et c'est bien plus encore que nous dévoile la salutaire série de Léa Bordier, le temps d'une virée à Marseille par exemple. En avant toute : c'est par ici que ça se passe. Balance ton Vieux-Port !