Claire Laffut, l'artiste pop et plurielle qui nous électrise

Publié le Vendredi 03 Septembre 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Claire Laffut, l'artiste pop belge qui nous électrise
Claire Laffut, l'artiste pop belge qui nous électrise
Elle sort aujourd'hui son premier album. "Bleu", un disque de "débutant" comme nous le confie Claire Laffut, où 13 sons pop ne finissent pas de nous transporter. Pour l'occasion, la jeune femme aux multiples talents nous raconte son passé, son art, ses combats. Entretien.
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C'est doux et fascinant de passer un moment avec Claire Laffut. Une parenthèse de calme qui contraste avec l'effervescence installée autour du phénomène qu'elle devient de semaine en semaine. Lorsqu'on la rencontre, elle est à deux mois de la sortie de son premier album, Bleu. La promo est bien engagée, le compte à rebours avant le grand saut, lancé. Elle se prête à l'exercice de l'interview avec une aisance qui nous fait oublier qu'on ne se connaît que depuis quelques minutes. Tant mieux, ça rend l'échange d'autant plus fluide.

Après son tout premier titre, Vérité, qui a lancé sa carrière musicale et provoqué l'engouement d'une fan-base aujourd'hui solide, Mojo, qui a installé son empreinte artistique explosive, et Etrange Mélange, le tube obsédant qu'on se passe en boucle, elle confirme sa légitimité sur la scène pop francophone avec un opus aux sonorités aussi éclectiques que ses passions. Car voilà : Claire Laffut chante, compose, peint, dessine, crée des animations, joue. Seul son univers envoûtant est unique.

"Ça me permet de rêver"

Cette pluralité, c'est le premier sujet que l'on aborde. Ou plutôt, avec tant de cordes à son arc, on l'interroge sur la façon dont elle aime être présentée, dont elle se décrit elle-même. "Artiste", nous répond-elle sans vraiment hésiter. "Mais j'aime vaciller pour étendre le champ de la création. Je me considère maintenant comme une auteure, chanteuse, peintre, musicienne et plasticienne. J'aime être libre, je fonctionne beaucoup à l'instinct, j'ai besoin de nouveauté. Je suis très curieuse et je pense que c'est ce qui me fait vibrer."

La jeune femme nous confie que cet appétit pour toutes ces formes d'art lui est venu de son enfance, passée dans une ville industrielle entre Namur et Charleroi, en Belgique. "Mes parents n'étaient pas dans ce domaine mais possédaient une âme artistique, je dirais. Dans leur façon de vivre, la musique qu'ils écoutaient... quelque chose de bohème. Et puis, c'est ma mère, avec laquelle j'ai grandi, qui m'a ouvert les portes de ce monde en m'encourageant dès petite à m'essayer au dessin, à la danse ou à la musique. Le problème", poursuit-elle en riant, "c'est que je voulais toucher à tout. Tout m'a plu ! Aujourd'hui encore, j'en ai besoin, de cette diversité, ça me permet de rêver. C'est un peu une philosophie de vie."

De rêver et de s'évader, aussi.

Amitié, Nudes et self-love

Pendant le confinement, elle met en place avec la chanteuse Yseult des sessions lives quotidiennes auxquelles participent d'autres voix (Lio, la rappeuse franco-américaine Lolo Zouaï...) pour apporter un peu de répit en pleine crise sanitaire à celles et ceux qui la suivent sur les réseaux. Le duo dégage une réelle alchimie, et pour cause, les deux artistes sont aussi amies dans la vie.

"On s'est rencontrées au moment de Nudes (titre qu'elles ont écrit ensemble, ndlr). On s'est rendu compte qu'on n'avait pas le même physique mais qu'on ressentait les mêmes angoisses, surtout avant l'été. L'été inflige une vraie pression, à mes yeux en tout cas. Alors, avec cette idée de self-love véhiculée dans le morceau, on voulait se dégourdir le corps. On s'est dit : 'On envoie des nudes', peut-être à nous-même, mais surtout pour décomplexer le fait de se mettre en maillot, pour assumer nos corps."

Tous les corps, précise d'ailleurs celle qui a, par le passé, fait les frais des conséquences dévastatrices de l'industrie de la mode. Repérée l'année de ses 16 ans, Claire Laffut devient mannequin brièvement, avant de réaliser à ses dépens que ce milieu est plus nocif qu'épanouissant - même si elle assure en garder quelques contacts positifs.

"C'est très agressif dans la construction d'une femme", affirme-t-elle. "J'ai débuté à 16 ans, à l'âge où l'on commence à vouloir plaire, où l'on se cherche. J'ai trouvé ça cool un moment, mais je pense que ce n'était pas bon pour moi. Tu ne comprends pas ce qu'on veut de toi, t'as juste l'impression que tu n'es jamais assez. Et à 16 ans, t'as pas les clés pour dire 'fuck' à tout le monde, que non, tu ne maigriras pas. T'es malléable."

"Je me souviens de moments tellement absurdes", continue l'artiste, "à être dans un studio, dans une pièce pleine de cartons et qu'on me prenne en photo en lingerie... Des filles font très bien ça, mais ce qui me rend triste, c'est que c'est une industrie qui ne comprend pas le tort qu'elle crée. Et qui essaie de s'adapter aujourd'hui en assurant vouloir de la diversité, seulement il fallait y penser avant. Je pense que le milieu évolue, et c'est pour le mieux, mais je conserve des séquelles. C'est dans mon ADN, dans ma peau. Ça réveille la haine de soi."

Alors, en guise d'exutoire, elle couche ces émotions dans ses chansons. Et puis, les sentiments qu'elle éprouve pour ceux qui traversent sa vie de façon plus ou moins permanente, plus ou moins impactante.

L'amour en première ligne

Dans Vérité, elle signe : "À quoi tu penses en mon absence ? ; J'ai un parfum d'espérance ; Au fond de moi". Dans Mojo : "Inévitablement, deux âmes comme deux aimants ; Tant pis, tant pis, tant pis ; Le temps s'arrête, alchimie ; Dépossédée, le coeur arrogant, foudroyé". Des mots doux, de l'attirance, des disputes, un coeur qui saigne, se soigne, aime à nouveau. On trouve tout ça dans sa prose. Et on s'y identifie sans mal.

"Mes textes parlent beaucoup d'amour car l'amour a été l'élément déclencheur de plein de choses dans ma vie. Il m'a brisé le coeur et en même temps, tellement inspirée, construite. J'écris des chansons comme un journal intime. D'ailleurs, c'est très gênant en concert car j'ai l'impression de lire mon journal intime au public", confie-t-elle en riant.

Et puis, c'est aussi un moyen de figer ses "grandes sensations", de s'y replonger plus tard pour réaliser le chemin parcouru émotionnellement ou psychologiquement. "On change tellement au cours des années que j'aime bien me souvenir de comment j'étais, de ce à quoi je pensais, pour comprendre que j'évolue. Comme le Petit Poucet qui sème des cailloux blancs."

Une histoire l'a particulièrement marquée. Une "relation toxique" qu'elle évoque dans son dernier morceau, Hiroshima : "Comme un matador ; Tu joues avec mon sort (...) Tout part en fumée où qu'on aille ; On n'est plus qu'un champ de bataille ; Où nos baisers sont des balles."

"Il y avait de la violence, de la perversion narcissique, de l'emprise mentale", nous énumère-t-elle sans se départir de son calme. "D'où l'intensité du mot Hiroshima. C'était complètement inconscient de l'associer à cet événement historique. C'est tellement dévastateur une bombe nucléaire. Mais finalement, c'est comme ça que je l'ai vécu, personnellement. Mon cerveau ne fonctionnait plus pareil, je n'arrivais plus à m'écouter."

C'est en quittant Paris pour Bruxelles et surtout, grâce à l'amitié (d'Yseult, notamment), qu'elle réussit à ouvrir les yeux, à "couper les ponts" et à se remettre de cette aventure destructrice. Une renaissance qu'elle symbolise dans son clip. "J'avais trouvé la signification du premier arbre à avoir refleuri après la bombe (le ginkgo bilboa, ndlr), et je trouvais que cette image pouvait parler à d'autres femmes qui ont vécu des violences, de l'emprise. Ce n'est pas une chanson légère que tu peux chanter comme ça." Mais elle sourit : "Après ce raz-de-marée, tout va mieux".

Quand on lui parle de l'avenir, Claire Laffut évoque le souhait de s'entourer d'artistes féminines de différents pays pour interpréter plusieurs versions de Sororité, hymne féministe appelant à l'union contre le patriarcat. Tout en poursuivant son apprentissage musical.

"J'ai appelé l'album Bleu car c'est un album de débutant. Il n'est pas linéaire. On peut voir que sur les premières chansons j'étais assez junior (sur Verité, Mojo... ndlr), avec une voix parlée, enfantine, qui ressemblait à celle que j'étais à l'époque. Ensuite, j'ai commencé à de plus en plus vouloir défendre des choses, à avoir un ton beaucoup plus ancré. Ma voix était plus cisaillée, j'osais davantage, donc on est partis vers des rythmes plus dansants. Ce qui est drôle c'est que dans l'album il y a chansons du début que personne n'a entendues et des nouvelles de maintenant."

Et de conclure avec poésie : "C'est vraiment un étrange mélange".

Claire Laffut, album "Bleu", sortie 3 septembre 2021 (Decca Records)