Société
En politique, les voix des femmes sont moquées, discréditées, étouffées
Publié le 5 avril 2022 à 16:10
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Dans "Sexisme sur la voix publique", Marlène Coulomb-Gully s'attarde avec minutie sur les prises de parole des femmes politiques et leur réception. Porte-paroles raillées, candidates à la présidentielle "inaudibles", ou à l'inverse rhétoriques aussi triomphantes qu'iconiques... Une passionnante synthèse.
En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées© Abaca
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De la fameuse "capacité d'indignation intacte" de Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy aux masterclass éloquentes de Christiane Taubira en pleine Assemblée nationale en passant par les "Travailleuses, travailleurs" d'Arlette Laguiller, les prises de parole de femmes politiques ont marqué notre esprit autant que bien des discours présidentiels - forcément masculins, jusqu'ici.

Mais pour se faire entendre, ces voix doivent crever la surface d'un sexisme qui cherche à les noyer de bruit, remettant en question leur tonalité, leur portée ou le choix du langage déployé. Saisir l'évolution de la parole des femmes politiques, de leur prise en compte médiatique et des formes qu'elle arbore, entre porte-paroles, ministres et candidates à la présidentielle, voilà l'intention de Sexisme sur la voix publique, une étude exigeante de la professeure à l'université Toulouse-Jean Jaurès Marlène Coulomb-Gully.

Cette parole des femmes en politique, est-elle vraiment plus entendue aujourd'hui et moins raillée ? Rien de moins sûr. Raison de plus pour avoir bien à l'esprit les formes que revêt ce sexisme sonore.

En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées © Editions de l'aube

Des voix étouffées et "bizutées"

Dans les médias d'emblée, systématiques furent les articles à attribuer divers qualificatifs aux voix des femmes politiques, qu'elles se retrouvent réduites aux clichés de la féminité (une tonalité jugée trop douce et discrète, inconsistante, ou à l'inverse " hystérique "), ou bien considérées comme trop viriles, autoritaires, masculines... Le simple filet de la voix suffit à convoquer les stéréotypes de genre pour les moins inventives des plumes.

Et cette enquête en témoigne, de foisonnantes sources à l'appui. Mais par-delà la revue de presse, un simple regard sur les rangs de l'Assemblée nationale suffit pour observer que dans la politique, les rapports de pouvoir s'établissent par la voix. Rappelant les commentaires dont fut victime l'ex Europe Ecologie Les Verts Cécile Duflot pour avoir osé... porter une robe ("Enlève les boutons !", lui a crié un député), ou bien les cris de basse-cour qui accueillirent en 2013 la députée Véronique Massoneau, Marlène Coulomb-Gully dépeint l'hémicycle comme une foire aux saillies patriarcales.

Cris d'animaux, sifflements, rires d'opposition, remarques ouvertement sexistes... Le lieu du prétendu débat politique établit en vérité "le bruit comme bizutage", avance l'autrice, qui s'interroge : "insultes, interruptions systématiques, critiques de leur vois, inaudible ou trop aiguë, voire hystérique : est-il meilleure façon de signifier aux femmes qu'elles n'ont pas leur place dans l'ordre du discours ?". Question évidemment rhétorique.

A l'unisson, Valérie Pécresse, citée dans le livre, confiera à Madame Figaro : "C'est vrai, les hommes aiment couvrir les voix des femmes. C'est un bizutage très dur car on a l'impression que personne ne vous écoute. La tentation, c'est de forcer, mais chez les femmes, elle s'envole très vite vers les aigus".

En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées © Abaca

Des paroles présidentiables raillées

Les voix des femmes sont donc étouffées, quand elles ne sont pas jugées. A ce titre, les évocations des candidates à la présidentielle valent mille discours, tant le contexte de campagne exacerbe cette violence. Comme l'exemple de Ségolène Royal. "Ce qui caractérise le discours de Ségolène Royal, c'est la lenteur de sa diction et de ses silences. Plusieurs sketches de Guignols de l'info, contrepoint précieux pour saisir l'air du temps, ironisent ainsi sur son caractère laborieux", observe Marlène Coulomb-Gully.

"Au lendemain du premier tour de la présidentielle de 2007, son discours sera même proposé en accéléré pour être compréhensible. Quant aux silences, considérés comme le comble de la subtilité rhétorique chez François Mitterrand, ils ont été interprétés chez la candidate comme une incapacité à répondre, et sont venus alimenter le procès en incompétence qui lui a été fait tout au long de sa campagne", déplore encore l'autrice.

On le comprend, d'un genre à l'autre, l'usage des mêmes procédés rhétoriques ne bénéficie pas d'un accueil égalitaire au sein de la scène politique et médiatique. "Toute prise de parole est une prise de risque, surtout dans le contexte très inflammable d'une campagne électorale", lit-on.

L'exemple de Royal est emblématique en cela qu'il parle à tout le monde. Son traitement satirique ou simplement sexiste dans les médias, la manière dont Nicolas Sarkozy s'est exercé à fragiliser son éloquence face aux caméras... Mais sa réception fait écho à tant d'autres traitements historiques.

En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées © Abaca

Tel celui de l'ancienne Première ministre Edith Cresson, jugée à l'inverse pour sa présence orale trop évidente, et discréditée pour sa prétendue "voix de poissonnière" ou "voix criarde" qui aurait fait d'elle une véritable Madame-Sans-Gêne. "Edith Cresson était trop femme pour les uns, pas assez pour les autres, mauvais genre, victime de son absence de conformité aux attendus traditionnels de la féminité, qui veulent qu'une femme soit douce, discrète, modeste. Sa voix était jugée non conforme à ce qui serait 'convenable' (le terme revenait souvent sous la plume de ses détracteurs) pour une femme et a fortiori pour une Première ministre", analyse l'autrice.

Les voix du changement ?

Mais dans le champ culturel, les voix des femmes en politique sont aussi ce qui inspire et fédère. Parmi elles, l'éloquence bien connue de Christiane Taubira, auquel Marlène Coulomb-Gully dédie tout un chapitre, s'attardant notamment sur le discours de l'ancienne ministre à l'Assemblée nationale le 23 avril 2013. La loi Taubira fut pour beaucoup la démonstration d'une avancée sociale, mais également d'un art aiguisé de l'oratoire.

Car quand elle s'adresse à son audience au sujet du mariage pour tous, Christiane Taubira invoque quantité de stratégies rhétoriques : interpellations directes ("vous") et pronoms fédérateurs ("nous"), effets d'opposition divers, anaphores, répétitions ("vous protestez, vous protestez"), métaphores, citations poétiques... Pour n'aborder que cela.

En politique, les voix des femmes sont toujours aussi moquées, critiquées, étouffées © Abaca

Pour bien des auditeurs et auditrices, c'est une véritable leçon. "Christiane Taubira, non contente de se soumettre aux règles langagières fixées par la tradition rhétorique, en joue et en jouit, elle les accomplit et s'en affranchit en les dépassant par le haut, comme en témoignent ses saillies poétiques autant qu'humoristiques, une expression qui a longtemps été le privilège des hommes. Sa stratégie de distinction consiste à mobiliser des ressources discursives rares et à les porter à leur sommet", se réjouit à l'unisson l'autrice.

L'instant est exemplaire : la femme politique, dans un hémicycle majoritairement masculin, saisit l'attention en usant d'outils langagiers bien précis, constituant une narration limpide et cohérente. "Le mélange de technicité et de lyrisme, de compétences juridiques et historiques dont témoignent ses citations sera unanimement salué, de même que son art consommé de la parole, avec changements de rythme et de ton", analyse enfin Marlène Coulomb-Gully.

Mais quand une femme politique s'impose par la parole, elle suscite (encore et toujours) une haine sans pareille : en témoigneront les virulentes attaques racistes et sexistes dont la ministre sera la cible sur les réseaux sociaux. Pour les femmes en politique, (im)poser sa voix n'a donc jamais rien d'évident. Les protestations vocales auxquelles elles se confrontent volontiers portent trop souvent en elles une seule volonté : les obliger au silence.

Raison de plus pour interroger cet enjeu de l'expression politique, qui pose également celui, plus global encore, de la place des femmes dans l'espace public, à l'heure où les paroles se libèrent massivement.

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