Ces petites phrases d'Elisabeth Moreno, ministre à l'Egalité femmes-hommes, qui font tiquer

Publié le Mercredi 08 Juillet 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Elisabeth Moreno, nouvelle ministre, déjà critiquée.
Elisabeth Moreno, nouvelle ministre, déjà critiquée.
A peine nommée au poste de ministre déléguée à l'Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno suscite déjà la réticence des militantes féministes. La raison ? Certaines réflexions pêle-mêle qui - doux euphémisme - n'ont pas grand-chose de révolutionnaire...
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"Très émue de dire au revoir à toutes les formidables personnes engagées avec moi pendant 3 ans pour la grande cause du quinquennat d'Emmanuel Macron : l'égalité femmes-hommes. Elisabeth Moreno, comptez sur mon entière sororité pour la suite ! Je vous souhaite de réussir". C'est sur ces mots bienveillants que Marlène Schiappa, désormais ministre déléguée à la citoyenneté suite au récent remaniement ministériel, a annoncé l'arrivée de sa successeuse au poste de ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes : Elisabeth Moreno.

Un nom jusqu'ici inconnu. Il faut dire que comme bien des figures politiciennes de la "start-up nation", la ministre de 49 ans est avant tout une entrepreneure. Ancienne présidente pour la zone Afrique de la célèbre entreprise informatique Hewlett-Packard, ou HP pour les intimes, passée au sein de groupes tout aussi familiers du grand public comme Lenovo, Orange ou encore Dell, Elisabeth Moreno semble (en apparence) plus rattachée aux fabricants d'ordinateurs qu'à la scène militante féministe.

Une impression que ne viennent malheureusement pas corriger certaines de ses anciennes "punchlines" qui, relayées sur les réseaux sociaux depuis le 7 juillet dernier, suscitent curiosité, incompréhension ou colère.

En voici un léger florilège.

Machine à café, enfants et "complémentarité"

La citation qui a déjà fait le tour des réseaux date de 2018. Il s'agit d'une simple histoire de machine à café. Interrogée par le groupe d'enseignement supérieur Ionis sur l'importance de la mixité au sein du monde de l'entreprise, la dirigeante délivre un discours plutôt conciliant et pas franchement militant : "Les blagues à la machine à café sont très importantes, car il ne faut pas qu'on se sente verrouillés. Je ne veux surtout pas que les hommes se sentent gênés, car ils auraient le sentiment qu'il n'y en a que pour les femmes."

Elle poursuit sur le même ton : "Je ne veux pas d'un climat de défiance où le sexisme met tout le monde mal à l'aise et où chacun mesure constamment chaque mot qu'il utilise". Comme un air de "on ne peut plus rien dire" qui résonne en sourdine. Avouons qu'une telle réflexion incitera peu ces messieurs à se déconstruire. "En moins de vingt-quatre heures, je regrette déjà Marlène Schiappa", a d'ailleurs ironisé en retour l'autrice Giulia Fois.

Mais Elisabeth Moreno a-t-elle fait l'objet de ces "blagues" de machine à café (ou de comptoir) dont elle délivre un curieux éloge ? Oui, répond-t-elle. "Mais je ne sais même pas si les hommes qui ont tenu ces propos en sont conscients. En ai-je souffert ? Non, parce que je ne me suis jamais laissée faire. Je n'ai pas un caractère à baisser la tête. Je dis toujours les choses, sans agressivité, car cela ne sert à rien", dit-elle encore. De quoi réjouir les adeptes du Bingo clichés sexistes : la case de la "féministe agressive" est déjà cochée, félicitations.

Un cliché qui ne date pas d'hier, et a même récemment été épinglé par la chanteuse Angèle (à propos de la fameuse Une de Paris Match : "Subversive mais pas agressive"). Il n'y pas de hasard, la fondatrice de l'ONG Women in Africa Aude de Thuin le réitère justement dans les pages du magazine Têtu quand il s'agit de décrire la personnalité de la nouvelle ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes (et amie de longue date) : "Elisabeth Moreno porte un féminisme pragmatique, qui n'est pas dans l'excès ou l'hystérie. On vit dans un monde à domination machiste, mais l'agressivité se retourne régulièrement contre les femmes".

Hystérie, agressivité, excès... Le lexique traditionnellement employé pour désigner les prétendues "dérives" de mouvements comme #MeToo et #BalanceTonPorc nous est offert dans un joli package. L'heure serait-elle au "sois féministe, mais tais-toi" ? C'est peut-être cela qu'il faut comprendre par "féminisme pragmatique"...

Encore en manque de répliques légèrement réacs ? Pas de panique, un beau spécimen nous est offert par son long entretien à l'école de commerce Groupe Ionis en 2018. Évoquant son parcours professionnel, Elisabeth Moreno se permet une légère pirouette rhétorique. Elle raconte : "En France, deux femmes dirigent les deux plus grands constructeurs informatiques PC, Pascale Dumas chez HP et moi-même. Plus vous en montrerez, plus les femmes réaliseront que c'est possible. Et ce ne sont pas des exemples de femmes qui se sont 'masculinisées' ! Nous avons toutes des enfants".

Comprendre, même si le monde de l'entreprise est ouvertement sexiste, une patronne vraiment féminine (et donc forcément mère) sera quand même mieux vue. Et pas trop agressive, on l'imagine, inégalités professionnelles ou pas. "Ah la marmaille, cet attribut essentiel de La Femme...", a réagi non sans ironie une internaute.

Vous l'aurez compris, si sa connaissance des génies informatiques n'est pas remise en cause, c'est du côté de la pensée militante que la ministre fait (déjà) polémique. Autre exemple ? Lors de son premier discours, la politicienne a déclaré avec assurance : "Il n'y a pas de plus belle complémentarité que celle entre les hommes et les femmes."

Une assertion des plus tradis qui, malgré son petit côté feel good, ne passe pas. La philosophe et essayiste féministe Camille Froidevaux-Metterie (Seins : en quête d'une libération) voit effectivement là l'expression d'un féminisme "clairement libéral mais aussi conservateur".

Une internaute abonde et explique le pourquoi du hic : "La 'complémentarité des sexes', c'est de la pensée magique qui enferme les femmes dans un rôle, défini exclusivement en fonction des hommes. On perd le sens des luttes féministes quand on perd cela de vue". Pas de quoi bousculer le patriarcat, donc. "Ca et l'évocation du foyer, de la famille... Ça commence bien, dis donc !", tacle à l'unisson le compte féministe Hypathie.

Reste alors à espérer que ce "sens de la lutte féministe" cité plus haut puisse néanmoins se retrouver dans les (très attendues) futures mesures progressistes de celle que l'on qualifie déjà de "Marlène Schiappa de droite". On parie ?