Elle dédie son Instagram au sang menstruel

Publié le Lundi 28 Septembre 2015
Jack Parker
Par Jack Parker Rédadtrice
Alors que la parole se libère enfin autour des menstruations, certaines personnes choisissent de pousser un peu plus loin en nous mettant face à des images reflétant ce phénomène pourtant naturel et banal, au risque de choquer et de se faire censurer.
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De plus en plus de débats s'ouvrent à propos des règles ces derniers temps. D'un côté, on essaye d'abolir la censure et le tabou qui les entourent et de l'autre on s'inquiète de notre santé et des meilleures solutions qui s'offrent à nous pour prendre soin de notre corps toute l'année. On essaye également de changer le discours qui est fait aux jeunes filles prépubères pour les préparer différemment à l'arrivée de leurs règles et ne pas influer négativement sur les rapports qu'elles entretiennent avec leur corps.

Bref, les choses changent, un vent nouveau souffle sur les menstrues et tout ce qui les entoure, et c'est une très bonne nouvelle.

Parmi les diverses initiatives prises pour changer la teneur du discours sur les menstruations, il y a aussi des opérations un peu plus chocs - des images, notamment, qui nous mettent toutes et tous nez à nez avec la réalité pure et dure des règles, à savoir le sang menstruel. C'est ce qui a le plus de mal à passer chez les plus réfractaires comme les plus ouverts - on veut bien en parler, mais surtout pas les regarder.

C'est ainsi que les photos de Rupi Kaur se sont retrouvées censurées sur Instagram. Sans nudité, sans violence, elles ont tout de même été jugées inappropriées - alors que n'importe qui peut encore poster une photo de son saignement de nez sur Instagram sans craindre la moindre forme de censure. Le fait que ce sang se soit écoulé d'un vagin et non d'une narine fait toute la différence.

Depuis, la censure a été levée sur ce cliché, mais d'autres font encore les frais de cette censure à sens unique. Et ça, Jennifer Williams en a bien conscience - mais ça ne l'a pas empêchée de tenter sa chance.

Jennifer Williams est une Américaine de 26 ans qui a récemment lancé le compte Instagram @menstrual.blood qui, comme son nom l'indique, ne sert qu'à diffuser des photos de sang menstruel sous toutes ses formes, des plus brutes aux plus artistiques. Le compte est privé, sans doute pour limiter les chances d'être censuré. A priori, si on s'y abonne, c'est qu'on sait à peu près à quoi on s'expose et qu'on ne risque pas de crier au scandale.

Une goutte de sang sur un doigt tatoué.
Une goutte de sang sur un doigt tatoué.

Le site Broadly a contacté Jennifer pour tenter de comprendre sa démarche et lui permettre de faire passer son message positif d'acceptation et de normalisation des règles. Dans l'interview, elle commence par expliquer la raison qui l'a poussée à ouvrir un tel compte Instagram :

"J'ai eu cette idée après avoir vu le compte Instagram skin.is.in, qui n'est plus actif, sur lequel des gens partageaient des photos de tous types de corps. J'adorais regarder toutes ces personnes célébrer et photographier des parties de leurs corps qui sont généralement rejetées : poils, vergetures, égratignures, cicatrices, bleus... Il me semble que beaucoup des participants étaient des ados, qui commencaient donc très tôt à accepter et aimer les corps de tout le monde."

La démarche était donc celle du partage et de l'acceptation, pour créer un espace libre et sans tabous dans lequel n'importe qui pouvait venir s'exprimer sans crainte d'être moqué, rejeté ou censuré.

Et si le nombre de followers du compte ne fait que croître depuis que les médias reprennent l'histoire, il y a aussi beaucoup de gens qui se désabonnent assez rapidement. Jennifer est loin de le prendre mal et l'explique même très simplement :

"Peut-être que la nouveauté s'épuise, les gens finissent par avoir leur dose - je pense qu'ils sont pour la plupart curieux de voir le compte mais qu'ils ne veulent pas pour autant être confrontés à ces photos tout le temps. Il y a beaucoup de photos de cuvettes de toilettes qui provoquent une réaction instinctive de dégoût, suivi d'un désabonnement, peu importe ce qui les avait poussés à suivre le compte à la base.

Il y a des photos très artistiques, ou avec un concept intéressant, comme un vibromasseur ensanglanté ou quelques petites gouttes de sang sur une cuisse, mais la majorité des images montre la réalité quotidienne des menstruations - souvent moins excitante, mais tout aussi réelle. C'est le fait de regarder sa culotte ensanglantée entre ses genoux et d'être un peu impressionnée par la tache abstraite laissée derrière."

La sauge, un très bon remède naturel contre les crampes menstruelles.
La sauge, un très bon remède naturel contre les crampes menstruelles.

Quant à la raison qui pousse une grande majorité de personnes à avoir une réaction dégoûtée face à la vision du sang menstruel, elle l'explique à travers sa propre expérience :

"On nous a dit - ou du moins, on me l'a dit, dans ma contruction sociale - que le sang des règles est dégoûtant et qu'on devrait s'en occuper en privé, avec des serviettes et des tampons décolorés et blancs. Il y a aussi quelque chose d'étrange dans le fait de voir une partie des procédés naturels du corps en dehors de notre corps ou de ses fonctions : les cheveux sur notre tête sont beaux, mais un cheveu dans la soupe, c'est dégueulasse. On n'avalerait pas non plus une tasse de notre propre salive, pourtant elle est dans notre bouche toute la journée. Quelque chose change lorsque tout ça quitte notre corps."

Et quand on lui demande pourquoi, selon elle, les gens sont scandalisés et choqués lorsqu'ils voient du sang menstruel, sa réponse est tout aussi juste :

"Je pense qu'il y a quelque chose de menaçant dans le fait de voir quelqu'un fière de ses menstruations. C'est une chose que le patriarcat utilise contre nous. C'est vu comme une maladie et une faiblesse. Après tout, nos menstruations ne sont-elles pas la raison pour laquelle on ne peut faire confiance à une femme présidente ?

De plus, il y a tout un marché autour de ça. Chaque mois, nous sommes supposées acheter tout un tas de produits, et surtout des produits jetables. Avec les coupes menstruelles, les serviettes lavables et les éponges menstruelles, on a plus d'utilisations pour moins d'argent dépensé - et ça nous pousse également à intéragir plus directement avec notre cycle. Si les menstruations sont représentées autrement que comme une maladie ou un secret honteux qui se répète chaque mois, ça perturbe le message du patriarcat et ses possibilités d'en tirer profit."

Mais Jennifer n'a pas toujours eu ce point de vue ouvert sur les règles - il y a quelque temps, elle en était encore à s'étonner d'entendre des gens dire qu'ils avaient encore des rapports sexuels (et parfois bucco-génitaux) pendant les règles, et elle trouvait ça dégoûtant. C'est le fait de passer à la coupe menstruelle puis plus tard de la pilule à un stérilet en cuivre qui lui a permis d'entamer ce changement de point de vue :

"Plus récemment, je suis passée de la pilule à un stérilet en cuivre. Il y avait tellement plus de sang, mais au lieu de le redouter, j'ai vu une chance de me mettre à l'écoute de mon corps quand il me disait qu'il avait besoin de repos et d'introspection. C'était l'occasion aussi de prendre part à mon cycle. J'ai remarqué que mes règles avaient tendance à se caler sur la nouvelle lune et j'ai commencé à récupérer mon sang pour nourrir mes plantes. J'ai aussi investi dans des serviettes lavables pour suivre mon flux.

Mon ressenti est le même depuis le lancement du compte Instagram. Je suis juste heureuse de voir autant de followers avec tout un tas d'expériences différentes : certains détestent leurs règles, d'autres les adorent, d'autres encore n'en ont pas. Il y a des curieux aussi, mais tout le monde est là pour apprendre et se soutenir les uns les autres et normaliser cette expérience."

C'est un pas de plus vers l'acceptation de soi, de son corps et de ses fonctions, et l'abolition d'un tabou qui fait encore trop de mal à travers le monde et qui n'a aucune raison d'être - si ce n'est celle de faire perdurer des stéréotypes et des modèles patriarcaux qui empêchent les femmes de prendre la place qu'elles méritent.