Une femme transgenre ne peut (toujours) pas être reconnue comme la mère de sa fille

Publié le Jeudi 17 Septembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Une femme transgenre ne peut (toujours) pas être reconnue comme la mère de sa fille/photo d'illustration
Une femme transgenre ne peut (toujours) pas être reconnue comme la mère de sa fille/photo d'illustration
Claire, une femme transgenre, a eu une fille avec sa compagne naturellement il y a six ans. Elle souhaite depuis être reconnue, elle aussi, comme mère de l'enfant. La Cour de Cassation vient de rendre sa décision : elle lui propose l'adoption ou la filiation "paternelle".
À lire aussi

En 1999, Claire rencontre celle qui deviendra sa femme. A ce moment-là, rapporte L'Obs, Claire est encore un homme. Elles ont alors deux fils. Un en 2001, l'autre en 2004. Et puis, Claire fait son coming out et entame sa transition. Huit ans plus tard, elle obtient après un jugement du tribunal de grande instance de Montpellier, la modification de son état civil. Aux yeux de l'Etat et sur ses papiers d'identité, Claire est une femme depuis 2011.

En 2014, lorsque le couple accueille un troisième enfant, une petite fille conçue naturellement (Claire n'avait pas encore été opérée et possédait ses organes reproducteurs masculins), celle-ci n'est inscrite sur son acte de naissance que comme "tiers déclarant". Un terme qui la révolte. "J'aurais été malade ce jour-là, ça aurait été le voisin !", s'indigne-t-elle auprès de la journaliste de L'Obs. "Tiers déclarant, c'est simplement celui qui apporte le papier à la mairie". Mais la loi française est claire : la double filiation maternelle est interdite, hors adoption. Depuis, la famille se bat pour que Claire puisse avoir le statut de mère de sa fille.

Aujourd'hui, après des années de procédures (sept ans exactement), elle explique pourquoi elle n'arrêtera pas avant d'obtenir gain de cause : "On pourrait se dire que ce n'est pas si mal. Que certains pays ne le permettent même pas. Que j'aurais pu juste adopter ma fille. Mais en fait, non. Je suis tout à fait pour l'adoption, la vraie, mais je ne vais pas adopter la chair de ma chair, ça n'a aucun sens", lance-t-elle au média. "Et puis, par rapport à ses frères ? C'est injuste, elle ne comprendrait pas. Pourquoi elle est adoptée et pas eux ? Elle a déjà 6 ans et ne porte pas le même patronyme que le reste de la famille !"

Une décision "scandaleuse" de la Cour de cassation

Mercredi 16 septembre, après un procès qui réunissait tout l'espoir de la famille, c'est pourtant ce que lui suggère la Cour de Cassation. Le pire cas de figure envisageable pour le couple, en plein débat sur la loi bioéthique.

Me Clélia Richard, l'avocate, explique aujourd'hui qu'en amont du verdict, elle avait envisagé deux scénarios probables : "Le premier, c'était la décision dont on rêvait : la filiation maternelle est établie sur la base de la reconnaissance qu'avait faite Claire en 2014, avant la naissance de l'enfant, chez notaire. Deuxième scénario : la Cour casse la décision et nous renvoie en appel, avec une incitation qui ne va pas dans notre sens. A savoir : la Cour suggère une adoption. Ce qu'elle a donc fait."

L'institution évoque aussi une filiation "paternelle" à Claire, qui revient à nier la transidentité de cette dernière. Une décision "scandaleuse" qui n'a "aucun sens", martèle l'avocate. Pour Me Mathieu Stoclet, l'avocat de la requérante devant la Cour, il s'agit d'une "incohérence" : "Claire peut être reconnue comme père sur l'acte d'état civil de sa fille alors qu'elle est une femme pour l'état civil", expose-t-il à l'Agence France-Presse.

A L'Obs, Claire s'avoue désabusée : "On est toujours aussi indignées par la situation, mais pas surprises. On est hallucinées de la difficulté qu'a la justice à être en phase avec la société. Il y a un grand décalage". Elle est cependant confiante d'un jour pouvoir apposer son nom sur l'acte de naissance de sa fille, elle sait que "la société va dans ce sens-là", même si elle a conscience qu'il lui faudra encore patienter de (longues) années.

Pour l'heure, les avocats ont annoncé déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme.