Oui, je suis adulte et j'ai encore un doudou

Publié le Mercredi 16 Septembre 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Pourquoi les adultes ne peuvent pas dire adieu aux doudous ?
Pourquoi les adultes ne peuvent pas dire adieu aux doudous ?
Totem nostalgique, objet porte-bonheur, nounours fétiche trop souvent passé à la machine... Il n'est pas rare qu'une fois adulte, l'on conserve et câline (encore) son doudou. Un geste qui en dit long sur l'importance que l'on voue à ces peluches. Vous nous racontez tout.
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La vie se résume-t-elle aux comic-strips caustiques de Calvin & Hobbes ? En tout cas, comme le jeune protagoniste de la fameuse bande dessinée de Bill Watterson, on aimerait, nous aussi, passer notre temps à philosopher en compagnie de notre peluche fétiche. Twist : c'est presque le cas pour toutes celles et ceux qui, adultes, n'en ont pas pour autant délaissé leur doudou d'enfance. Un fidèle compagnon, mutique mais bienveillant.

Afficher votre doudou à l'âge des grandes responsabilités vous fera peut-être passer pour un drôle d'oiseau, décalé si ce n'est bizarroïde. Et pourtant, bien des voix anonymes assument aujourd'hui se lover dans leurs peluches. Par besoin affectif, envie d'en revenir aux jours heureux, mais aussi réflexe sentimental, tout simplement. Et sachez-le, conserver son doudou une fois passée la vingtaine ou la trentaine, ce n'est pas sale, non.

Vous nous racontez les raisons de cet attachement insolite.

"C'est un réconfort, comme un plaid, un chat"

"Je le trimbalais partout quand j'étais petite si bien que tous les amis de mes parents le connaissent. C'est le seul que j'ai et je l'ai toujours conservé. Quand j'ai quitté le domicile familial je l'ai amené avec moi. Je dors avec, c'est mon réconfort quand je me sens triste ou quand j'apprends une mauvaise nouvelle du genre 'vous allez être confinés'". Marylène, journaliste de 26 ans, a tant à dire sur Chachat, ce chat en peluche dont la première rencontre la renvoie aux premiers jours de la maternité. De l'adolescence à la "vie active", ce doudou lui est resté fidèle.

Et inversement. Nombreuses sont les vingtenaires (majoritairement féminines) à relater la même relation. Pour Manon, 24 ans, Doudou (c'est son nom) est un "guilty pleasure" - un plaisir coupable - soit ce petit truc un brin régressif mais plus nécessaire qu'il n'y paraît. "Comme un livre fétiche, c'est quelque chose qui te sert à t'ancrer", raconte-t-elle. Qu'importe l'âge, ces peluches contribuent à notre développement personnel. Quand bien même elles affichent un aussi bel état que celui de Doudou : décoloré, troué, usé à force de machines et de voyages. Un vrai warrior.

Le doudou, une tendance qui perdure.
Le doudou, une tendance qui perdure.

Cajoler son doudou enfant ou adulte ? Une situation différente, mais les mêmes raisons au fond : peur de l'abandon et stress, attachement émotionnel fort et remède face aux préoccupations de la vie. Comme une goutte de lait dans le café, le doudou adoucit le quotidien. Mélodie en témoigne. Cette photographe de 27 ans voit là l'équivalent d'une pâtisserie, d'un plaid sur les épaules ou d'un gros câlin avec un chat. "C'est une façon de se réconforter. Moi, je garde mon doudou la nuit pour dormir car j'ai souvent des insomnies et des angoisses. Le fait de sentir ma peluche à côté de moi me rend plus forte et plus apaisée", nous explique-t-elle encore.

Cette force-là, Sandrine l'éprouve aussi. A 36 ans, cette autrice de livres pour adultes et enfants garde auprès d'elle le doudou qu'elle côtoie depuis ses huit ans. Soit Cubitus, peluche à l'effigie du célèbre toutou de bande dessinée. Mieux encore, elle en fait la vedette d'événements 2.0. En lui dédiant une page Facebook, ou, à l'occasion d'anniversaires, l'érigeant en centre de selfies d'amis où le doudou apparaît en noeud pap'. Classe.

Réconfort psy et nostalgie : pourquoi les doudous demeurent.
Réconfort psy et nostalgie : pourquoi les doudous demeurent.

Une dérision qui en dit long sur la relation décomplexée que l'autrice vit avec son cher Cubitus. Chez elle, elle le garde sur ses genoux lorsqu'elle travaille. Comme un chat, oui. A l'instar du fameux félin, la peluche est source d'amusement. Mais aussi de "nostalgisme", assure Sandrine. Des poussées de spleen évidentes quand on imagine que cet objet précieux fait partie de la famille depuis des décennies déjà. Et perdure sans fléchir.

Doudous sur le tard

Cette fascination pour les choses qui durent n'est pas neuve. C'est le même sentiment qui nous anime au moment de tisser et attacher notre bracelet brésilien ou d'emporter en escale un objet porte-bonheur. Sa durabilité serait le reflet de la nôtre. Une manière de calmer ses nerfs dans une société cernée d'incertitudes. Il n'est alors pas étonnant de savoir que certains et certaines adoptent leur doudou à retardement, une fois adultes seulement.

La journée, Lou, 27 ans, travaille dans une agence de communication. Et en dehors de ses heures de taf, elle cajole un petit mouton habillé en rose, qui tient dans la paume de sa main. Ce drôle de doudou date de sa naissance. Mais ce n'est qu'une vingtaine d'années plus tard, en faisant du ménage, que la vingtenaire l'a retrouvé. Et ne l'a plus jamais perdu de vue depuis. Parce qu'il "extrêmement mignon" nous dit-elle. Mais aussi par sentimentalisme. Avec le temps, les peluches prennent d'ailleurs de plus en plus de place dans sa vie. On lui en offre, elle les conserve, d'un éléphant "fétiche" à un petit chat de fête foraine offert par son petit-ami.

Le doudou, réflexe régressif ou nécessité sentimentale ?
Le doudou, réflexe régressif ou nécessité sentimentale ?

Et si le poids du temps nous incitait à préserver si ce n'est restaurer notre âme d'enfant ? La question se pose. Pour Sandrine, c'est là le coeur du doudou, l'âme d'enfant. "C'est-à-dire l'esprit d'émerveillement, l'insouciance, la créativité", définit-elle encore. Mais l'enfance n'est pas dépourvue de blessures. Perrine, 37 ans, est née prématurée. Très tôt, elle a du affronter nombreux handicaps respiratoires et digestifs, qui l'ont obligée à vivre plusieurs d'années d'hospitalisation. Et c'est dans là que son doudou Néné, ours blanc fidèle, l'a épaulée. De son regard lointain.

Raison de plus pour lui faire honneur aujourd'hui - même si elle s'en sert volontiers "comme d'un second ou troisième oreiller". A l'écouter, Néné est "un témoin de [sa] vie et des épreuves surmontées, une présence amicale et familière", voire même "un compagnon de guerre". Pour ainsi dire, une figure héroïque. Le doudou traîne derrière lui des années faites d'obstacles qu'il n'a pas vécu mais a observé, attentif.

Non, garder un doudou n'est pas si chelou

Phénomène mésestimé, la survie du doudou en territoire adulte est bien plus conséquente qu'il n'y paraît. Mais en parler ne veut pas toujours dire assumer. Car malgré l'amour (inestimable) qu'on lui porte, peut-on vraiment inclure Doudou dans ces conversations entre amis ou en famille ? Pas sûr. Pour Mélodie, c'est indéniable, hélas : "Le sujet est carrément tabou, c'est quelque chose dont les gens n'osent pas parler". Idem pour Clara, 27 ans, qui dans son cercle proche connaît bien des personnes amatrices de peluches mais "qui n'osent pas le dire car c'est assez honteux". Ce n'est pas son cas : elle n'hésite pas à louer les qualités de son "doux et dodu" lapin d'enfance, si amoché "que [ses] connaissances l'appellent Chucky !".

La situation est compliquée, d'autant plus que l'attachement à un doudou peut être considéré comme quelque chose d'insensé, infantile, problématique... Croit-on ! Depuis des années, psychologues et psychothérapeutes cassent les complexes. Et le répètent à qui veut l'entendre : non, garder un doudou n'est pas si chelou. Au contraire même.

Le thérapeute américain Robert Ryan l'affirme à Vice : "Il existe des milliers de raisons qui expliquent pourquoi des adultes dorment encore avec des doudous. C'est le signe d'un besoin, si vous êtes seul·e dans votre vie par exemple, c'est très réconfortant, comme câliner un oreiller, et rien de plus".

Jamais sans mon doudou.
Jamais sans mon doudou.

C'est justement pour ces "milliers de raisons" que des voix assument ce décalage. Les 25-30 ans notamment. Vice associe cette réhabilitation à la génération Y, soit la tranche actuelle des trentenaires. On pourrait parler de "génération doudous". "Pour les gens de notre âge, ce n'est plus une honte : mes amis proches connaissent Chachat, il est sur le haut de mon canapé dans mon studio, je ne le cache pas quand j'invite du monde", confirme Marylène. Malgré ses réticences, Clara croit elle aussi en la possibilité d'une "génération des non-tabous.'

Perrine, quant à elle, voit carrément le smartphone comme "une sorte de doudou" sacralisé par la jeunesse. Un objet que l'on conserve précieusement sur soi, à quelques centimètres de notre oreiller. Oui, mais parfois, le doudou prend bien plus de place que le téléphone. Au sein du couple par exemple. C'est ce dont s'alarme la psychologue clinicienne Inna Khazan, pour qui "le partenaire peut se sentir menacé·e par la présence du doudou", notamment si ce dernier a droit a plus de câlins, prévient-elle au site lifestyle Well and Good.

y'a-t-il une "génération doudous" ?
y'a-t-il une "génération doudous" ?

D'où l'intérêt "d'entendre les préoccupations de son ou sa partenaire", dixit l'experte. Mélodie le comprend bien. Elle avoue que lorsqu'elle était en couple, son doudou "prenait beaucoup trop de place". Mais pour celles et ceux qui ne peuvent s'en séparer, la question se pose rarement. Sandrine raconte pourquoi : "Un amoureux qui n'accepterait pas mon doudou n'aimerait donc pas la personne que je suis, nous dit-elle. Si je fréquente mon conjoint ou mes amis, c'est qu'ils sont ouverts d'esprit et qu'ils aiment ce lien à l'enfance que je conserve".

Voilà qui est dit. Cette ouverture d'esprit, bien des spécialistes la promeuvent à l'unisson. Comme la psychothérapeute Silvia Podani, qui dans les pages de Cosmopolitan ne s'inquiète pas de la popularité du doudou chez les adultes. "Mieux vaut en posséder un plutôt que de consommer des anxiolytiques ou somnifères !", ironise l'experte. Avant de poursuivre : "L'idéal serait d'arriver petit à petit à s'en détacher en se demandant pourquoi on ne peut pas s'en séparer". En somme, comprendre d'où viennent les angoisses qui expliquent - en partie - sa présence dans nos vies. Quitte à quitter un temps le lit confortable du doudou pour le divan du psy.