Lifestyle
Que cache l'étrange come-back féministe du corset ?
Publié le 6 mai 2022 à 18:04
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
De Billie Eilish à Gigi Hadid, bien des célébrités remettent le corset au goût du jour ces derniers temps. Un curieux come-back notamment visible chez les jeunes générations.
Street style : Didi Stone avant le défilé Jean-Paul Gaultier le 26 janvier 2022 à Paris Street style : Didi Stone avant le défilé Jean-Paul Gaultier le 26 janvier 2022 à Paris© Abaca
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C'est un retour de hype qui a de quoi étonner : la mode semble être au corset. Oui, comme dans Les chroniques de Bridgerton, ou Les liaisons dangereuses. Ce vêtement des plus étouffants est notamment réapproprié par les jeunes générations, féminines et féministes. Bien des célébrités l'arborent comme un costume classieux et stylé.

Ce fut notamment le cas lors du dernier Met Gala, qui prit place au Metropolitan Museum of Art ce 2 mai 2022 et dont le thème était "Gilded Glamour and White Tie", renvoyant à l'Âge d'or américain de la fin du 19e siècle. Nombreuses furent les stars à afficher leur corset revisité, de Billie Eilish à Gigi Hadid en passant par Precious Lee. De quoi intriguer leurs millions de fans. Un nouveau souffle pour un vêtement qui, pourtant, le comprime. Les séries historiques estampillées Netflix et les vidéos TikTok dédiés au buste ne font qu'alimenter cette tendance.

Mais comment expliquer ce désarçonnant retour ?

Une réappropriation ambivalente

Le succès des Chroniques de Bridgerton, et surtout le retentissement de ses personnages féminins, l'explique en partie. Tout comme celui de la série HBO The Gilded Age (du créateur de Downtown Abbey, Julian Fellowes). D'autant plus que, de séries en films, la popularité des fictions en costumes ne s'est jamais été démentie - les diverses adaptations de Jane Austen et Emily Brontë le démontrent volontiers, transpositions par ailleurs diffusées sur les plateformes de streaming pop.

L'aura des chanteuses et mannequins qui arborent le corset également. Parmi elles, c'est notamment Billie Eilish qui est considérée comme une figure "fer de lance". En mai 2021, la célèbre chanteuse portait déjà un corset Gucci lors d'un fameux et polémique shooting réalisé pour le magazine de mode Vogue. Grimée en Marilyn Monroe de l'ère 2.0., l'artiste donnait alors le la à une vibe ouvertement rétro, quitte à susciter la perplexité. Mais non sans revendiquer un discours libérateur au passage.

"J'adore ces photos et j'ai adoré faire ce shooting. Fais ce que tu veux, quand tu veux. Envoie balader tout le reste", affirmait-elle. Billie Eilish associait dès lors son corset Gucci à ses valeurs féministes, et notamment son rapport au corps et au regard des autres. Mais un vêtement qui étouffe à ce point peut-il réellement être émancipateur ? On est en droit de s'interroger.

D'autant plus quand la hype alimente la hype. Ainsi à l'effusion de corsets chez Dior et Versace répond le boost de requêtes sur des applications de shopping en ligne comme Lyst, où les recherches de corsets auraient carrément augmenté de 85 % ces trois derniers mois, comme le relate The Guardian. Par ailleurs, le fameux bustier totalise plus de 4 millions et demi de hashtags sur Instagram, comme le note Le Figaro, qui perçoit le corset comme le "nouveau crop-top" de la Génération Z.

"Il n'est plus l'outil de domination et de contrainte d'autrefois. Elles l'affichent comme le dernier accessoire à la mode. Elles l'essaient par curiosité, ne serait-ce que pour ne pas mourir idiotes", analyse l'historienne Catherine Örmen pour expliquer le retour de hype du corset chez les ados. "Pour elles, il est complètement débarrassé de toute connotation négative, SM ou autres. Elles sont même parfois à cent lieues d'imaginer la symbolique érotique qu'il peut y avoir derrière."

Car à l'origine, le corset est un outil de discrimination sexiste. Certains l'envisagent comme un véritable instrument de torture pour les femmes, de par la sensation qu'il provoque. Impression physique d'abord (comprimer la poitrine), symbolique ensuite : en bloquant le souffle, le corset empêche la parole. Bien utile dans une société patriarcale et misogyne. Mais par-delà cette dimension genrée, le corset est également un outil de discrimination sociale.

Comme le rappelle effectivement l'historien de la mode Xavier Chaumette à Elle, lorsque le corset apparaît dans la première partie du 16e siècle, il émane "du désir de l'aristocratie de détourner le corps de son aspect naturel et de le différencier de celui du peuple". En outre, on peut l'envisager comme un symbole des diktats de beauté : le porter exige une certaine minceur. Sa rigidité physique témoigne d'un état d'esprit peu progressiste (euphémisme).

Un vêtement libérateur, vraiment ?

Pour le magazine en ligne Tapage cependant, le discours de Billie Eilish est plein d'intérêt pour qui souhaite comprendre cette tendance portée par des nouvelles générations éveillées : "Une fois libéré de sa rigidité, le corset devient une pièce avec laquelle il est possible de jouer et déjouer les codes de la féminité, un terrain d'expression à travers lequel les femmes affirment leur droit de porter ce qu'elles veulent et de libérer visuellement leur sexualité". C'est le geste de la réappropriation qui en bouscule le sens.

Une réappropriation qui ne date pas d'hier par ailleurs. De grands créateurs comme Christian Dior et Jean Paul Gaultier sont volontiers allés piocher du côté de cette imagerie rétro au cours des décennies pour l'adapter à des époques de bouleversement concernant la place des femmes dans la société - et leur représentation. Chez Gaultier, le corset témoigne d'un décalage provoc' : on pense par exemple au célèbre bustier de Madonna, affirmation d'une féminité (et d'une sexualité) indépendante, sulfureuse et subversive.

"Le corset évoquait pour moi quelque chose d'extraordinaire, de fascinant et de mystérieux. Je n'étais pas du tout préoccupé par sa fonction orthopédique. C'est le pouvoir et la sensualité réunis", déclare au Grand Palais le créateur. C'est suivant cette même logique que les artistes vingtenaires d'aujourd'hui vont piocher du côté d'une garde-robe archaïque : revendiquer un pouvoir qui passe par la mise en scène de son propre corps.

"Dès que l'on décide d'habiller les corps en fonction de leur genre, que l'on insère cette idéologie dans le vêtement, on entre dans la question politique. Pour les femmes, le rapport à l'habillement est d'autant plus fort qu'il est à la fois une manière par laquelle on attend d'elles qu'elles expriment leur 'féminité' et un carcan à travers lequel on veut les limiter", analyse la journaliste Melody Thomas, autrice de La mode est politique.

De même, le corset est en même temps l'expression de la féminité (ou d'une féminité) et un indéniable "carcan". C'est ce tiraillement incessant et paradoxal qu'il incarne, au fil des défilés, des shooting, des galas voire des cours de récré. On imagine que le vêtement n'a pas fini de faire parler de lui.

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