"Dash & Lily", la série Netflix qui nous change des navets de Noël

Publié le Jeudi 19 Novembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
"Dash & Lily" nous réconcilie avec les navets de Noël de Netflix
"Dash & Lily" nous réconcilie avec les navets de Noël de Netflix
Netflix nous avait habitué·e·s aux films de Noël nuls, mais ô combien satisfaisants. Mais sa nouvelle livraison, "Dash & Lily", sort son épingle du jeu avec brio. On vous dit pourquoi se laisser aller à binge-watcher les huit épisodes de la mini-série (pas uniquement) pour ados.
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Dash & Lily commence et termine comme n'importe quelle rom-com de Noël. Par une rencontre et un baiser. L'important n'est pourtant pas ce qui se passe au début ou à la fin de la mini-série : ça, on s'en doute rien qu'en regardant la bande-annonce. Non, ce qui compte dans le petit bijou tiré du roman éponyme de David Levithan et Rachel Cohn, c'est le milieu. La façon dont les deux protagonistes échangent, leurs relations avec leurs proches, avec eux-mêmes, entre eux, et aussi, surtout : avec New York.

On est tombé·e dessus un peu par hasard, on a lancé le premier épisode et on s'est enfilé les huit sans bouger du canapé. Un bonbon qu'on recommande à celles et ceux qui veulent se rappeler de la vie avant les crises. Et de la neige en décembre.

Une pépite du genre

On vous pose le synopsis rapidement. Lors d'une énième balade au Strand, librairie emblématique de la ville, Dash, jeune homme autoproclamé solitaire, tombe sur un carnet rouge énigmatique qui dénote dans le rayon Salinger. A l'intérieur, une sorte de chasse aux trésors élaborée par une jeune fille dont on ne sait rien - si ce n'est qu'elle précise vouloir s'adresser à un lycéen hétéro. Pas pour jouer au Scrabble, donc. On apprend plus tard qu'elle est Lily, dix-sept ans, aussi timide qu'optimiste et effrayée à l'idée de sortir de sa zone de confort. D'où l'initiative épistolaire, soufflée par son génial frère, pour faire des rencontres. Ou une seule, en tout cas.

Pendant huit parties d'une vingtaine de minutes, les deux inconnu·e·s correspondent par le biais du fameux carnet. Ils se font visiter leurs coins préférés de la ville, se lancent des défis parfois laborieux (apprendre à faire un mochi parfait avec des grands-mères japonaises, se rendre solo à un concert clandestin de punk, et danser), puis rapportent leurs péripéties agrémentées de confessions intimes sur les pages vierges, laissant la missive sur place pour que l'autre joue à son tour.

Au fil de ces aventures urbaines, on découvre la vie de Dash et de Lily. Leur entourage - elle membre d'une famille japonaise-américaine aimante, lui entre deux parents divorcés et absents, la complexité et la simplicité qui forgent chacune de leur personnalité, la complicité qui finit par les lier à distance. Rien de bien original et pourtant, ça marche. Parce qu'on ne tombe jamais dans le pathos, que les personnages et ceux qui les accompagnent sont touchant·e·s, leurs traits de caractère évitent la caricature et (de justesse, peut-être, mais tout de même) le déjà vu. Parce que la recette change du traditionnel téléfilm sur fond de sexisme à peine dissimulé.

Ça reste une histoire d'amour, mais le format permet d'aborder davantage que leur affection réciproque grandissante. C'est plus subtil qu'un Love Actually, plus moderne aussi. Ça ressemble à Une nuit à New York, et c'est normal : les deux écrivain·e·s sont également derrière cette autre pépite du genre.

Et puis, là aussi, il y a New York.

Des scènes irréalistes mais réconfortantes

Des personnages attachants.
Des personnages attachants.

A qui a eu la chance d'y passer un moment, comme à celles et ceux qui rêveraient d'y mettre les pieds, Dash & Lily livre une lettre d'amour puissante à la capitale de l'est nord-américain. Qui plus est à Noël, période enchantée par excellence. D'un point de vue européen, ça laisse rêveur. Apparemment, d'un point de vu new-yorkais, ça laisse plutôt perplexe. Ou en tout cas, songeur·se quant à la crédibilité de certains aspects.

Dans un article pour Insider, la locale Erin Ajello liste d'ailleurs un total de dix-huit moments qu'elle juge "irréalistes", elle qui connaît bien ces rues et ces échoppes ici "inhabituellement vides", précise-t-elle. Pour l'experte, l'absence de passant·e·s de mauvaise humeur et de foule compacte à l'approche des Fêtes trahit un manque de fidélité à Manhattan. On veut bien la croire, nous qui avons sursauté à chaque scène impossible d'Emily in Paris, la série sur la France pour les Américain·e·s.

Seulement dans ce cas précis, on balaye sans difficulté les incohérences qu'elle pointe du doigt. Et armée de notre mauvaise foi, on se laisse volontiers embarquer pour une visite guidée à travers Dyker Heights et ses illuminations éblouissantes, Central Park en hiver ou la gare de Grand Central Station désertée (situation que la journaliste qualifie clairement d'"insensée"). On savoure surtout tous ces moments passés à traîner dans la pizzeria/video club de Boomer, Two Boots dans le Lower East Side, meilleur pote du héros sans qui tout partirait à vau l'eau. Les bars bondés, les fêtes, les spectacles. Ça donne l'espoir qu'un jour, tout ça reviendra.

A défaut de dépeindre une mégalopole 100 % authentique, l'oeuvre ponctue aussi ses dialogues de punchlines bien senties qui taclent, entre autres, quelques fléaux souvent tus voire encensés dans d'autres oeuvres similaires.

Des sujets qui dépassent la romance

Une romance moderne et efficace.
Une romance moderne et efficace.

Notre séquence préférée n'implique pas de baiser langoureux sous une branche de gui. Plutôt un monologue sincère, improvisé et animé, interprété par Lily sur la scène d'un petit café-théâtre, où l'emmène un ancien camarade de classe, Edgar Thibaud. Elle se confie sur son enfance, la façon dont Edgar l'a traitée et ce qu'elle pense de l'expression "qui aime bien châtie bien" qu'on sert aux petites filles dès qu'un garçon leur fait des crasses.

Elle révèle, émue, que sa cruauté à lui lors d'un bal organisé au collège a "tout changé" pour elle, la faisant craindre de se mettre en avant et de se faire des ami·e·s. Une femme dans la foule crie : "Peut-être qu'il t'aimait bien". Lily, furieuse, répond : "Non ! J'en ai assez que les garçons nous tirent les cheveux et qu'on trouve ça mignon ! J'aurais aimé pouvoir résister à toutes les brutes qui me faisaient me sentir trop bizarre, trop différente, trop asiatique."

L'actrice qui l'interprète, Midori Francis, Japonaise-américaine, est revenue sur ce passage-clé pour Refinery29, confiant qu'elle aurait aimé lancer les mêmes mots au visage de ses propres harceleurs : "Quand Lily a commencé à se demander : 'Pourquoi pensons-nous qu'il est acceptable que les garçons nous embêtent pour nous témoigner leur amour ? Ou nous fassent du mal ?' - J'ai réfléchi", se souvient-elle. Elle a réalisé vouloir enrichir le texte de sa propre expérience. Et aborder le racisme qu'elle a subi plus jeune. "Surtout à cette époque, où il n'y avait pas de représentation", se rappelle-t-elle. "Si vous ne correspondez pas au moule eurocentrique, vous n'êtes pas attirante".

Plus loin dans l'interview, elle revient aussi sur le message de la série. "Ce que je veux que le public en retire, c'est 1 : Soyez cool avec qui vous êtes. Acceptez-vous, avant toute chose. Mais, peut-être qu'au lieu de vous contenter des limites que vous vous imposez à vous-même, vos goûts et vos aversions, ou de vous répéter "je suis ce genre de personne et je ne suis pas ce genre de personne", vous pourriez suspendre ce jugement pendant une seconde. Et vous dire 'et si j'allais à ce concert punk ? Et si je donnais une chance à quelqu'un ?'" Une petite ode au fait d'oser, sans injonction particulière.

Nous, ce qu'on en retire, c'est qu'on aurait bien aimé que ce genre de show déculpabilisant, joyeux et réjouissant - et sa protagoniste inspirante - existe quand on avait dix-sept ans. Heureusement, on peut encore se rattraper.