Pourquoi les femmes indiennes postent leurs jambes sur Instagram

Publié le Jeudi 24 Septembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Pourquoi les femmes indiennes postent leurs jambes sur Instagram
Pourquoi les femmes indiennes postent leurs jambes sur Instagram
Le hashtag #YesWomenHaveLegs a démarré en soutien à la jeune actrice indienne Anaswara Rajan, 18 ans, harcelée pour avoir dévoilé ses jambes sur Instagram. Aujourd'hui, il est devenu un véritable mouvement de libération des femmes dans le pays.
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Depuis le 15 septembre, les hashtags #WomenHaveLegs, #YesWeHaveLegs et #WeHaveLegs ont pris une ampleur faramineuse. A la base, l'initiative vient de l'actrice Rima Kallingal, qui a commenté #YesWeHaveLegs sous une photo d'elle en maillot de bain. Une façon d'apporter son soutien à la jeune comédienne indienne Anaswara Rajan, 18 ans, harcelée sur Instagram pour avoir publié une photo d'elle en short, quelques jours plus tôt.

Rapidement, d'autres femmes de l'industrie du cinéma bollywoodien suivent le mouvement, qui dépasse vite le milieu du spectacle.

"Dénoncez le patriarcat"

"Internet a ouvert un espace pour le slut-shaming et la police de la morale, qui s'adressait par ailleurs aux femmes chez elles, dans leur famille ou au bureau", dénonce Rima Kallingal à Vogue India, "mais il a également ouvert un espace pour que les femmes puissent exprimer leurs opinions et parler librement de ce qu'elles pensent".

A son tour, l'actrice Ahaana Krishna, deux millions d'abonné·e·s sur Instagram, prend la parole. Sous un cliché d'elle en mini-robe, elle lance aux potentiels détracteurs : "Le fait que je poste une photo dans une robe super courte n'a qu'une seule signification : j'aime cette photo et j'ai eu envie de la partager sur mon propre profil dans les réseaux sociaux. Toute autre signification que vous en tirez n'est rien d'autre qu'un reflet de la situation malheureuse de votre vie et des choses qui vous manquent dans celle-ci."

Elle poursuit : "Les mentalités grossières ne changent peut-être pas beaucoup. Mais on peut mettre un terme à la permission de parler publiquement de sa mentalité grossière. Dénoncez le slut-shaming. Dénoncez le patriarcat crasse."

"Nous ne sommes pas seules"

Face aux trolls, Anaswara Rajan, elle, choisit de ne pas se taire. Elle a publié une nouvelle photo portant la même tenue, T-shirt rose et short gris, qu'elle légende : "Ne vous souciez pas de ce que je fais. Souciez-vous de savoir pourquoi vous vous souciez de ce que je fais..." Résultat : plus de 340 000 likes.

Devant cette solidarité nécessaire et empouvoirante, l'actrice Rima Kallingal se réjouit. "Une campagne virale comme celle-ci crée un lien, une sorte de solidarité. Internet a donné aux femmes une plateforme pour comprendre qu'il y a d'autres femmes qui pensent comme elles", s'émeut-elle, évoquant #MeToo ou encore #ChallengeAccepted, la campagne en noir et blanc qui alertait sur l'urgence des féminicides en Turquie. "Et c'est incroyable, c'est quelque chose qui nous manquait. Cela nous montre que nous ne sommes pas seules".

Une sororité essentielle. Car en Inde aussi, le machisme, couplé à une culture du viol bien ancrée, notamment nourrie par le slut-shaming, tuent. En 2017, le pays recensait 32 000 viols déclarés, dont 10 000 sur des mineur·e·s. En 2018, un rapport publié dans le journal The Lancet alertait sur la négligence de la santé et des besoins alimentaires des petites filles par rapport à celle des petits garçons. En tout, 239 000 fillettes de moins de cinq ans ont succombé de ces discriminations cette année-là. Un constat dramatique, qui trahit un sexisme systémique terrible.